Le compromis trouvé entre les 191 employés licenciés et la direction du Casino du Liban, qui met un terme à la grève, ne masque en rien l’impéritie de la gestion d’un établissement public plombé par des années de gabegie financière et de passe-droits d’ordre politique.
Lundi en fin de soirée, les syndicats des employés et le conseil d’administration du Casino du Liban ont abouti à un accord qui a mis fin au blocage de l’établissement. Les 191 employés licenciés, qui contestaient l’injustice de la décision de les remercier du jour au lendemain, ont obtenu de la direction que leurs dossiers soient examinés au cas par cas. Tous ceux qui suivent le dossier s’accordent à dire que, contrairement à ce qu’a laissé entendre l’administration ces derniers jours, tous les emplois concernés n’étaient pas fictifs, au moins pour une cinquantaine d’entre eux. Le conseil d’administration s’est engagé à revaloriser les indemnisations qui seront versées aux employés licenciés en fonction de l’ancienneté et de l’expérience. Les personnes malades seront transférées devant une commission médicale qui examinera leur cas et toute personne atteinte d’une maladie chronique restera employée du casino. Par cet accord, les licenciés pourront négocier avec la direction du casino qui, elle, met fin à une grève d’une semaine qui lui a fait perdre plus de trois millions $, selon les chiffres qu’elle a avancés.
Encore une crise sociale réglée à coups de pressions tous azimuts. Pour contester ces licenciements, les employés brutalement remerciés ont bloqué la route menant au casino. La direction avait justifié sa décision en insistant sur «la diminution du rendement de certains employés et leurs absences répétées, ce qui a affecté négativement le travail et les rentrées financières de l’établissement». La question de la gestion de l’établissement a rapidement été soulevée. En 2014, le chiffre d’affaires de celui-ci a baissé de plus de 6%. «Le gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, intervenant en sa qualité d’actionnaire indirect à travers sa filiale Intra, détient 52% du Casino du Liban», n’a cessé d’implorer Hady Chehwan, le président du syndicat des employés. Pour légaliser les contrats dont la pertinence économique peut être contestée, le conseil d’administration, présidé par Hamid Kreidi, est officiellement en période de restructuration depuis plusieurs années. Or, aucune décision majeure n’a été prise en ce sens. Aujourd’hui, certains prédisent la faillite pure et simple du casino à l’horizon 2017.
Le ministre du Travail, Sejaan Azzi, est allé plus loin en expliquant que «l’établissement ne peut pas continuer à être l’arrière-chambre des politiciens et des mafias en tous genres. Il a besoin d’une réforme. Mais cela ne veut pas dire que le renvoi des 191 employés est une réforme suffisante». Plus d’une centaine de personnes employées touchaient des salaires sans mettre le pied sur leur lieu de travail pendant des mois, des années pour certains émigrés. Des emplois aidés qui fleurent bon le service politique. Vendredi dernier, deux des douze membres du conseil d’administration du Casino du Liban ont annoncé leur démission pour protester contre le licenciement des 191 employés. Il s’agit de Georges Nakhlé, proche du CPL, et Hicham Nasser, proche du mouvement Amal.
L’affaire devient politique. «Un plan soumis en 2010 par le cabinet de conseil Deloitte prévoyait des restructurations, des reclassements, des licenciements aussi, mais par étapes, avec une logique globale de développement. On ne jette pas ainsi les gens à la rue sans plan social», déplore le député de Jbeil, Simon Abi Ramia, qui suit le dossier de très près et qui estime que la responsabilité de cette «erreur» incombe au président du casino, Hamid Kreidi, à qui il reproche une gestion clientéliste de l’établissement. Pour calmer la colère, les indemnités de licenciement vont être doublées.
Julien Abi Ramia
Mgr Raï au premier plan
Après avoir dépêché auprès des employés lésés, très majoritairement chrétiens, l’évêque Boulos Sayyah, le chef de l’Eglise maronite, Mgr Béchara Raï, a appelé, dans son homélie de dimanche dernier, à «briser le cercle vicieux de la corruption». «Notre société libanaise fait face à une réalité amère en raison du manque de transparence et de la dilapidation des fonds de l’Etat en violation des lois, ignorant par là les demandes des employés», a poursuivi le patriarche, devant des employés licenciés du casino présents à Bkerké.