Le nonce apostolique affirme que le Liban aura un président en mars et un émissaire français sonde les différentes parties libanaises après avoir effectué deux allers-retours en Iran, le dossier présidentiel bouge… dans un cercle vicieux?
Brusquement, et après des mois de stagnation, pendant lesquels l’unique développement se limitait à la comédie d’une séance parlementaire sans quorum, suivie d’une conférence de presse du chef des Forces libanaises (FL) pour tirer à boulets rouges sur son rival Michel Aoun, le dossier présidentiel s’est emballé. D’abord, le général Michel Aoun lui-même a proposé au Dr Samir Geagea de se rendre au Parlement pour que les députés puissent choisir entre eux deux. Tout en évitant de répondre directement à cette initiative, le chef des FL lui a quand même réservé un accueil positif. Tous ces détails ont donné l’impression que quelque chose bougeait dans le dossier présidentiel.
C’est dans ce cadre que des signaux positifs parviennent aux médias, concernant notamment l’amorce d’un dialogue direct entre les différentes parties chrétiennes et, en particulier, les Forces libanaises de Geagea et le Courant patriotique libre (CPL) de Aoun. Le premier a suggéré la possibilité d’une rencontre avec le général et le second a répondu que la route de Rabié est ouverte pour quiconque souhaite discuter «de la République». Les analystes ne se sont pas beaucoup arrêtés sur cette dernière phrase, préférant se concentrer sur les «développements positifs» et sur l’espoir d’une détente chrétienne qui aboutirait à l’élection d’un président. Pourtant, la petite phrase de Michel Aoun aurait dû être un indicatif de l’ampleur du fossé qui sépare les deux importantes formations chrétiennes. En évoquant un «dialogue sur la République», Michel Aoun remet sur le tapis le principe même du partenariat entre les différentes communautés, qui régit le système libanais. Cela signifie qu’il aurait voulu discuter avec le chef des Forces libanaises de l’accord de Taëf, qui consacre dans le texte la parité entre chrétiens et musulmans, mais vide celle-ci de son contenu dans la pratique politique, les lois électorales successives et le procédé des nominations administratives. Cette idée de fond a été contournée par le verbiage politique et médiatique qui en est resté à la possibilité d’une rencontre entre Geagea et Aoun et à l’amorce d’un dialogue entre eux.
Ce climat positif s’est accompagné de la visite de l’émissaire français à Beyrouth, le directeur du Quai d’Orsay pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, Jean-François Girault. Au départ, la visite avait officiellement pour titre le déblocage du dossier présidentiel, Girault s’étant rendu auparavant en Arabie saoudite et à Téhéran où il avait eu le sentiment que le climat était positif. Il avait abouti à cette conclusion lorsque le vice-ministre iranien des Affaires étrangères chargé des pays arabes, Hussein Abdellahian, lui avait conseillé de parler directement avec les Libanais.
Une fois sur place, l’émissaire français a rapidement déchanté. En discutant avec les différentes parties politiques, dont le Hezbollah, il a mesuré l’ampleur du blocage et le fossé qui sépare les deux camps. Venu à Beyrouth avec le projet d’aboutir à l’élection d’un candidat consensuel (on dit même qu’il avait trois noms en poche: Robert Ghanem, Jean Obeid et Riad Salamé), il repart en se contentant de laisser entendre que sa mission était uniquement exploratoire et qu’il avait voulu tâter le terrain et s’informer. Autrement dit, la France qui aurait souhaité enregistrer un succès politique au Moyen-Orient, au moment où elle y a perdu de nombreuses cartes dont celle de la Syrie et des chrétiens d’Orient, a rapidement compris que ce dossier n’était pas près d’être réglé.
