Un marathon intensif de négociations à Vienne et d’intenses discussions n’auront finalement pas suffi à conclure un accord global sur le nucléaire iranien. Le groupe des 5+1 et l’Iran se sont accordés en revanche sur sept mois de négociations supplémentaires. D’ici là, Téhéran recevra quelque cinq milliards de dollars de ses fonds bloqués dans les banques occidentales.
Jusqu’au bout, le suspense est resté entier. Mais lundi soir, au terme de l’échéance prévue il y a un an à Genève, et de sept jours de discussions intenses et tendues, l’Iran et les grandes puissances (Etats-Unis, Chine, France, Grande-Bretagne, Allemagne et Russie) ne pouvaient faire qu’un aveu d’échec. Malgré cela, l’espoir n’est pas à remiser aux oubliettes, puisque la négociation entre le groupe des 5+1 et Téhéran s’est vu de nouveau prolongée de sept mois supplémentaires. Le marathon diplomatique aura donc, jusqu’au 1er juillet 2015, pour parvenir à un accord global sur le nucléaire iranien. Une porte de sortie honorable pour les deux camps, pour qui la survie de la diplomatie est essentielle.
Dans un discours prononcé lundi soir, le président iranien, Hassan Rohani, a ainsi affirmé que les dernières discussions de Vienne ont permis de «régler la plupart des différends». Il a assuré que son pays «poursuivrait les négociations avec sérieux jusqu’à l’obtention d’un accord final», prévenant toutefois que son pays ne renoncerait pas à ses «droits» sur le nucléaire.
Un point de vue avec lequel John Kerry, le chef de la diplomatie américaine, est visiblement d’accord, puisqu’il a, lui aussi, évoqué «des progrès importants», malgré l’absence d’entente globale.
Pour l’heure, les chances et perspectives de dialogue restent donc intactes, tout au moins jusqu’au début de l’été 2015. Mais les négociations pourraient se faire encore plus âpres, d’ici là, et ce deuxième report pourrait renforcer les intransigeants qui s’opposent à toute forme de dialogue avec l’Iran. Les Etats-Unis pourraient voir leur position se durcir avec le basculement du Congrès dans le camp républicain. Dès l’annonce de l’échec des négociations, lundi soir, des sénateurs américains se sont empressés d’exprimer leur opposition à la prolongation de l’accord intérimaire, réclamant le durcissement des sanctions à l’égard de Téhéran. Dans le camp démocrate, aussi, les choses ne sont pas complètement acquises. Hillary Clinton, possible prétendante démocrate à la Maison-Blanche en 2016, a déjà indiqué qu’aucun accord ne serait acceptable sans un démantèlement complet de toutes les centrifugeuses iraniennes. Au grand dam de Barack Obama, affaibli sur le plan interne, et qui espérait cueillir les fruits d’une normalisation avec l’Iran, un pays-clé dans un Moyen-Orient troublé. Les négociations sont prévues pour reprendre en décembre, juste avant la rentrée du nouveau Congrès. Hassan Rohani devra aussi composer et tenir sa position face aux durs du régime qui s’opposent à la moindre concession sur le programme nucléaire.
Pas de concession sur Arak
Téhéran maintient de son côté que son programme nucléaire est bel et bien pacifique. Il refuse toute concession sur le réacteur d’Arak et l’enrichissement d’uranium et réclame la levée immédiate de toutes les sanctions économiques occidentales qui plombent le pays.
En attendant, l’accord intérimaire, signé il y a un an à Genève, reste en vigueur. Le nouveau plan de négociations prévoit ainsi une première période «politique», jusqu’au mois de mars, qui serait suivie d’une phase plus concrète pour affiner les détails de l’accord global, d’ici le mois de juin. «Nous serions stupides d’abandonner», a ainsi souligné John Kerry, déterminé à obtenir le soutien du Congrès américain. Positif malgré l’échec de Vienne, le chef de la diplomatie américaine a toutefois prévenu que la négociation serait «difficile» et que le plan pourrait être remis en cause en mars, faute de progrès suffisant. Son homologue iranien, Mohammad Javad Zarif s’est, quant à lui, fendu d’un communiqué commun avec la représentante européenne Catherine Ashton, dans lequel il se dit «convaincu qu’il reste une voie crédible pour trouver une solution globale». «Nous n’avons pas besoin de sept mois, nous pouvons aller beaucoup plus vite», a-t-il ajouté, visiblement serein.
