Magazine Le Mensuel

Nº 2984 du vendredi 16 janvier 2015

general

Yves Nawfal, mort pour rien. Que justice soit faite!

La soirée d’anniversaire du jeune Yves Nawfal, qui fêtait ses 26 ans avec des amis dans un pub à Faraya, a tourné au drame. Victime d’un crime abject, commis par des jeunes sans foi ni loi qui courent toujours, dans un scénario qui dépasse la fiction, l’assassinat d’Yves Nawfal choque la famille, les proches et l’opinion publique. Les réseaux sociaux s’enflamment sur les thèmes «Justice pour Yves» et «Je suis Yves». Le principal accusé, Charbel Khalil, a été arrêté à Brital, mercredi soir, par les forces de l’ordre. Les autres courent toujours.

En sortant avec ses copains ce jour-là pour célébrer son anniversaire, Yves Nawfal ne savait pas que ce serait sa dernière soirée. Le lendemain, il ne coupera pas son gâteau avec ses parents et sa famille avec qui il avait prévu de passer la journée. Les cadeaux qu’il a reçus, il ne les ouvrira pas. Pourtant, tout avait bien commencé cette nuit-là au Powder. Ce n’est qu’à la fin de la soirée qu’une dispute éclate entre les amis d’Yves et ceux de Charbel Georges Khalil, pour une bêtise, à cause d’une fille. Celle-ci croyait qu’on lui adressait la parole, alors qu’elle n’était pas du tout concernée. «Une bagarre limitée s’en suit. Yves reçoit une chaise sur la tête et, pour se défendre, il renvoie un coup à Charbel G. Khalil», raconte à Magazine Jad Choueiri, artiste et producteur, cousin d’Yves Nawfal. Le propriétaire du pub, Charbel Sabbagh, tente de calmer les deux groupes, mais Charbel Georges Khalil ne décolère pas. Certains l’entendent même proférer à haute voix à l’adresse d’Yves Nawfal: «Tu ne sortiras pas d’ici vivant». Malgré son ton sérieux, aucun des présents ne semble prendre cette menace au sérieux. La soirée tire à sa fin. Lorsqu’Yves et ses amis veulent sortir, Charbel G. Khalil se dresse devant la porte et les empêche de quitter les lieux, affirmant qu’il avait contacté les services de renseignements de l’armée qui doivent arriver. L’attente s’éternise. Avec l’aide du propriétaire du supermarché se trouvant à proximité, Charbel Sabbagh, Yves Nawfal et ses amis sortent par la porte arrière du pub. Une fois dehors, deux voitures, celles de Charbel G. Khalil et de son ami Edwin Azzi, barrent la route à celle d’Yves et à celle de ses amis. Après quelques manœuvres, les jeunes gens réussissent à se frayer un chemin sur la voie parallèle enneigée et à quitter les lieux, entamant leur descente vers Faraya. Des témoins affirment avoir entendu Charbel G. Khalil appeler quelqu’un et lui donner le signalement des voitures, à bord desquelles se trouvaient Yves Nawfal et Saba Nader. On connaît la suite du drame. A peine ont-ils roulé sur trois kilomètres, ils sont appréhendés par des voyous dont Charbel Moussa Khalil et Juliano Saadé, les criminels appelés par Charbel Georges Khalil. Les deux voitures, cibles des tirs de mitraillettes, sont criblées de balles. Saba Nader est atteint au bras et Yves Nawfal de douze balles dans tout le corps. Lorsqu’il est amené au chalet, en attendant l’arrivée de la Croix-Rouge, Yves est toujours conscient. Il est transporté à l’Hôpital Saint-Georges à Ajaltoun. Il est opéré, mais il succombe à ses blessures. Dans le dernier message qu’il a adressé à sa mère, Yves écrivait: «Je suis comblé maman, je t’aime».
