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Nº 2987 du vendredi 6 février 2015

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Une université jésuite au Moyen-Orient: quel rôle, quelle mission? Réfléchir les principes d’éducation et d’enseignement

A l’occasion de ses 140 ans, l’Université Saint-Joseph (USJ) de Beyrouth a organisé un colloque international, les 22 et 23 janvier 2015, au campus des sciences humaines. Ce colloque ayant réuni 17 intervenants venant de pays différents a exposé les multiples rôles et missions des Universités jésuites du monde en général et ceux de l’USJ en particulier.
 

Depuis sa fondation en 1540, l’Ordre des jésuites s’est fixé comme objectif principal l’instruction de la jeunesse. A l’origine de nombreux collèges, écoles et universités, les jésuites ont toujours considéré que leur succès dépend fortement du devenir de leurs étudiants, explique le R.P. Michael Garanzinis s.j., P.-D.G. de la Loyola University Chicago aux Etats-Unis. Toute université jésuite se doit de se mettre au service du bien commun, du progrès de la société humaine et de sa transformation. C’est pourquoi elle doit chercher à offrir une formation qui rend les jeunes capables d’œuvrer pour un avenir meilleur de l’humanité, de trouver des solutions aux grands défis de la société comme les questions liées à la mondialisation, aux crises, à la pauvreté, aux violences, aux exclusions de toutes sortes, à l’écologie… L’université jésuite ne doit donc pas, dans ce contexte, former des égoïstes et des personnes centrées sur leur propre réussite.
 

Le principe de citoyenneté
Selon le Pr Adnan el-Amine, président de l’Association libanaise des sciences de l’éducation (LAES), les universités déclarent généralement remplir deux rôles: l’enseignement et la recherche. Or, celles-ci jouent un troisième rôle, à savoir la dissémination d’un système de valeurs à l’ensemble des étudiants. Ces valeurs sont classifiables dans quatre catégories: religieuses, professionnelles − orientées vers le marché et la compétition, civiques et idéologiques − liées à un parti politique. Tout étudiant a donc droit à une juste éducation à la citoyenneté et son droit à la liberté d’expression devrait être nécessairement garanti par l’université au sein de laquelle il mène ses études. D’autre part, les universités attachées au modèle américain, elles, ajoutent le «service communautaire» aux deux rôles de l’enseignement et de la recherche. Ce service communautaire constitue l’une des six composantes du rôle civique avec la citoyenneté, la démocratie, la culture de droit, l’enseignement des sciences humaines et sociales et de l’éducation civique et, finalement, la pédagogie de l’investigation et de la délibération.

 

L’éducation personnalisée
Le Pr Joseph Aoun, président de la Northeastern University aux Etats-Unis, affirme que la mission éducative d’un établissement d’études supérieures tel que l’USJ est informée par ses valeurs, tout en ayant pour objectif de répondre aux besoins de chaque étudiant. Ces valeurs sont humanistes, pluralistes et célèbrent celle de l’individu, tout en ayant pour but de fournir des résultats sur mesure et d’aider à l’épanouissement personnel de chacun. Etant donné que les étudiants de l’USJ forment une riche mosaïque de religions et de milieux sociaux, une éducation efficace exige une personnalisation distincte taillée aux besoins de chaque apprenant. En parallèle, la mission de recherche d’une institution comme l’USJ suit un modèle informé par les besoins de sa société. Selon le Pr Aoun, le Liban et le Moyen-Orient, en général, doivent cultiver la croissance de la science, de la technologie et de la recherche pour assurer à ces pays et à leurs citoyens un avenir pacifique et prospère. Un des moyens permettant d’atteindre cet objectif consiste à personnaliser davantage l’enseignement, à suivre les multiples révolutions technologiques (surtout que de nos jours les cours en ligne sont accessibles à tous), à scruter de près le développement des sciences de l’apprentissage et de la science cognitive. Chaque université se doit aujourd’hui d’adapter le processus d’apprentissage aux étudiants. Nous passons alors d’une approche prise du point de vue de l’enseignant à une autre ciblée par l’étudiant lui-même.

 

Le français remplaçable?
«L’USJ a adopté depuis sa fondation en 1875 le français comme principale langue d’enseignement, sans toutefois inscrire ce choix dans une véritable politique linguistique», déclare le Pr Henri Awit, directeur de la Fondation de la Pensée arabe. Il a fallu attendre 100 ans pour que la charte promulguée en 1975 définisse les principes d’une telle politique. Elle s’attache à examiner d’une part, en référence à ces principes, et d’autre part, à partir de l’expérience vécue, les défis jetés aujourd’hui à l’université par le pluralisme des langues d’enseignement, et notamment celui de sa conformité aux dispositions de la charte, de son ouverture sur le monde arabe, et celui de la promotion de sa compétitivité et celle de ses diplômés dans le cadre de la mondialisation. Elle propose, en fonction de l’analyse de la problématique de la francophonie et des enjeux du plurilinguisme, des mesures pratiques susceptibles de relever ces défis. Avec la «montée en puissance» de l’anglais et avec l’association de la langue arabe à tout le contexte socio-politico-religieux, le français titube. Assisterons-nous à un effacement de la langue française au profit d’autres langues? L’USJ deviendra-t-elle une université trilingue?

 

Les modèles universitaires
Demianos Kattar, stratège et politicien libanais, constate: «La réalité de nos jours met l’accent sur une concurrence entre les modèles universitaires, d’une part, et le fossé entre résultats universitaires et progrès social, d’autre part». Cet écart s’est amplifié avec la révolution de la communication et de l’information qui a poussé à la chute des frontières, mais aussi à une dynamique de détachement. Dans ce contexte de changement radical, l’intervention de l’Etat rapproche, d’après Kattar, le pouvoir politique de l’institution académique et force un résultat plutôt social, tandis que l’intervention du capital rapproche le pouvoir économique de l’institution et pousse vers une performance financière.

Natasha Metni

Les grands défis
Pour le Pr Yves Poullet, recteur de l’Université de Namur, Belgique, l’identité jésuite d’une institution universitaire se vit, se noue dans un contexte. Cette identité n’est pas simplement un «brand name». Elle doit représenter un souffle porteur dans ses missions d’enseignement et de recherche. Sur ce, le Pr Poullet souligne l’importance de la normalisation de l’enseignement et des programmes universitaires, de l’autonomie des établissements et de la liberté académique.
Le Pr Salim Daccache s.j., recteur de l’USJ, a mentionné les défis à relever par l’université durant les années à venir, à savoir le défi de la fidélité à son identité, le défi de développer le sens d’appartenance, de continuer à être l’université des libertés, du pluralisme, de l’ouverture au monde arabe, de demeurer un lieu qui favorise la pensée juste et le droit d’espérer, du courage de changer et d’innover, de favoriser les programmes de formation continue et de penser au bien-être des étudiants. Tant de défis qui représentent une utopie dans un cadre où l’application de ces principes «déroge» parfois à la «règle générale» de bien commun. 

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