Lorsque les portes du palais présidentiel s’ouvrent, le 25 mai 2008, le président Michel Sleiman les franchit seul avec des rêves et une ferme ambition. Six ans plus tard, il quitte Baabda avec l’amertume de ne pas avoir remis le flambeau à un successeur, qui prendrait la relève et continuerait sur la lancée de ce qu’il avait entrepris.
Dans son allocution d’adieu, c’est plus qu’un message que Michel Sleiman a transmis, ce sont des recommandations, une sorte de feuille de route adressée à son successeur. C’est sur un appel au dialogue qu’il termine son mandat. Un mandat qui s’achève sur une politique d’équilibre positif, consacrée par la fameuse déclaration de Baabda, qui prône la neutralité à l’égard des axes régionaux. Son discours est aussi éloquent que l’était celui de son investiture. Il appelle à des amendements de la Constitution, en propose huit, notamment le droit du pouvoir exécutif de «dissoudre pour une fois le Parlement en cas de nécessité». Le pouvoir du chef de l’Etat de former un gouvernement et le mode de vote au sein du cabinet. C’est pour lui la seule façon de remédier aux failles qui sont autant d’obstacles à la bonne marche des institutions.
Michel Sleiman laisse à son successeur une présidence régénérée. Il ne ressemble à aucun de ses prédécesseurs. De retour à Amchit, sa ville natale où il passe sa première journée d’ancien président, un impressionnant accueil politico-populaire lui est réservé. Un accueil pour un homme d’Etat.
Les relations avec la Syrie
Malgré les pauvres moyens dont il disposait, le président tente d’affirmer les assises de son mandat. Le dossier brûlant des relations avec la Syrie a empoisonné son sexennat. Dès le départ, il a tenu à des relations entre deux pays voisins et frères, mais en précisant: des relations équilibrées et à égalité, avec la nouvelle ère entamée avec le retrait des forces syriennes du Liban.
En mai 2008, le président Sleiman annonce, dans son programme, des relations d’égal à égal avec la Syrie. En août 2008, il effectue sa première visite de président à Damas. Une décision de la plus haute importance s’en suit. Il se met d’accord avec son homologue syrien Bachar el-Assad sur l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays et sur l’ouverture des ambassades dans leurs capitales respectives.
Le 30 mars 2009, au sommet arabe de Doha, Michel Sleiman rencontre son homologue syrien. Il insiste sur les bonnes relations libano-syriennes. Moins d’un mois plus tard, le 20 avril, Michel Khoury est nommé ambassadeur du Liban à Damas et le 29 mai, Ali Abdel Karim Ali débarque à l’ambassade de Syrie à Beyrouth.
A partir de 2011, la crise syrienne brouille la donne. Les relations avec le régime à Damas s’en ressentent. Au début de l’été 2012, la situation se détériore avec des débordements militaires du conflit syrien au Liban, et des violations syriennes quasi quotidiennes du territoire libanais. La rupture est consommée avec l’affaire Samaha et l’implication probable du général syrien Ali Mamlouk. Accusé d’avoir introduit des explosifs destinés à des attentats au Liban à l’instigation du chef du Renseignement syrien, Michel Samaha est arrêté le 9 août 2012. Michel Sleiman exprime son inquiétude. Il tient cependant à affirmer que les relations avec le président syrien sont bonnes. Pourtant, il attend un coup de fil d’Assad qui ne vient pas.
Les rapports avec le Hezbollah
Les relations du président de la République avec le Hezbollah au cours de son mandat ont suivi à peu près le même chemin. Dans son discours d’investiture, il met l’accent sur la nécessité de définir une stratégie de défense. Il est connu pour être celui qui protège la Résistance, son parcours à la tête du commandement de l’Armée libanaise le prouve. Mais au fil des années, la situation change. Michel Sleiman avait une vision claire du Liban qu’il voulait. Sa lutte pour le recouvrement des prérogatives de l’Etat le place en confrontation avec le Hezbollah.
A la célébration du 67e anniversaire de la fondation de l’armée, le 1er août 2012, Sleiman axe son discours sur le problème des armes illégales et de la place que doit occuper l’armée dans toute stratégie de défense. Il rappelle avec fermeté que l’usage de la force est «un droit exclusif de l’Etat».