Assassiné dans la fleur de l’âge, Yves laisse derrière lui une sœur, récemment mariée, une mère éplorée et un père qui ne tient pas le coup. «Je n’essaie pas d’embellir la réalité, mais Yves était un jeune homme exceptionnel, un garçon brillant, qui n’a jamais fait de mal à personne. Il a reçu douze balles des tireurs dont je ne connais pas les noms. Des balles qui explosent dans le corps et font souffrir. Yves a souffert pendant quatorze heures avant de mourir. Il aurait été plus facile si on lui avait tiré une balle dans la tête qui l’aurait tué sur-le-champ. C’est de la barbarie. On ne peut pas imaginer qu’une histoire pareille puisse arriver dans un village du Kesrouan. C’est comme si nous vivions dans une jungle», témoigne Jad Choueiri, essayant de maîtriser son émotion malgré le choc et l’ampleur du drame.
La famille ne crie pas vengeance. Tout ce qu’elle désire c’est que justice soit faite. «Nous n’appelons pas à la vengeance. Cela ne fait partie ni de nos mœurs, ni de notre tradition, ni de notre éducation. Notre culture c’est le pardon. Les assassins ont dû être élevés dans un milieu dont les valeurs sont différentes des nôtres. Ils sont victimes de leur milieu. La photo qui m’a le plus choqué est celle où Charbel Khalil apprend à son fils de trois ans à tirer».
S’il est clair que la famille ne cherche pas à se venger, elle accuse l’Etat et ne lui pardonne pas son attitude. «Alors que les criminels sont tous connus, l’Etat ne fait absolument rien pour les arrêter. Personne n’a été interpellé dans cette affaire. Aucun des présents dans le pub n’a été appréhendé par les services de sécurité. Au contraire, leurs photos s’étalent fièrement sur les réseaux sociaux. C’est inadmissible». Certains avancent le fait que les suspects sont protégés par des personnes influentes dans la région. Plusieurs noms sont cités, ceux du président de la municipalité de Faraya, Nidal Khalil, de l’ancien député Farid el-Khazen et de l’ancien ministre Farès Boueiz. Tous les trois ont démenti avoir une quelconque relation dans cette affaire, affirmant ne pas protéger les criminels et appelant ces derniers à se rendre. Malgré ces protestations, il est indéniable que les suspects bénéficient de protections occultes. Charbel Georges Khalil n’est pas un inconnu des services de sécurité et il existe douze mandats d’arrêt contre lui! Bien qu’il possède un impressionnant nombre d’armes à feu, qu’il exhibe fièrement sur les réseaux sociaux, il n’a jamais été inquiété. Il y a un an, ce voyou avait aussi tiré sur quelqu’un sans être appréhendé. «S’il avait été arrêté, Yves serait encore en vie», souligne Jad Choueiri.
S’il y a pire que la mort, c’est mourir pour rien. Pour la mémoire d’Yves, pour celle d’Eliane Safatli tuée d’une balle dans la tête à Kaslik, pour leurs familles et amis, pour tous ces jeunes, pour tous les citoyens libanais qui vivent dans l’insécurité, il faut que l’Etat libanais fasse preuve d’intransigeance. «Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde», disait Camus. Pour que nous n’ayons plus le sentiment de vivre dans une jungle, il faut que les criminels comparaissent devant un tribunal et que justice soit faite.
 

Joëlle Seif

Au mauvais endroit au mauvais moment
Si Yves Nawfal a été froidement abattu par une bande de voyous, Eliane Safatli, 20 ans, quant à elle, a pour seul péché, celui de s’être trouvée au mauvais endroit au mauvais moment. Sortant d’une boîte de nuit à Kaslik, où elle veillait avec sa sœur jumelle Joëlle, elle reçoit une balle dans la tête et meurt sur le coup. Comment et pourquoi? Parce qu’un militaire, accompagné de quelques amis, se voyant refuser l’accès à la boîte de nuit, retourne à sa voiture, sort une arme et tire des coups dans l’air. L’une des balles touche Eliane à la tête. Il sera arrêté par les services de sécurité dans la région de Jnah.

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