Le Vatican, qui a à cœur les intérêts des chrétiens et qui est conscient de l’importance de préserver le rôle politique de cette communauté au Liban pour maintenir une présence chrétienne dans l’ensemble de la région, a aussitôt pris le relais. En coordination avec le patriarche maronite Mgr Béchara Raï, le nonce apostolique Gabriele Caccia a reçu une délégation de la Ligue maronite et il a fermement annoncé que le Liban aura un président en mars prochain. La date n’a pas été choisie au hasard car au printemps prochain, les hypothèses de nouveaux arrangements régionaux et internationaux devraient s’être précisées et, en principe, on devrait y voir plus clair, notamment au sujet de la consolidation des relations entre l’Occident et l’Iran. Aussitôt, les milieux politiques libanais se sont lancés dans des spéculations sur l’évolution du dossier présidentiel. Mais en réalité, l’échéance avancée par le nonce apostolique est basée sur une lecture objective des développements régionaux.
De même, la rencontre annoncée entre Geagea et Aoun ne semble pas imminente. Les deux camps estiment qu’elle n’aura pas lieu avant la nouvelle année. A ses proches, le général Aoun continue de dire qu’il n’est pas prêt à rééditer l’erreur qu’il a commise en 2008, lorsqu’il s’est laissé convaincre par le président français de l’époque, Nicolas Sarkozy, de céder la présidence au général Michel Sleiman en devenant un «president maker». On connaît la suite. Aujourd’hui, Aoun continue de penser qu’il a une chance réelle d’être élu président pour pouvoir appliquer son projet, celui de redonner du poids aux chrétiens au sein de l’appareil de l’Etat. De son côté, sans le dire clairement, Samir Geagea continue à manœuvrer dans le but de couper la voie à Michel Aoun et les signaux positifs donnés ça et là restent en superficie sans toucher au fond du problème. Sa visite spectaculaire en Arabie saoudite, où il a été reçu par le prince Moqren Ben Abdel-Aziz, l’héritier du trône, considéré modéré en comparaison de Saoud el-Fayçal et de Bandar Ben Sultan, viserait essentiellement, selon des sources politiques, à obtenir des assurances saoudiennes sur le maintien du veto au sujet de la candidature de Aoun. Geagea estime qu’il a rendu un grand service au chef du Courant du futur et par là-même à l’Arabie saoudite en acceptant à la dernière minute d’assurer une couverture chrétienne à la prorogation du mandat du Parlement, sachant que cette démarche était impopulaire notamment dans la rue chrétienne. Par conséquent, il pense qu’il doit obtenir, en compensation, des assurances sur l’impossibilité d’accepter l’élection du général Aoun à la première magistrature.
De son côté, le président Amine Gemayel espère profiter de l’antagonisme existant entre les FL et le CPL pour s’imposer en candidat acceptable. Il cherche donc à renforcer son image de leader d’ouverture, en multipliant les signaux positifs en direction du 8 mars. C’est dans ce contexte que les milieux politiques interprètent sa dernière visite au Sud et l’ouverture d’une permanence des Kataëb dans cette partie du pays, considérée le fief du Hezbollah. Le 8 mars est, certes, ravi de cette initiative du chef des Kataëb, mais pour l’instant, rien n’indique que sa position sur le dossier présidentiel a changé.
Au final, il est clair que tout bouge sans bouger et que les signaux positifs perçus ces derniers jours sont plus destinés à donner de l’espoir qu’à débloquer réellement le dossier présidentiel…
Joëlle Seif
Girault et le Hezbollah
L’émissaire français Jean-François Girault a eu beau s’entretenir avec de nombreuses parties et personnalités libanaises, c’est sa réunion avec les représentants du Hezbollah qui a le plus attiré l’attention des analystes. Après ses entretiens à Téhéran, Girault pensait pouvoir infléchir la position du parti de Hassan Nasrallah, mais il a entendu un langage clair de la part du Hezbollah qui appuie la candidature du général Michel Aoun et demande pourquoi les chrétiens n’auraient-ils pas le droit d’avoir un représentant fort à la tête de la République, alors que les autres communautés choisissent le Premier ministre et le président de la Chambre sur cette base.