En septembre 2012, au cours d’une nouvelle séance du dialogue national qui avait débuté à Baabda en septembre 2008, le président présente sa conception d’une stratégie de défense pour intégrer les armes de la Résistance dans le cadre de la légalité. Il se heurte au silence du Hezbollah. Le débat s’arrête là. Mais Michel Sleiman ne renonce pas, surtout que l’implication du parti chiite dans la guerre en Syrie a de sérieuses conséquences sur la situation interne. Il renouvelle sa position un an plus tard, à l’occasion du 68e anniversaire de la fondation de l’armée. Il critique implicitement l’implication du Hezbollah en Syrie. Si Le Hezb ne répond toujours pas, ses relations avec Baabda sont en froid.
En parallèle à cette insistance du président à garder les armes uniquement entre les mains de l’Armée libanaise, il œuvre à assurer à l’institution militaire les équipements nécessaires. Le don saoudien de trois milliards de dollars, le plus élevé dans l’histoire de l’armée, devra subvenir à certains des besoins.
Les relations avec le Hezbollah sont restées en froid jusqu’à ce jour du 1er mars 2014, où dans un congrès organisé à l’Université Saint-Esprit de Kaslik, le chef de l’Etat remplace dans son discours le fameux triptyque en bois «armée-peuple-Résistance», par un autre basé sur «La terre, le peuple et les valeurs communes forment le triptyque en or pour la patrie, le seul à même de lier son passé à son futur». Pour la première fois, le Hezbollah riposte directement et d’une manière foudroyante: «Le locataire de Baabda n’est plus en état de distinguer entre l’or et le bois», affirme-t-il dans un communiqué. La déclaration de Baabda, si chère à Sleiman, est reniée par le Hezb, qui en avait été pourtant l’un des signataires.
La déclaration de Baabda
La déclaration de Baabda est signée en juin 2012, au terme de l’une des conférences du dialogue tenues au palais présidentiel, en plein conflit syrien, Sleiman ayant relancé le dialogue interlibanais entamé en septembre 2008, estimant que c’est l’unique moyen de communiquer. Pour la première fois, il est fait mention de la «neutralité» du Liban dans un acte officiel. L’un des points de cette déclaration stipule, en effet, qu’il faut «neutraliser le Liban par rapport à la politique des axes et des conflits régionaux et internationaux, et le tenir à l’écart des retombées négatives des tensions et des crises régionales (…), sauf pour ce qui est de l’engagement dans des résolutions de la légalité internationale, de l’unanimité arabe et de la juste cause palestinienne (…)».
Cette déclaration sera, dès le jour de son adoption, sujet de conflit. Pour le chef de l’Etat, c’est un pacte obligatoire pour tous, sans exception, y compris pour les gouvernements et les mandats qui suivront. Pour le Hezb et ses alliés, elle ne valait pas grand-chose. Ils finiront par la renier.
Crises gouvernementales
Le mandat Sleiman a vécu au rythme de conflits internes et régionaux exceptionnels. Le «printemps arabe» aura de graves répercussions sur la situation interne. Mais la crise en Syrie laissera des empreintes indéniables sur la scène politique interne.
Plus d’un tiers du mandat est marqué par des crises gouvernementales. Quatre équipes ministérielles se sont succédé et les réalisations sont restées limitées, faute de consensus sur plusieurs points. Le vide dans le cadre de l’administration s’est accentué et plus de 80% des postes sont restés vacants et assurés par intérim. Le premier gouvernement du mandat, présidé par Fouad Siniora, a pris 45 jours de concertations avant de voir le jour et malgré l’accord de Doha il est resté incapable d’agir. Le deuxième gouvernement dit d’union, présidé par Saad Hariri, est formé après 135 jours de concertations. Le 12 janvier 2011, le gouvernement s’effondre. Les relations de Sleiman avec le 14 mars, qui avaient reculé depuis l’accord de Doha, sont directement atteintes, surtout quand le président a choisi de reculer la date des concertations pour la désignation d’un nouveau chef de cabinet. Le 14 mars a expliqué cette décision par une volonté d’empêcher le retour de Saad Hariri, favori au cours de cette période.
Il a suffi de moins d’une semaine pour que le leader druze coupe les ponts avec le 14 mars, après la fameuse démonstration des «chemises noires», perçue comme une menace du Hezbollah. Le 25 janvier 2011, Najib Mikati est chargé de former le futur gouvernement au Liban. Le 14 mars refuse d’en faire partie. Mikati a eu besoin de 143 jours pour former un gouvernement sans le 14 mars. Ce troisième gouvernement du mandat Sleiman s’est heurté à plusieurs obstacles et le Premier ministre est poussé à la démission.
