Le vide n’est plus l’apanage de la première magistrature de l’Etat. Il est dans nos robinets, dans nos câbles électriques, dans nos administrations publiques, souvent en grève. Il rampe, se faufile et s’installe partout. Ce savoir-faire libanais a une nouvelle fois traversé les frontières nationales et semble avoir rencontré un immense succès à l’échelle régionale. Le califat d’Ibrahim Ben Awad et Israël s’en sont inspirés pour proposer leurs propres versions «améliorées». Daech veut ainsi vider son «Etat» des minorités ethniques et religieuses, à coups de massacres, de déportations de population, dont une partie – surtout les femmes et les enfants – est réduite en esclavage. L’Etat hébreu a, pour sa part, littéralement évidé Gaza, dans l’espoir de mettre les Palestiniens à genoux. Il a échoué, alors que les hordes de Daech ont atteint, en grande partie, leurs objectifs. Israël n’a pas réussi parce qu’il a en face de lui un peuple déterminé, résolu, patient, prêt à consentir d’immenses sacrifices et à ne compter que sur lui-même. Pendant les 50 jours de guerre, Gaza était laissée à elle-même et la communauté internationale a donné à Israël le temps nécessaire pour qu’il inflige aux Palestiniens une «bonne correction». 2100 morts et 11000 blessés plus tard, ils étaient toujours debout, entre les ruines fumantes de leurs maisons, pendant que l’aviation israélienne détruisait des tours résidentielles, après avoir épuisé toutes ses cibles. Evidemment, ceux qui ont affirmé qu’Israël avait gagné sa guerre contre le Liban, en 2006, diront, volontiers, que la résistance palestinienne a été vaincue. Ces théoriciens du défaitisme ne méritent même pas qu’on leur réponde.
Daech a eu plus de succès dans son entreprise de nettoyage parce qu’elle s’est attaquée à des populations désarmées, désorganisées, qui ont placé leur sort entre les mains des Peshmergas ou de l’armée irakienne, et qui continuaient d’être bercées par l’illusion que le puissant Occident finira par les couvrir de son manteau protecteur. C’est tout juste s’il se décidera à accorder quelques visas d’asile à une poignée de sinistrés pour se donner bonne conscience. Dans ce contexte, Charles Aznavour fait preuve d’un sens politique inversement proportionnel à ses talents d’artiste. Ne sait-il pas qu’en appelant la France et les autres pays d’Europe à accueillir les réfugiés chrétiens et d’autres minorités, il fait exactement ce que Daech souhaite?
Plus qu’une mauvaise habitude, le vide est devenu une culture, un mode de pensée et d’action, qui consiste à se morfondre et à se lamenter, en attendant que les autres agissent. En se rendant au Kurdistan pour encourager les réfugiés de Mossoul et de la plaine de Ninive à ne pas perdre espoir, à ne pas abandonner leurs terres et à rester attachés à leurs racines, les patriarches d’Orient donnent le bon exemple. En appelant l’Occident à «éradiquer» Daech, ils se fourvoient. Ce n’est pas avec des raids aériens, aussi massifs soient-ils, que cette organisation sera écrasée, mais par un affrontement au sol. Et cette mission incombe, en premier lieu, à ceux qui y ont un intérêt direct.
L’Etat islamique ne sera vaincu que dans le cadre d’une stratégie régionale concertée. Les raids aériens et les livraisons d’armes ici et là n’auront qu’un effet sédatif, qui calmera la douleur, mais n’empêchera pas la propagation du mal.
Paul Khalifeh