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Nº 3023 du vendredi 16 octobre 2015

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Elias Skaff terrassé par la maladie à 67 ans. Zahlé éplorée après la mort du bey

Le jour de son 67e anniversaire, Elias Skaff est parti, comme il a vécu, dans la dignité et la discrétion, livrant une bataille impitoyable contre la maladie, qui a fini par le terrasser. Ce n’est pas seulement son épouse, Myriam Gebran Tok, et ses deux fils, Joseph et Gebran, qu’il laisse éplorés, mais toute une ville qu’il a portée dans son cœur et qui a, aujourd’hui, le sentiment d’être orpheline.
 

Elias Skaff est né à Chypre le 10 octobre 1948 dans une famille traditionnelle où la politique se transmet de père en fils depuis plus de 90 ans. Il a passé son enfance et son adolescence en Nouvelle-Zélande et n’a parlé un seul mot d’arabe, jusqu’à son retour au Liban, à l’âge de 16 ans. Il a fait des études d’agronomie à l’Université américaine de Beyrouth (AUB) et a obtenu son diplôme d’ingénieur agronome.
 

Un «zaïm» généreux
Après le décès de son père Joseph Skaff, il se présente pour la première fois aux élections législatives en 1992. Il est élu haut la main. Il est réélu en 1996, 2000, 2005, mais échoue en 2009. Extrêmement populaire, fortement attaché aux habitants de Zahlé qui le lui rendent bien, Elias Skaff était un homme de principes et de valeurs. Il n’a jamais fait partie du «système» et n’a jamais été considéré allié de Damas. Préservant les intérêts des habitants de Zahlé, il a toujours su naviguer dans les eaux troubles, conformément à ses principes. Dans une interview accordée à Magazine, il confiait que la politique était une aventure. «Ma culture de base est occidentale et c’est la raison pour laquelle j’ai un problème d’adaptation. J’ai vécu dans un monde de principes et de valeurs, alors que dans ce pays la politique est faite de mensonges et de tromperies. Il faut connaître et apprendre Machiavel pour savoir comment agir. Je suis très loin de cette ambiance».
Elias Skaff a également été ministre à trois reprises. Il fut pour la première fois ministre de l’Industrie en 2003 dans le cabinet de Rafic Hariri, puis ministre de l’Agriculture en 2004 dans le cabinet de Omar Karamé, et de nouveau à l’Agriculture en 2008 dans le gouvernement de Fouad Siniora.
En 1999, Skaff est élu vice-président du Conseil supérieur de la communauté grecque-catholique, puis réélu à ce poste en 2002. Il fonde, avec sa famille, la Ligue de la famille Skaff au Liban et à l’étranger en 2000, ainsi que la Fondation Joseph Tohmé Skaff en 2001. Il a toujours fait preuve d’un grand attachement à Zahlé qu’il considérait comme un symbole pour les chrétiens du Moyen-Orient. Son but était de la garder en dehors des clivages et des conflits qui secouent la région.
Contrairement à la majorité des hommes politiques libanais, Elias Skaff ne puisait jamais dans les caisses de l’Etat pour aider les nombreuses personnes qui frappaient à sa porte. «Elie bey» ne refusait jamais son assistance, quel que soit le bord politique ou la communauté auxquels appartenait la personne en difficulté. Il vendait ses biens personnels et ne laissait jamais repartir les mains vides ceux qui faisaient appel à sa bonté et à sa générosité. Au-delà des divisions sectaires et politiques, Elias Skaff a su rester un véritable «zaïm», droit et honnête, qui n’a jamais su emprunter les dédales de la politique libanaise. Ses adversaires ont pu l’écarter de la politique momentanément, mais ils n’ont jamais réussi à le remplacer en tant que leader. D’ailleurs, l’expression que répétaient les Zahliotes résonne encore: «Seul Elias Skaff représente Zahlé et seul Elias Skaff représente Elias Skaff».
Son tragique départ laisse un grand vide, difficile à combler, et pose le problème du leadership de la famille Skaff à Zahlé, alors que ses enfants, Joseph et Gebran, sont encore trop jeunes pour lui succéder et faire leur entrée en politique. Son attachée de presse, Névine Hachem, raconte à Magazine ses derniers jours. Elle parle du sourire qu’il affichait continuellement, de sa manière de ne jamais se plaindre et de sa façon de s’excuser auprès des infirmiers pour le dérangement qu’il leur causait. A tous ceux qui venaient lui rendre visite, il demandait des nouvelles de leurs familles. «Il était totalement conscient jusqu’à la dernière semaine. C’est comme si Dieu lui donnait l’occasion de faire ses adieux à sa famille et à ses proches». Sa volonté est que sa femme prenne la relève, jusqu’à ce que les enfants grandissent et qu’elle les élève dans la tradition des Skaff. «Elie lui a demandé de garder la maison ouverte comme par le passé, de continuer à aider les gens, d’être présente à leurs côtés. Il a demandé à son fils Joseph, 16 ans, d’être fort et qu’il comptait sur lui. «Je compte sur toi, lui a-t-il dit. Tu es l’homme de la famille et tu dois prendre soin de ta mère et de ton frère». A Gebran, le plus jeune, il demande de «rester unis car c’est l’union qui fait la force».
Il y a plus d’un an, en juillet 2014, profitant d’un court répit entre deux séances de chimiothérapie, Elias Skaff se rend une dernière fois à Zahlé. L’accueil qu’il y a reçu et l’affection que les Zahliotes lui ont témoignée n’ont pas cessé de le faire pleurer. Mais ce mercredi, c’est Zahlé tout entière qui a pleuré son Bey, qui rentrait pour la dernière fois chez lui, auprès de «la mariée de la Békaa».

Joëlle Seif

En 1993, le coup de foudre
En 1995, Elias Skaff épouse Myriam Gebran Tok qu’il avait rencontrée au cours d’un déjeuner à Ouyoune Orghoch, organisé par le père de Myriam, l’ancien député Gebran Tok. A cette époque, Elias Skaff présidait la Commission parlementaire de l’Agriculture. Dans un entretien avec Magazine, il confiait: «Pour moi, ce fut un coup de foudre instantané. C’étaient les plus beaux jours de ma vie. Je n’avais pas vraiment vécu avant Myriam et nous avons connu ensemble deux années d’amour, de voyages et de romance avant de nous marier en juin 1995». Très proche de ses enfants, il leur consacrait beaucoup de temps, surtout les dimanches qu’il essayait de passer en famille le plus souvent possible, ainsi que les voyages qu’ils faisaient tous ensemble. «J’estime que les enfants doivent passer du temps avec leurs parents. Cela est beaucoup plus important que tout ce qu’on leur enseigne à l’école. L’esprit de famille se vit et ne s’apprend pas», disait-il. Aujourd’hui, c’est à Myriam de continuer seule le chemin, d’assurer la «régence» et de préparer ses fils à la lourde tâche, celle de prendre la succession d’un véritable «zaïm» comme Elias Skaff.

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