Le quatrième chef de gouvernement du mandat, Tammam Salam, est désigné à une majorité jamais connue. Mais il met dix mois et dix jours pour former son équipe rassemblant les différentes factions politiques à l’exception des Forces libanaises qui avaient choisi de ne pas y participer.
Loi électorale et dossiers internes
Plusieurs dossiers internes ont marqué le mandat Sleiman. La nécessité de voter une nouvelle loi électorale n’est pas des moindres. La proportionnelle qu’il trouvait la plus adéquate pour le système libanais tombe à l’eau, rejetée par la plupart des parties. Les partis chrétiens s’entendent finalement sur le projet de loi orthodoxe, mais ils le trouvent déplacé et en contradiction avec la formule de coexistence qui fait l’essence même du Liban. Le projet finit par tomber à l’eau aussi. Le Liban reste donc sans une nouvelle loi électorale et le Parlement ne trouve pas plus judicieux que de se réunir pour proroger son mandat, qui s’achevait en mai 2013, jusqu’à l’automne 2014. Sleiman présente un recours d’invalidation devant le Conseil constitutionnel, mais la répartition politique et communautaire au sein de ce conseil annule son rôle.
Jusqu’au dernier moment, il n’aura pas lâché prise. Il présente une série de projets dont le tout dernier, en avril dernier, est relatif à la décentralisation.
Troubles sécuritaires
Sur le plan sécuritaire, le mandat a souffert énormément des conséquences du conflit syrien. Plus de vingt rounds ont brûlé et quasiment détruit la ville de Tripoli, une dizaine de voitures piégées sèment la panique dans le pays. Dans les camps palestiniens, la situation n’est pas meilleure. Enfin, l’afflux des réfugiés syriens pèse lourdement sur le Liban et laisse des traces sur l’économie et le social.
Dès le début de son mandat, la région du Sud a occupé une place de choix dans le cœur du chef de l’Etat. Il a rendu plusieurs visites à la région et mis en garde contre les essais de transformer le Liban en théâtre de conflits régionaux.
Visites à l’étranger
Faute de pouvoir apporter beaucoup de changements internes, avec des pouvoirs limités et amputés depuis Taëf, Sleiman choisit de renforcer la présence du Liban sur l’échiquier international. Ses visites à l’étranger ne se comptent pas.
En réponse à l’appel à la solidarité internationale qu’il a lancé pour faire face aux conséquences de l’afflux des réfugiés syriens au Liban, une conférence est tenue aux Nations unies. Le Groupe international de soutien au Liban a convenu d’appuyer le Pays du Cèdre. Mais malgré les suivis, les promesses internationales sont restées en dessous des espérances. Les conférences à Paris, destinées à l’organisation des aides, ou au Koweït, n’ont pas apporté les aides nécessaires.
Pendant son sexennat, Sleiman s’est rendu plus d’une fois en France, où il a rencontré Nicolas Sarkozy et son successeur François Hollande. Il a fait le tour des principaux pays du monde: New York et Washington aux Etats-Unis, Rome et le Vatican en Italie, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, Chypre, le Brésil, l’Arménie, la Roumanie, la République tchèque, l’Australie, le Pérou, l’Uruguay, la Grèce, la Russie, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Nigeria. Avec la Turquie, l’Iran, et les pays arabes: le Qatar, l’Arabie saoudite, la Jordanie, le Koweït, Bahreïn, Abou Dhabi, Oman et l’Egypte, il a entretenu d’excellentes relations. Il a été présent aux Assemblées générales de l’Onu, et assisté au sommet francophone au Canada.
Depuis le 25 mai, le Liban est sans président. Michel Sleiman quitte le Palais de Baabda, après un mandat controversé, salué par les leaders du 14 mars et critiqué par ceux du 8 mars. L’absence des députés du Hezbollah à la séance des adieux n’a pas manqué d’être relevée, alors que l’hommage du leader druze, Walid Joumblatt, est particulièrement éloquent: «Je pense, a-t-il dit, que Michel Sleiman va nous manquer».
Arlette Kassas
Un militaire à Baabda
Le général Michel Sleiman est né le 21 novembre 1948 à Amchit.
Diplômé sous-lieutenant de l’école militaire en 1970, il est titulaire d’une licence en sciences politiques et administratives de l’Université libanaise et maîtrise trois langues: l’arabe, l’anglais et le français.
Nommé commandant des Forces armées libanaises en décembre 1998, il succède au général Emile Lahoud, élu président de la République libanaise.
Marié à Wafaa Sleiman depuis 1973, Michel Sleiman est père de trois enfants: Rita, Lara (mariées) et Charbel.