Les mots ne sont pas assez forts pour condamner le terrible massacre perpétré mercredi dans les locaux de la rédaction de Charlie Hebdo, en plein cœur de Paris. Quelle que soit l’opinion que l’on puisse porter à la ligne éditoriale de cette publication, souvent accusée d’avoir exacerbé l’islamophobie en France, aucune circonstance atténuante ne peut justifier ce crime odieux. Car, ne l’oublions jamais, le principal pilier de la liberté d’expression est de pouvoir consulter toutes les idées sans être forcément contraint d’y adhérer et, aussi, en ayant toujours la possibilité de les critiquer.
L’enquête vient tout juste de commencer mais on peut, d’ores et déjà, formuler quelques observations. Le choix de la cible n’est pas fortuit ou arbitraire, il est, au contraire, éminemment politique. Comme en septembre 2001, les terroristes ont frappé un symbole de l’Occident, économique à New York, culturel à Paris. C’est, pensent-ils, un investissement d’avenir, qui leur permettra d’attirer de nouvelles recrues partout dans le monde. Le déroulement de l’attaque montre, sans l’ombre d’un doute, que les assaillants ne sont pas des amateurs. Non seulement ils ont suivi un entraînement militaire, mais ils semblent également avoir fait leur baptême du feu sur l’un des nombreux champs de bataille éparpillés en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. La façon de tenir leur arme, leur manière de se déplacer, leur sang-froid, la planification de l’attaque et du repli sont autant d’indices qui le confirment. Il s’agit d’un scénario inattendu. Les services de renseignements occidentaux s’attendaient à des attentats commis par des «lone wolf», ce fameux «loup solitaire», qui agit seul, sans véritable préparation, en choisissant sa cible arbitrairement, à l’instar des attentats contre le restaurant de Sydney, le Parlement canadien ou, encore, contre des agents de police, comme cela s’est produit à New York, le 23 octobre dernier. L’attaque contre le siège de Charlie Hebdo porte plus la signature d’al-Qaïda que de Daech. Elle prouve que la menace terroriste est bien plus grave que ne l’imaginaient les services de renseignements. Des cellules dormantes, bien organisées, motivées, disposant d’une bonne logistique, y compris des bases de repli, existent en France et, sans doute, dans la plupart des pays occidentaux. Faut-il s’en étonner? Pas le moins du monde. C’est, en effet, la conséquence inévitable du «printemps arabe», dont le principal résultat est non pas d’avoir accordé la liberté aux peuples, mais d’avoir provoqué l’effondrement des Etats et l’implosion des sociétés. Et, on ne le dira jamais assez, le terrorisme de type islamiste ne peut se développer et prospérer que lorsque le pouvoir central s’effondre ou s’affaiblit. Cela s’est produit en Somalie, au Yémen, en Libye, en Irak et en Syrie. Dans d’immenses sanctuaires, parfois affublés du titre de «califat», les chefs du jihad mondial ont eu tout leur temps pour former des légions de terroristes, composées de dizaines de milliers de fous furieux, recrutés dans plus de 80 pays, dont près de 8000 ressortissants occidentaux. Une partie d’entre eux est certainement rentrée pour mettre en pratique ce qu’elle a appris.
D’autres attentats auront lieu dans les pays qui ont encouragé la migration des extrémistes vers les «terres promises du jihad», ou qui ont tardé à réagir face à ce phénomène, pourtant visible dès le départ.
Pour éradiquer ce mal, il faut mettre un terme au processus de démembrement des Etats et reconstruire le pouvoir central là où les «révolutions» l’ont remplacé par la loi de la jungle.
Paul Khalifeh