L’attaque par le Hezbollah d’un convoi israélien patrouillant dans le secteur occupé des Fermes de Chebaa a provoqué la réplique immédiate de l’armée israélienne qui a bombardé, mercredi, des villages frontaliers, faisant craindre une escalade militaire. Mais il est peu probable que la région glisse dans une guerre totale.
Il est 11h25, ce mercredi matin, quand des roquettes antichars visent un convoi militaire israélien composé de plusieurs véhicules, aux Fermes de Chebaa, à proximité du village de Ghajar, dans le secteur occupé par Israël. Le tir de missile «a été accompagné de tirs très nourris à courte portée» contre les occupants du convoi dans la zone de Har Doy», indique l’armée israélienne dans un communiqué diffusé sur Twitter.
Les représailles israéliennes ne tardent pas. Presque aussitôt après l’attaque, l’armée israélienne tire une centaine d’obus sur plusieurs villages frontaliers du Liban-Sud, où se trouvent des positions de l’Armée libanaise et de la Finul, faisant craindre le pire à la population. Un Casque bleu espagnol trouvera d’ailleurs la mort dans ce bombardement vengeur.
Après l’attaque, les plus folles rumeurs circulent, faisant craindre aux Libanais le pire, voire une réédition de la guerre de juillet 2006. On évoque d’abord la capture d’un soldat israélien par le Hezbollah, ce qui sera vite démenti par le porte-parole de l’armée israélienne, Peter Lerner, sur son compte Twitter.
Pour la Résistance, l’objectif est atteint. Selon le Hezbollah, qui revendiquera très vite l’attaque au nom du Groupe des martyrs de Qoneitra de la Résistance islamique, «plusieurs véhicules ont été détruits et des victimes sont tombés dans les rangs de l’ennemi». Si dans un premier temps, les bilans avancent entre quatre et quinze morts parmi les soldats israéliens, il sera finalement réduit à la baisse dans l’après-midi, avec deux morts et sept blessés.
Une réponse calculée
L’attaque de mercredi intervient comme une réponse calculée du Hezbollah au raid israélien sur Qoneitra, le 18 janvier, qui avait tué six membres du parti − dont le fils de Imad Moughnié − ainsi qu’un général iranien. Lors des funérailles de ses combattants, la Résistance comme l’Iran avaient tous deux promis que ces morts ne resteraient pas impunies. Voilà qui est chose faite.
Les Libanais ont, toute la journée de mercredi, retenu leur souffle, craignant une escalade de la tension et une réédition de la guerre de juillet 2006. D’autant que les dirigeants israéliens ont multiplié, toute la journée, les déclarations dans ce sens. Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, a ainsi averti que l’armée était prête «avec force sur tous les fronts» après l’attaque. Son ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, en déplacement à Pékin, déclare de son côté qu’Israël devrait répondre de manière «forte et disproportionnée».
Menaces verbales
Plus tard, Netanyahu avertit que cette attaque ne restera pas sans réponse. «A ceux qui nous défient au Nord, je leur conseille de regarder ce qui est arrivé dans la bande de Gaza», assène-t-il, alors que l’Union européenne, les Etats-Unis et les Nations unies appellent à la retenue. En fin d’après-midi, les choses se calment un peu. Le porte-parole de l’armée israélienne laisse entendre que la riposte israélienne est pour l’heure terminée. «Nous avons répondu à l’escalade du Hezbollah, l’armée continuera à agir pour protéger Israël». Depuis le raid de Qoneitra, que l’Etat hébreu n’avait ni revendiqué ni démenti, on s’attendait du côté israélien à une riposte du Hezbollah. Des batteries du dôme de fer avaient même été mises en place à proximité de la Ligne bleue mercredi matin, tandis que la flotte israélienne intensifiait, ces derniers jours, les survols aériens sur le Liban. Les patrouilles israéliennes s’étaient aussi multipliées le long de la frontière, notamment dans la zone du village de Za’rit, après que les habitants se sont plaints de bruits suspects leur laissant supposer le percement de tunnels par le Hezbollah.
