L’attaque terroriste ayant visé le magazine satirique Charlie Hebdo a marqué la France entière, la semaine dernière. Cette attaque reflète une mutation de la scène jihadiste française ainsi qu’internationale. Magazine interroge Karim Emile Bitar, chercheur auprès de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
Depuis le début de la guerre en Syrie, on s’attend à des attaques terroristes menées par une nouvelle génération de jihadistes ayant combattu en Irak ou en Syrie. Le danger est cependant venu de l’intérieur, d’une seconde génération de jihadistes ayant été impliquée dans la guerre d’Irak de 2003, cela ne vous étonne-t-il pas?
Je suis persuadé que le tournant ayant marqué la radicalisation de ces jeunes est l’invasion de l’Irak en 2003, donc bien avant la publication des caricatures du Prophète. On a l’impression que deux dimensions se télescopent, l’une de nature géopolitique, l’autre sous forme de guerre culturelle et contre la liberté d’expression.
A votre avis, l’attaque contre Charlie Hebdo démontrait-elle un certain niveau de professionnalisme?
L’impression est que c’est un mélange d’opérations lone wolf (loup solitaire) dénotant un certain professionnalisme. Les suspects se sont attaqués aux bureaux de Charlie Hebdo pendant une réunion de la rédaction. Ils savaient que tout le monde serait là. A titre d’exemple, l’économiste Bernard Maris ne s’y rendait que tous les deux mois.
Le parcours de ces terroristes semble refléter une convergence de diverses influences et de filières jihadistes. Cela est-il inédit?
C’est un jihadisme à la carte. On a l’impression que les jihadistes aujourd’hui choisissent les causes et les filières qui les intéressent au gré de leurs envies. Il y a une certaine porosité dans les affiliations. On a vu des gens qui passent du Front al-Nosra à Daech (Etat islamique). L’Occident doit donc repenser la guerre contre le terrorisme, qui a démultiplié les foyers de violence et facilité l’auto-radicalisation de tous les enfants perdus de l’Occident. Le terrorisme est une tactique qui a été utilisée par de nombreuses mouvances comme les anarchistes, entre autres, mais qui cache des revendications politiques. Pour ce qui est des jihadistes, on ne peut plus mettre tout le monde dans le même panier en passant du Hezbollah, aux Frères musulmans et à al-Qaïda. Il faut revenir à une analyse plus locale. Les guerres d’Irak et d’Afghanistan ont servi de véritables laboratoires aux mouvances radicales. Il faut assécher ce terreau fertile en termes géopolitiques. Il y a également l’aspect psychologique, 25% des jihadistes sont des convertis appartenant à des familles occidentales souvent athées. On assiste à une individualisation des trajectoires en passant des paumés désorientés, à ceux qui possèdent une éducation religieuse. La plupart ont toutefois une grande sensibilité et ont été marqués par des images comme celles des tortures ayant eu lieu dans la prison d’Abou Ghraïb, en Irak. Pour ce qui est des filières, elles sont de moins en moins claires. En Afghanistan, cette dimension était plus prégnante, avec les Arabes afghans, qui avaient fait la guerre dans ce pays, alors qu’à présent elle est noyée par le produit Internet et la mondialisation.
Comment combattre ce nouveau type de terrorisme qui semble de plus en plus difficile à cerner?
La réponse internationale au terrorisme a montré ses limites tant par le biais du hard power des années 2003 (en Irak) que par le soft power en 2014, face à Daech. Il faut miser sur les services de renseignements et la police qui sont bien mieux formés pour ce type de guerres. Il faut également renforcer le renseignement humain. Le problème réside dans le fait que la France manque d’effectifs. Ce sont des questions sur lesquelles nous avons besoin de nous pencher.
Propos recueillis par Mona Alami