D’ici là, l’Iran continuera de bénéficier d’un dégel de ses avoirs, à hauteur de 700 millions de dollars par mois. Les Européens ont fait savoir qu’ils poursuivraient le gel de certaines des sanctions économiques. Les 5+1 ont obtenu en échange que la République islamique s’abstienne d’une partie de ses activités nucléaires.
Il n’en demeure pas moins que les différends qui subsistent, entre les deux parties, seront très ardus à régler.
L’Iran refuse toujours de réduire le nombre de ses centrifugeuses au niveau requis par le groupe des 5+1, qui souhaite s’assurer que la République islamique ne pourra pas atteindre le statut de puissance nucléaire sans lui laisser le temps d’intervenir. De leur côté, les Iraniens exigent une levée immédiate des sanctions internationales qui effritent leur économie. Alaeddin Boroujerdi, qui préside la Commission des Affaires étrangères et de la Sécurité nationale au Parlement iranien, expliquait ainsi au journal français Le Monde, le 21 novembre dernier, que «les Américains cherchent à lever graduellement les sanctions; pour nous, dit-il, c’est inacceptable. Tout doit être levé en une seule fois, les sanctions du Conseil de sécurité, celles des Etats-Unis et de l’Union européenne».
Le plan B iranien
«Parallèlement, nous devons avoir la capacité d’enrichir l’uranium». Le 11 novembre dernier, l’Iran a d’ailleurs montré sa détermination à poursuivre le développement de son programme nucléaire en concluant un accord avec la Russie, portant sur la construction de deux nouvelles centrales. Cela alors que les négociations avec le groupe des 5+1 étaient au plus tendues. D’autant que cet accord, par lequel Moscou fournira le combustible et le récupèrera après deux ans, n’exclut pas que certains éléments soient produits en Iran directement.
Autre point d’achoppement qui a abouti à l’échec des négociations de Vienne: le devenir du réacteur d’eau lourde d’Arak, auquel les Iraniens tiennent plus que tout. Ali Akbar Salehi avait fait savoir, quatre jours avant l’échec des négociations, qu’il était hors de question d’abandonner ce projet, comme demandé par les Occidentaux. L’Iran a déjà annoncé avoir fait des modifications visant à limiter la quantité de plutonium qui serait produite dans ce réacteur en construction et s’oppose à toute concession supplémentaire.
Les discussions, qui reprendront le mois prochain, s’annoncent d’ores et déjà très difficiles, surtout si chacun campe sur ses positions. En cas d’échec, il se murmure que l’Iran aurait un plan B dans son escarcelle. Un responsable iranien aurait ainsi confié à l’agence Reuters qu’«au cas où les négociations échoueraient, l’Iran renforcerait ses relations avec la Russie et la Chine». Sachant qu’au pire, si aucun accord ne voyait le jour, le pouvoir iranien pourrait sauver la face, vis-à-vis de son opinion publique, en soulignant qu’il n’a pas cédé aux exigences des grandes puissances.
Malgré cela, nombre d’experts s’accordent à dire qu’un accord devrait bel et bien voir le jour, ne serait-ce que parce qu’il est essentiel, pour la région mais aussi pour les Etats-Unis, de normaliser les relations irano-occidentales.
Jenny Saleh
Israël se félicite et menace
Israël et son Premier ministre, Benyamin Netanyahu, ont bien été les seuls à se féliciter lundi de l’absence d’accord entre Téhéran et le groupe des 5+1. Avant l’expiration de la date butoir, le ministre israélien du Renseignement, Yuval Steinitz, avait averti qu’en cas d’un accord, «nous préserverons toutes les options et tous nos droits de faire ce que nous jugeons bon pour défendre Israël». Le Times of Israël relève qu’une «fuite» aux médias israéliens a été organisée pour accentuer la pression sur les négociations en cours à Vienne. Selon celle-ci, Netanyahu et son ministre de la Défense, Moshe Yaalon, auraient ordonné en mars à l’armée de constituer une réserve budgétaire de trois milliards de dollars, pour préparer une possible offensive contre les installations iraniennes. Par ailleurs, Tsahal mettrait les bouchées doubles pour mettre au point la nouvelle version du «Hetz», un système d’interception de missiles balistiques que l’Iran pourrait tirer en représailles, en direction de l’Etat hébreu, en cas d’attaque israélienne.