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Nº 2988 du vendredi 13 février 2015

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Procès Hariri, dix ans après. La justice mènera-t-elle à la vérité?

Dix ans après l’assassinat de Rafic Hariri, le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) est entré dans sa deuxième année de procès. Entre témoignages politiques et passage au crible des preuves contenues dans le dossier, Magazine fait le point du procès Hariri, qui durera au moins jusqu’en mars 2018.

La justice sera-t-elle rendue un jour? Et surtout connaîtra-t-on, à l’issue de ce procès-fleuve entamé depuis un an déjà, la vérité sur l’attentat qui a coûté la vie à l’ex-Premier ministre Rafic Hariri et à 21 autres personnes? Il est encore bien trop tôt pour le dire même si les doutes sont permis.
Pour cette première année de procès − qui a démarré le 16 janvier 2014 avec quatre, puis cinq accusés jugés in absentia, Moustafa Badreddine, Salim Ayache, Hussein Oneissi, Assad Sabra puis Hassan Merhi −, les audiences auront principalement porté sur les témoignages des proches des victimes, mais aussi sur le contexte politique qui prévalait à l’époque. Au premier jour du procès, le procureur Norman Farrell s’était ainsi employé à reconstituer minute par minute les événements tragiques du 14 février 2005, alors qu’une maquette reproduisant la scène avait été installée dans la salle d’audience.
Des récits émouvants qui ont relaté le calvaire des victimes, mais aussi celui de leurs proches.
Outre ces témoignages, la cour a également vu défiler plusieurs experts qui ont notamment expliqué le déroulement de l’enquête. Le Bureau du procureur avait notamment appelé à la barre, en février 2014, plusieurs membres des équipes ayant travaillé sur l’enquête, Libanais ou étrangers.
Après plusieurs interruptions essentiellement provoquées par des questions de procédures, le tribunal est passé dans une autre phase, celle de l’audition de témoins plus politiques, chargés de retransmettre devant la cour le contexte politique de l’époque.

 

Le brouillage en question
Autre témoignage tout aussi intéressant, celui de Ali Diab, l’une des quatre personnes de l’entourage de Rafic Hariri, habilité à vérifier l’équipement de brouillage radio, installé sur les voitures du convoi de ce dernier et destiné à stopper toute bombe télécommandée à distance. L’expert en électronique a expliqué, au cours de son témoignage, que cet équipement avait été conçu spécialement pour Rafic Hariri, avec un plus grand nombre de fréquences que celles des appareils habituellement vendus dans le commerce. Avec Diab, seules quatre personnes connaissaient les spécifications de ces brouilleurs, apprend-on ainsi. Saad Hariri, Yehia el-Arab (le chef de la sécurité personnelle de Hariri et oncle de Diab), ainsi qu’un autre individu, identifié par la cour sous le matricule PRH507. Ce dernier avait d’ailleurs témoigné devant la cour sous couvert d’anonymat de ses multiples allers-retours au Liban pour vérifier le bon
fonctionnement du système. Diab révèle aussi qu’il avait testé le fonctionnement des appareils pas plus tard que le 12 février 2005, soit deux jours avant l’attentat, constatant son parfait état de marche. Un témoignage qui a mis à mal les arguments de la défense, qui tentait jusque-là de démontrer que l’attentat contre Hariri était dû à une bombe placée sous terre et non à un kamikaze. Iain Edwards, le conseil – commis d’office – de Moustafa Badreddine, avait ainsi suggéré des «défaillances catastrophiques» de l’équipement de brouillage. Une possibilité écartée par Ali Diab qui a confié qu’il contrôlait le système «deux à trois fois par semaine». Catégorique devant les questions d’Edwards, il a maintenu que les systèmes de brouillage fonctionnaient et que les explosifs n’auraient pu être activés que par un fil ou une attaque suicide.
 

