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Nº 2964 du vendredi 29 août 2014

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L’Occident réalise, enfin, la gravité du danger. L’EI avance en Syrie et recule en Irak

Dirigée par les Etats-Unis, qui envisagent des frappes aériennes sur le territoire syrien, et soutenue par les pays européens craignant le retour de leurs ressortissants partis faire le jihad, la coalition internationale contre l’Etat islamique s’organise et intègre désormais les pays arabes menacés par l’expansion du califat. En attendant la traduction sur le terrain des opérations.

L’Etat islamique unit contre lui les ennemis d’hier. Lundi, le vice-ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir Abdollahian, a été reçu à Riyad par le prince Saoud el-Fayçal, chef de la diplomatie saoudienne. Une visite sans précédent depuis l’élection du président iranien Hassan Rohani, en juin 2013. L’Iran chiite et le royaume wahhabite, gardien des lieux saints de l’islam sunnite, qui se livrent une âpre lutte d’influence dans la région, se sont félicités que Haïdar el-Abadi ait été chargé de former un gouvernement d’union nationale en Irak dans le cadre de la lutte contre les jihadistes de l’Etat islamique (EI).
Le même jour, par la voix du chef de la diplomatie syrienne, Walid Moallem, le régime de Damas s’est déclaré «prêt à une coopération et à une coordination» avec la communauté internationale pour lutter «contre le terrorisme dans le cadre de la résolution 2170 du Conseil de sécurité de l’Onu», qui vise à empêcher le recrutement et le financement des jihadistes en Syrie et en Irak. «Y compris avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne?», lui a demandé un journaliste. «Ils sont les bienvenus», a-t-il répondu. Il a néanmoins souligné que toute frappe américaine contre les jihadistes en Syrie devra être coordonnée avec Damas, car sinon, «il s’agirait d’une agression».

 

Washington ne durcit que le ton
En réponse à l’interpellation de Moallem, la porte-parole du département d’Etat aussi bien que celui du Pentagone ont parlé d’une seule voix: «Nous n’avons aucune intention de coordonner avec le régime syrien ou l’EI. Il n’y a aucun plan pour des discussions en profondeur avec le régime Assad sur ce que nous pourrions faire ou ne pas faire en Syrie». Plusieurs rapports de think-tanks proches de l’Administration américaine ont pourtant expliqué que des échanges de renseignements ont lieu en ce moment entre Washington et Damas.
Si les régimes de Damas et de Téhéran peuvent se délecter du changement de pied de la communauté internationale à leur égard, ils se félicitent toutefois de la mobilisation générale décrétée la semaine dernière par les Etats-Unis. Le président Barack Obama avait appelé «les gouvernements et les peuples du Moyen-Orient» à lutter contre l’EI pour «extraire ce cancer afin qu’il ne se répande pas». Le lendemain, le secrétaire à la Défense, Chuck Hagel, déclarait que l’EI est «plus sophistiqué et mieux financé que tout autre groupe que nous ayons connu. Il va au-delà de tout autre groupe terroriste». Mais pour défaire l’EI, il faudra s’y attaquer «aussi en Syrie», a jugé le chef d’état-major interarmées, le général Martin Dempsey. Ben Rhodes, proche conseiller du président américain sur la politique étrangère assurait, il y a une dizaine de jours, que Washington fera ce qui est nécessaire sans être «limité par des frontières».
Des déclarations, motivées par les images de l’exécution de James Foley (voir encadré page 25), qui tardent à être suivies d’effet. Lundi, le porte-parole de la Maison-Blanche a expliqué qu’Obama n’avait pas encore pris de décision concernant les frappes sur la Syrie et qu’il préférerait former une coalition avec les Européens qui sont tout aussi menacés que les Américains et avec d’autres pays arabes alliés.