Assistera-t-on dans les jours qui viennent à une nouvelle escalade des tensions à la frontière? Pas si sûr, selon de nombreux analystes. Car le Hezbollah, quoi qu’on en pense, reste un parti rationnel. D’ailleurs, le lieu même où l’attaque a été lancée le prouve. La Résistance a ainsi pris le parti de répondre au raid de Qoneitra sur un territoire libanais occupé par Israël, les hameaux de Chebaa, et non sur les terres israéliennes. Aurélie Daher, spécialiste du Hezbollah et chercheuse sur le Moyen-Orient, estimait sur RFI que le Hezbollah était contraint de répondre à l’attaque israélienne pour des raisons de crédibilité et de souveraineté. «Il fallait prouver à la population libanaise, dans une logique du Hezbollah, que ce parti continue bien à protéger le territoire libanais comme il le prétend», dit-elle. Par ailleurs, le Hezbollah avait pour objectif de recadrer son ennemi de toujours, après les raids israéliens en territoire syrien. Lui rappeler, en quelque sorte, les règles, alors qu’Israël s’invite dans le conflit syrien et fait le jeu des rebelles syriens.
Du côté israélien, aussi, on n’a pas vraiment intérêt à entrer dans une nouvelle guerre au sud du Liban. Déjà, mercredi, les Etats-Unis ont fait savoir, par la voix de Barack Obama, que l’on n’était pas favorable à une guerre dans cette région. Mais des considérations internes à l’Etat hébreu entrent en ligne de compte. Benyamin Netanyahu est en pleine campagne électorale, il n’a pas intérêt à se lancer dans une aventure guerrière qui pourrait lui coûter sa réélection. Car des précédents parlent d’eux-mêmes. Chaque fois qu’un dirigeant israélien s’est lancé dans une grande offensive contre le Liban, il a perdu les élections. En 1996, Shimon Peres avait perdu, après l’opération Raisins de la colère, tout comme Ehud Olmert, dont la carrière politique a été littéralement anéantie après la guerre de juillet 2006.
Jenny Saleh
Réactions libanaises
Réagissant à l’attaque surprise du Hezbollah contre un convoi israélien dans les Fermes de Chebaa, le Premier ministre Tammam Salam a indiqué que «l’escalade israélienne dans les régions frontalières vise à ouvrir la porte à de graves événements qui ne sont pas dans l’intérêt de la paix et de la stabilité dans la région». «Le Liban tient à la résolution 1701 du Conseil de sécurité».
Le chef de la diplomatie libanaise, Gebran Bassil, a condamné de son côté «le bombardement qu’a subi le Liban de la part d’Israël en réponse à l’opération faite depuis les Fermes de Chebaa à l’extérieur de la Ligne bleue».
Le ton est en revanche très différent chez Samir Geagea, le leader des Forces libanaises. «L’armée pourrait subir les conséquences, alors qu’elle n’a pris aucune décision sur ce sujet, de même que le peuple libanais», a-t-il regretté. «Nous nous attendions à tout, sauf à ce que la réponse se fasse à partir du territoire libanais». «Comment le Hezbollah se permet-il de faire subir à tout le peuple libanais les conséquences de ses décisions, alors qu’au même moment, il entame un dialogue avec le Courant du futur?», a aussi lancé Samir Geagea.
Pour le Moustaqbal, justement, «toute action pouvant impliquer le Liban dans ce qui ne sert pas ses intérêts et qui ne bénéficie pas d’une unanimité de sa part» doit être rejetée. «Les décisions d’ordre national, notamment celles de guerre et de paix, relèvent du Conseil des ministres et aucune partie n’a le droit de réquisitionner la volonté du peuple libanais ni de remplacer ses institutions constitutionnelles», a déclaré le bloc parlementaire du Futur.
Walid Joumblatt a choisi Twitter pour s’exprimer, jugeant qu’il «semble que nous entrions dans une phase de grands bouleversements». «La cause principale est la folie israélienne, précisément celle de Netanyahu qui, à travers l’opération de Qoneitra, voudrait renforcer sa position à la lumière des élections, comme il l’a fait à Gaza».