Un sixième accusé?
Sur un autre plan, on apprenait fin décembre qu’un nouveau tournant pourrait intervenir dans le procès, qui s’annonce long et fastidieux. Selon le quotidien as-Safir, qui publie un article à cette époque, le Tribunal spécial pour le Liban serait en train de modifier l’acte d’accusation afin d’y inclure un sixième suspect. Lequel serait issu d’une liste de treize suspects potentiels identifiés par l’accusation, qui ne dispose toutefois pas d’assez de preuves pour les inculper.
Dans ce cadre, il semble que l’accusation pourrait convoquer à la barre un député du bloc de la Résistance (Hezbollah), en tant que suspect ou témoin devant la cour. Les investigations auraient, en effet, révélé que le numéro de ce député figurait parmi les numéros de téléphone appelés par l’un des suspects. Le procureur du TSL, Norman Farrell, a fait valoir l’existence de cinq réseaux différents de téléphonie mobile, dont les membres auraient chacun joué un rôle dans la planification et l’exécution de l’attentat. A ce jour, une seule personne, Salim Jamil Ayache, qui figure parmi les accusés, a été identifiée comme utilisateur de ces téléphones.
Si le nom de ce député du Hezbollah n’a pas encore été rendu public par le tribunal, il semble qu’il s’agit du député hezbollahi du Sud-Metn, Ali Ammar. Si cette information s’avérait juste, cela porterait un nouveau coup au Hezbollah, déjà ciblé indirectement par le tribunal via les cinq accusés. Il s’agirait aussi d’un nouveau défi pour l’existence du gouvernement actuel, ou encore pour le dialogue entre le Courant du futur et le Hezbollah.

 

Identités usurpées
Les réseaux de téléphone ont aussi été au cœur des témoignages entendus par la cour. Début février, l’accusation a présenté un argumentaire concernant des vols d’identité effectués par les accusés lors de l’achat de cartes SIM de téléphones mobiles. On a ainsi appris que des Tripolitains sans histoire auraient été victimes d’usurpation d’identité, après avoir visité des boutiques de téléphonie mobile plus tôt en 2005. Des vols d’identité qui auraient été perpétrés pour acheter les cartes SIM correspondant aux numéros de téléphone présents dans les cinq réseaux mis en cause. Selon l’accusation, qui s’appuie sur des dépositions écrites de témoins, ces personnes auraient acheté des cartes SIM pour elles, plus tôt en 2005. Les suspects se seraient ainsi servis de leurs papiers d’identité pour ouvrir au moins huit autres lignes de manière frauduleuse. Les clients usurpés se sont rendu compte de la supercherie, car leurs noms avaient été mal
épelés et leur signature falsifiée. Les huit numéros achetés ainsi auraient été utilisés à partir du mois de janvier 2005, cessant de fonctionner deux minutes avant l’attentat.
Des téléphones qui figurent décidément au cœur de l’enquête. L’avocat de Moustafa Badreddine, Antoine Korkmaz, s’en est d’ailleurs servi au cours de son contre-interrogatoire de Marwan Hamadé. Il a ainsi démontré qu’une personne ayant appelé Marwan Hamadé en 2004 avait aussi contacté un numéro appartenant à Sami Issa, connu aussi sous le nom de Moustafa Badreddine. Alors que ce téléphone était théoriquement utilisé pour contacter uniquement les autres membres du groupe chargés de planifier l’attentat.
Interrogé à ce sujet, Marwan Hamadé a dit ne pas savoir qui avait utilisé son téléphone à ce moment-là, ayant perdu son portable lors de l’attentat contre lui en octobre 2004. Il a suggéré qu’il pouvait s’agir d’une manœuvre des assassins pour induire les enquêteurs en erreur.
Le Tribunal spécial pour le Liban, qui vient de voir son mandat renouvelé pour encore trois ans, soit jusqu’en mars 2018, devrait encore réserver son lot de coups de théâtre et de révélations. Parmi les témoignages très attendus cette année, ceux de Fouad Siniora, de Walid Joumblatt, ou encore du journaliste Ali Hamadé, ajoutés le 9 janvier dernier à la liste des témoins.  
L’ex-Premier ministre Fouad Siniora, qui devait initialement témoigner devant le tribunal le 19 janvier dernier, avait demandé un report de son intervention, officiellement pour raisons de santé. Une demande qui avait suscité les plus folles rumeurs, certaines avançant que Siniora ne comptait plus témoigner. Des supputations balayées d’un revers de main par Cameron Graeme, pour l’accusation, qui a maintenu que Siniora «rest(ait) déterminé à aider le tribunal. Il a l’intention de comparaître pour donner son témoignage à la première occasion, dès que sa santé le lui permettra».
Autre témoignage très attendu, celui du député Walid Joumblatt qui a, lui aussi, fait l’objet de rumeurs. Le journal al-Akhbar avait affirmé que le leader druze avait demandé le report de son témoignage, souhaitant comparaître en dernier devant le tribunal, afin de «préparer» ses propos de manière à ce qu’(ils) ne soient pas en déphasage avec le climat de dialogue interne, ni avec la nécessité de préserver la sécurité et la stabilité. Ils ne doivent pas non plus être en contradiction avec l’essence de son témoignage, ses opinions et ses positions». Une affirmation démentie par l’intéressé qui a déclaré attendre que le tribunal lui fixe une date pour son témoignage. 