 

Bagdad appelle à l’aide
Le retournement est net mais pas total. Dimanche, Saoud el-Fayçal a présidé à Jeddah une réunion ministérielle arabe, axée sur le conflit en Syrie et la conjoncture régionale marquée par la progression de l’EI. La rencontre, tenue à huis clos, a réuni autour du ministre saoudien ses homologues d’Egypte, des Emirats arabes unis, du Qatar et un conseiller de Jordanie, représentant les pays arabes membres du comité de contact international sur la Syrie. «Les participants, qui ont examiné aussi les développements de la situation en Syrie, ont relevé une convergence de vues sur la progression de l’idéologie terroriste et extrémiste, des troubles que connaissent certains pays arabes et sur la nécessité d’agir sérieusement pour préserver la sécurité et la stabilité des Etats arabes», souligne le communiqué publié à l’issue de la réunion interministérielle. Les résultats de la rencontre seront soumis aux autres membres de la Ligue arabe.
Formé pour répondre au défi de l’EI, le nouveau gouvernement irakien réclame le soutien de tous. «L’Irak a besoin d’aide et de soutien de la part de tout le monde (…) de toutes les forces contre le terrorisme», mais pas sous la forme de troupes, car «les hommes combattants ne manquent pas», a déclaré le chef de la diplomatie irakienne Hoshyar Zebari dans une conférence de presse. Son homologue iranien Mohammad Javad Zarif, qui s’exprimait à ses côtés, a assuré Bagdad de l’aide de son pays, mais démenti toute présence de soldats iraniens en Irak. «Nous coopérons et travaillons avec le gouvernement irakien et avec le gouvernement kurde pour repousser ce groupe», a dit Zarif. «Mais nous ne croyons pas qu’ils aient besoin de la présence de soldats iraniens pour le contrer». Des rapports font pourtant état de la présence de conseillers militaires dépêchés par Téhéran, car sur le terrain les combats font rage.
En Syrie, l’Etat islamique gagne du terrain. Dimanche, il s’est emparé de l’aéroport militaire de Tabqa, le dernier bastion des forces loyalistes dans le gouvernorat de Raqqa, au nord-est de la Syrie, au prix de violents combats. 346 combattants au moins de l’EI et plus de 170 membres des forces gouvernementales ont été tués. Mis à part quelques villages encore aux mains des Kurdes, cette province frontalière de la Turquie et riche en pétrole, aux portes de Hama et d’Alep, est désormais sous le contrôle intégral des jihadistes.
En Irak, l’EI doit faire face à la résistance des Kurdes. Appuyés par l’aviation irakienne, ils ont réussi lundi à reprendre trois villages au nord-est de Bagdad, dans la province de Diyala, ainsi que l’une des routes principales contrôlées par l’EI. Les peshmergas contrôlent toutes les entrées de Jalawla, une ville stratégique située sur la route de Bagdad.
Si les frappes aériennes ne sont pas encore annoncées, les Etats-Unis sont sur le point d’envoyer des avions-espions et des drones au-dessus de la Syrie pour repérer les jihadistes ultra-radicaux et préparer le terrain, a indiqué un haut responsable américain à l’AFP lundi. Selon ce responsable, les appareils auront pour tâche d’aider le Pentagone à avoir une meilleure vue d’ensemble des positions des combattants de l’EI. La mobilisation générale sonne-t-elle le glas des jihadistes de l’Etat islamique, accusé par la haut-commissaire de l’Onu aux droits de l’homme Navi Pillay, de «nettoyage ethnique et religieux»? Les futures échéances diplomatiques, telle la reprise des négociations sur le nucléaire iranien à Bruxelles le 1er septembre, seront déterminantes.

Julien Abi Ramia

James Foley, le martyr de l’Occident
L’étau se resserre autour des jihadistes qui ont exécuté le journaliste James Foley. A en croire les informations des journaux britanniques, les investigations se porteraient désormais notamment sur un ancien rappeur londonien, parti «se battre pour l’Etat islamique en Syrie». La vidéo de l’assassinat, publiée sur Internet, avait rapidement permis d’établir que le bourreau de James Foley, qui se fait appeler John, était d’origine britannique, du fait notamment de son accent, typique d’un «anglais multiculturel londonien». Un profil qui pourrait correspondre à Abdel-Majed Abdel-Bary, alias Jihadi John, 24 ans, parti en Syrie en juillet 2013. La semaine dernière, le Pentagone avait reconnu avoir tenté, en vain, une opération pour libérer des otages en Syrie cet été. Selon le New York Times, qui rapporte les informations recueillies auprès de proches de James Foley et d’anciens otages détenus à ses côtés, les jihadistes avaient réclamé une rançon de «plusieurs millions de dollars» contre la libération du journaliste. Mais les Etats-Unis auraient refusé de verser de l’argent. Par ailleurs, Peter Theo Curtis, chercheur américain enlevé il y a deux ans par le front al-Nosra en Syrie, a été libéré dimanche, a annoncé le secrétaire d’Etat John Kerry, dans un communiqué.  

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