«La priorité n’est pas à l’élection présidentielle. La priorité est d’empêcher une réelle guerre civile libanaise entre sunnites et chiites». Ces propos sont ceux de Samir Frangié, membre du 14 mars, dans une interview recueillie par Magazine où il revient sur les derniers développements sur la scène locale.
Où en est le 14 mars aujourd’hui?
Neuf ans après le 14 mars 2005, le mouvement est bloqué et n’arrive pas à se renouveler. Ce blocage est dû à deux facteurs. L’opposition des forces du 8 mars, dans sa dimension politique, mais aussi dans son autre aspect, qui est toute cette campagne de pression, d’assassinats, de blocages de route, de fermeture du Parlement. Le 14 mars n’a pas pu ainsi après 2005 réaliser ce à quoi il aspirait. Le deuxième facteur est la marginalisation de cette opinion publique, qui constitue l’élément nouveau de la vie politique libanaise. Cette opinion publique s’est manifestée le jour du 14 mars. Ceux qui ont participé à cette journée historique ne l’ont pas fait à l’appel d’un parti ou d’un leader politique. Ils ont assumé leur responsabilité et ont décidé, sans que personne ne le leur demande, de descendre dans la rue. Un phénomène de réduction du mouvement s’est transformé en un front de partis politiques traditionnels. La politique a été réduite à ce que le Liban connaît depuis toujours, sans aucune perspective d’avenir. Ce sont les deux raisons de ce piétinement de l’action du 14 mars.
Piétinement ou effondrement?
Je pense qu’il y a un piétinement plus qu’un effondrement par ce que le 14 mars 2005 représente dans la conscience collective de chacun. C’est un moment historique que personne n’est près d’oublier. Malheureusement, les instruments politiques qui ont voulu gérer cette révolution sont des instruments traditionnels, qui ne voient la politique que d’une méthode ancienne, en termes d’intérêts partisans et personnels, sans aucune vision. Il est hallucinant que dans cette période de changement extraordinaire que connaît la région, le débat politique reste limité à qui sera le prochain président de la République. Nous vivons une période extrêmement intense, porteuse de tous les espoirs, mais aussi de tous les dangers. La priorité n’est pas à l’élection présidentielle. Il faut empêcher une réelle guerre civile libanaise entre sunnites et chiites. La priorité pour les chrétiens n’est pas de se disputer pour savoir qui sera le prochain président de la République, mais de voir comment faire pour éviter cette guerre. En politique, quand un camp perd, l’autre est censé gagner. Nous sommes dans une situation où le 8 mars perd, mais où le 14 mars ne gagne pas.
Pourtant, le 8 mars ne s’estime pas perdant…
Avec la révolution syrienne, le projet de l’Iran de créer un nouveau Moyen-Orient sous son contrôle a pris fin. Le combat que mène le Hezbollah en Syrie ne vise qu’à retarder la chute du régime, mais ne peut en aucun cas espérer le remettre sur pied. Cette guerre est considérée par les Etats-Unis comme le Viêtnam de l’Iran et de ses partisans, c’est pour ça que les Américains laissent faire. L’échec du Hezbollah en Syrie ne signifie pas la victoire du 14 mars au Liban parce que ce mouvement n’a pas de politique d’avenir. Il s’agit de reconstruire ce pays, de définir son rôle, d’éviter de recommencer éternellement les mêmes erreurs.
Qu’en est-il de l’élection présidentielle et de la tournée du président Amine Gemayel au Sud?
Le ballet diplomatique a été motivé par un fait important qui est la décision de l’Iran de mettre fin au blocage de l’élection présidentielle. Cette décision a encouragé les Français à lancer leur initiative. Ceci s’accompagne d’un changement de position des Russes, qui ont parlé pour la première fois de la déclaration de Baabda et qui déploient des efforts qui vont dans le même sens que les Français. L’Iran et la Russie ont adopté cette attitude dans un souci de limiter les pertes. Les Iraniens ont beaucoup perdu avec la révolution syrienne. Russes et Iraniens ont également beaucoup perdu dans cette incroyable pression économique exercée sur eux avec la chute brutale du prix du pétrole. Quant à la tournée du président Gemayel à Marjeyoun, elle est positive. Le fait de dépasser ces lignes de démarcation politique établies depuis 2005, d’aller où l’on juge nécessaire est un élément positif. Sa candidature à la présidence ne pose pas de problème pour le 14 mars, même si certains considèrent que la solution réside dans l’élection d’un candidat de compromis.
Les martyrs du 14 mars sont-ils tombés pour rien?
Ils nous ont légué une grande responsabilité, celle de ne pas accepter la situation actuelle et de réfléchir à une nouvelle «intifada», pas celle de l’indépendance, mais de la paix dans cette région.
Propos recueillis par Joëlle Seif