 

Trois témoignages politiques

Marwan Hamadé
Marwan Hamadé aura été le premier homme politique à apporter son témoignage au TSL. Un témoignage au long cours, puisqu’il aura duré plus de cinq jours. Pendant plusieurs heures, le «conteur» Hamadé – tel que surnommé par le juge David Re – aura relaté devant la cour le contexte tumultueux et l’hégémonie syrienne sur le Liban, qui prévalait avant l’attentat du 14 février. L’ancien ministre a notamment évoqué le mois d’avril 2003, quand la Syrie a imposé à Hariri un remaniement majeur de son cabinet, souhaitant écarter par exemple Bassel Fleyhan.
Le témoignage de Hamadé aura été marqué par un bras de fer spécialement tendu entre le président de la Chambre de première instance et le conseil de Moustafa Badreddine, Antoine Korkmaz. L’avocat interroge Marwan Hamadé sur d’éventuels liens avec Moustafa Badreddine, que l’ancien ministre dit ne pas connaître. L’avocat soumettra alors au témoin une liste de numéros de téléphone de personnes qui l’auraient contacté après la tentative d’assassinat d’octobre 2004. «Si vous essayez de suggérer que je connais M. Badreddine, je vous réponds non», a clairement déclaré Hamadé.
Marwan Hamadé qualifiera aussi de «normales» les relations entre Hariri et Hassan Nasrallah, soulignant qu’une rencontre avait eu lieu entre les deux hommes, un mois avant l’attentat du 14 février. Autre fait marquant du témoignage de Hamadé, sa déclaration concernant les «entraves» au transfert des données télécoms nécessaires à l’enquête sur la mort de Hariri, ralentissant le travail du chef de la commission d’enquête, Serge Brammertz. «Certains ministres des Télécoms, ne voulant pas que les enquêtes progressent, ont volontairement bloqué des transferts d’informations téléphoniques à la veille d’attentats tel celui de Wissam el-Hassan», a-t-il souligné, tout en précisant que «ces entraves, mises par des ministres alliés au Hezbollah, étaient souvent levées par la suite».

Ghattas Khoury
L’ancien député du Chouf a été appelé à la barre les 17, 18 et 19 janvier dernier, en raison de ses liens avec Rafic Hariri peu avant sa mort. Le tribunal souhaitait ainsi retracer les derniers jours de l’ex-Premier ministre et, surtout, l’ambiance qui prévalait à cette période. Dans son témoignage, Ghattas Khoury a révélé que le ministre Bassel Fleyhan, décédé à la suite de l’attentat, avait averti Rafic Hariri de sérieuses menaces qui planaient sur lui. «Fleyhan avait relaté un article d’al-Hayat faisant état de menaces contre Rafic Hariri et Walid Joumblatt, selon des informations obtenues par les Renseignements britanniques». Toutefois, selon Khoury, c’était la première fois que Hariri prenait ces menaces au sérieux. «(Il) m’avait dit que les officiels arabes et étrangers avaient conseillé au régime syrien de ne pas recourir à des assassinats au Liban dans le sillage de l’attentat contre Marwan Hamadé», a relaté Khoury. L’ex-Premier ministre se savait visé, son dispositif de sécurité ayant été considérablement réduit depuis sa démission. L’ancien député a également évoqué la campagne médiatique et les pressions orchestrées par l’appareil sécuritaire libano-syrien de l’époque, quelques jours avant l’attentat contre Hariri. Lors du contre-interrogatoire mené par la défense, Khoury dira que «Damas se fichait des appels de la communauté internationale à ne pas nuire aux personnalités libanaises, comme en témoigne ce qui s’est passé et ce qui se passe aujourd’hui».

