L’Armée libanaise a procédé au démantèlement de nombreuses cellules terroristes, ainsi qu’à des arrestations dans les milieux salafistes au Liban. Ceci a permis de mettre fin, pour le moment du moins, à la vague d’attentats terroristes ayant frappé le pays. Mais la fuite de certaines personnalités salafistes traditionnelles laisse un vide pouvant être exploité par des protagonistes plus radicaux.
Parmi ces arrestations, les plus remarquées ont été celles d’Ola Okaili, la femme d’un haut responsable du Front al-Nosra dans le Qalamoun, Abou Ali el-Chichani, et de Suja el-Dulaimi, l’ex-femme d’Abou Bakr el-Baghdadi, le chef de l’Etat islamique (EI). Dulaimi est accusée d’avoir été impliquée dans la vague d’attentats terroristes ayant récemment frappé le Liban. Selon des sources bien informées, elle aurait fait la navette entre Dennié-Nahr el-Bared et Tripoli, la Békaa, Sidon et Aïn el-Heloué, afin d’assurer le financement de cellules terroristes dormantes.
Un autre militant, Mahmoud Ahmad Abou Abbas, a été arrêté au cours du mois de décembre à Majdel Anjar, dans la Békaa. Ce militant aurait facilité le transfert de kamikazes et de voitures piégées du Qalamoun syrien au Liban, et serait impliqué dans l’assassinat du ministre Mohammad Chatah en 2013, selon al-Mayadeen et al-Manar, deux stations de télévision proches du Hezbollah.
Selon une source salafiste s’exprimant sous couvert d’anonymat, Abou Abbas «est un jeune plutôt calme tombé sous l’influence du groupuscule jihadiste de Majdel Anjar». Ce n’est pas la première fois que cette petite ville de la Békaa, proche de la frontière syrienne, attire l’attention des autorités. Dans les années 2000, des dizaines d’habitants de Majdel Anjar sont allés combattre, avec la bénédiction des services de renseignements syriens, en Irak aux côtés d’Abou Moussab el-Zarqaoui, père spirituel de l’Etat islamique (EI) qui, à l’époque, dirigeait al-Qaïda au Pays du Rafidain. En 2011, Darwiche Khanjar, un délinquant du village se disant salafiste, accusé d’avoir tué plusieurs soldats en 2010, est abattu par les Forces de sécurité intérieure (FSI). Khanjar est également accusé d’être impliqué dans l’enlèvement des sept touristes estoniens près de Zahlé au cours de la même année. En 2012, de nombreux appels au jihad ont été lancés par des imams de Majdel Anjar, ainsi que de villages voisins comme Kamed al-Loz.
Arrestations à Tripoli
Selon la source salafiste, l’arrestation d’Abou Abbas met en exergue le fait que «les anciens militants ayant combattu en Irak servent de référence à la nouvelle génération qui soutient de plus en plus l’Etat islamique. La facilité d’accès aux sites des mouvances radicales, la poussée de l’EI en Syrie et en Irak et la formation d’une coalition internationale contre la mouvance n’ont fait que renforcer le soutien de ces jeunes aux organisations radicales», ajoute-t-elle.
La ville de Tripoli, autre bastion salafiste, a, elle aussi, été frappée par une vague d’arrestations. Le Liban-Nord a connu de nombreux affrontements entre l’Armée libanaise et un groupuscule dirigé par des militants affiliés, tel Chadi Maoulawi, selon des sources militaires s’exprimant sous couvert d’anonymat, aux mouvances radicales syriennes comme al-Nosra et l’EI, les derniers ayant eu lieu durant le mois d’octobre. Les clashs s’étaient propagés à Bhanine, où des partisans du cheikh Khaled Hoblos s’étaient attaqués à l’armée. Khaled Hoblos et Chadi Maoulawi font actuellement l’objet de mandats d’arrêt.
Trois écoles salafistes
D’autres membres de la communauté salafiste notamment le cheikh Omar Bakri, Hussam Sabbagh, chef d’une milice de Tripoli, et Jaafar el-Chahhal, fils du leader salafiste le cheikh Daï el-Islam el-Chahhal, ont également été arrêtés.
Ces arrestations seraient justifiées aux yeux des salafistes modérés qui critiquent cependant l’émission de mandats d’arrêt contre des figures traditionnelles comme le cheikh Daï el-Islam el-Chahhal. Selon les sources salafistes, de nombreuses arrestations sont tout à fait justifiées. «Toute personne liée à la vague d’attentats terroristes, notamment ceux perpétrés contre l’Armée libanaise, devrait être arrêtée. Cependant, l’appréhension de membres de la communauté qui ont, par ailleurs, été encouragés à s’armer par les politiques, ou ayant des positions modérées, serait contre-productive à long terme», signale le cheikh salafiste Nabil Rahim.
Aux barrages de l’armée, les islamistes font l’objet de suspicion, sans distinction faite des diverses écoles de pensée auxquelles ils adhèrent, estime une source tripolitaine. Les écoles salasfites libanaises seraient au nombre de trois. Les quiétistes sont largement apolitiques et cherchent à unir les musulmans sous la bannière de l’islam; les réformateurs, auxquels appartient une grande partie des cheikhs au Liban, sont politiquement actifs, alors que les jihadistes militants ne représentent qu’une minorité. «Certaines poursuites à l’instar de celles engagées contre le cheikh Daï el-Islam el-Chahhal (la plus haute instance salafiste au Liban) vont très certainement provoquer une contre-réaction», souligne la source salafiste. Le mois dernier, un mandat d’arrêt avait été émis à l’encontre des cheikhs Chahhal et Bilal Dekmak, chez qui des armes entreposées par le premier avaient été trouvées. Tous deux sont actuellement à l’étranger.
«La rue sunnite en a assez des positions politiques contradictoires (vis-à-vis du Hezbollah et des salafistes)», déclare le cheikh salafiste Adnan Oumama.
L’exil forcé ou l’arrestation de personnalités salafistes relativement «modérées» ne ferait qu’aggraver les tensions à Tripoli, la scène politique libanaise étant déjà en ébullition en raison des clivages communautaires, liés en partie à la guerre en Syrie. Ce danger est démultiplié par l’attrait de plus en plus grand des mouvances radicales comme l’EI ou le Front al-Nosra qui s’exerce auprès des jeunes désœuvrés, en manque de repères, dans la Békaa ou à Tripoli. «Le vide laissé par des figures modérées pourrait être exploité par des cheikhs et des mouvances plus radicales», met en garde le cheikh Rahim.
Dans cette optique, la rencontre amorcée entre le Hezbollah et le Courant du futur est la bienvenue, dans l’espoir qu’un éventuel accord entre les deux partis − principaux représentants des communautés sunnite et chiite − permettrait de rétablir un certain degré de cohésion au niveau national.
Mona Alami
Un camp pour les familles des jihadistes
Des sources militaires, citées par le quotidien as-Safir, rapportent qu’un camp qui abriterait les familles des jihadistes combattant l’Armée libanaise aurait vu le jour dans le jurd de Ersal, dans la Békaa.
Ce camp est distinct de celui abritant des réfugiés syriens à l’intérieur de la ville. Son existence aurait été dévoilée à la suite des interrogatoires de plusieurs contrebandiers qui approvisionnaient les familles du camp.
Il y a quelques jours, l’armée a annoncé des mesures restrictives qui prendront effet le mois prochain, obligeant toute personne, de nationalité libanaise ou syrienne, désirant se rendre dans la région du jurd, à obtenir au préalable un laissez-passer des services de renseignements de l’armée.