Salim Diab
L’ancien député et directeur de campagne de Rafic Hariri a été interrogé par la défense au sujet des liens qu’il entretenait avec des personnalités proches du régime syrien, un temps arrêtés au début de l’enquête sur la mort de Hariri. Les questions ont notamment porté sur la relation de Diab avec le cheikh Ahmad Abdel-Al et sa famille. Figure proéminente d’al-Ahbache, une association des projets de bienfaisance islamique, Abdel-Al avait notamment été accusé de vouloir orienter l’enquête vers les extrémistes sunnites afin d’éloigner les soupçons d’autres parties pro-syriennes. C’est lui, rappelons-le, qui avait, dans un premier temps, fourni des informations sur Ahmad Abou Adass, le Palestinien qui revendiquait l’attentat sur une vidéo. Selon Diab, qui a dit ne pas le connaître personnellement, Abdel-Al était connu pour ses liens étroits avec les forces de sécurité syriennes au Liban, dont le général Rustom Ghazalé. Le cheikh sera arrêté en 2005 avec  son frère Mahmoud, après que l’enquête eut révélé que les deux hommes avaient passé plusieurs coups de fil à des politiciens libanais avant et après l’attentat contre Hariri. La défense l’a ensuite interrogé sur ses liens avec un ancien suspect, le général Moustafa Hamdan, qui avait été emprisonné avant d’être relâché. Diab a admis qu’il savait que Hamdan était impliqué dans une société de sécurité à Beyrouth, sans plus de détails.
Sur la défensive, l’ancien député a ensuite été interrogé sur des précédentes déclarations faites devant la commission d’enquête des Nations unies, où il avait semblé suggérer que Rafic Hariri avait soudoyé des politiciens et des journalistes. Un témoignage sur lequel il est revenu, soulignant que Hariri «aidait les gens pour les aider, non pour les acheter». Devant la commission d’enquête, Diab avait aussi évoqué une rumeur concernant une personne qui aurait été payée 500 000 dollars pour changer l’itinéraire du convoi de Hariri le 14 février. Interrogé à ce sujet, il a aussi dit ne pas se souvenir de la source de cette information… Des réponses qui ont irrité les conseillers de la défense qui n’ont pas manqué de souligner la mémoire défaillante de l’ancien député.

Rafic Hariri, le bâtisseur
Le 14 février 2005 restera à jamais un jour noir pour le Liban, qui perdra l’une des figures les plus emblématiques de son histoire contemporaine. Pourtant, rien ne laissait présager une telle destinée.
Né à Saïda dans une famille de musulmans sunnites, dont le père est ouvrier agricole, Rafic Hariri quitte le Liban à 18 ans. Il tente sa chance en Arabie saoudite, où il enseigne d’abord les mathématiques dans un lycée de Jeddah, avant de changer radicalement de voie. Profitant du boom suscité par le choc pétrolier de 1973, il se lance dans la construction immobilière, avec le succès qu’on lui connaît.
La chance lui sourit très vite, quand en 1977, il est chargé par le roi Khaled de construire le palais de Taëf, qu’il promet d’achever en moins de six mois. Son pari gagné, il entre dans les bonnes grâces du roi Fahd et se verra même gratifié de la nationalité saoudienne en 1978. Un privilège rarissime.  Puis, il se passionne pour la politique, alors que la guerre civile fait rage au Liban. Ses efforts paient et il accède pour la première fois au pouvoir en 1992, en devenant locataire du Grand sérail, jusqu’en 1998. Durant ses premiers gouvernements, et alors que le pays n’est plus que ruines, il sillonne le monde pour redonner confiance aux investisseurs étrangers comme aux Libanais expatriés.
Mais c’est surtout son œuvre de grand bâtisseur qui restera dans les annales. Hariri pilote la restauration de l’Etat et de ses infrastructures. Dans le même temps, sa société Solidere prend en charge la reconstruction du centre-ville, qui renaît ainsi de ses cendres.
Grand vainqueur des législatives avec ses alliés (107 sièges sur 128), il revient au pouvoir en 2000 jusqu’en 2004. En novembre 2002, Rafic Hariri parvient à convaincre la communauté internationale, réunie à Paris, de venir au secours d’un Liban qui risque l’asphyxie financière. Avec en contrepartie, des réformes économiques prévoyant une série de privatisations. Mais ses multiples divergences de vue avec le président Emile Lahoud ont pour effet de paralyser l’Exécutif et d’empêcher la mise en œuvre de ces réformes. La mésentente entre les deux hommes poussera d’ailleurs Hariri à présenter la démission de son cabinet en octobre 2004.

Jenny Saleh

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