Beirut Exhibition Center et la galerie Ayyam présentent, jusqu’au 26 du mois courant, Cinq décennies de peinture et d’innovation, une rétrospective inédite de l’artiste d’origine palestinienne Samia Halaby.
L’exposition Cinq décennies de peinture et d’innovation est une plongée au cœur de l’œuvre de Samia Halaby, artiste palestinienne à la renommée internationale, pionnière de la peinture abstraite dans le monde arabe. Il s’agit de la première rétrospective majeure de l’artiste à être mise en place. Elle s’insère parfaitement dans l’espace agencé du Beirut Exhibition Center, comme chaque fois, pour chaque exposition différente. Commissionnée par l’historienne d’art Maymanah Farah, elle se présente comme une enquête complète qui éclaire environ 70 œuvres artistiques, représentant chaque période du parcours de l’artiste, ses multiples expérimentations et les percées qui en ont résulté.
Judicieusement présentée par périodes successives, le visiteur effectue un vrai voyage, non seulement aux confins des années, mais surtout des couleurs, des formes, des matériaux, des influences et des impressions. Dès l’entrée dans le hall du Beirut Exhibition Center, retour dans le temps, retour immédiat aux années 60-70, aux couleurs, aux formes, aux influences de l’école abstraite, qui sont imprégnées et se sont imprégnées dans la perception et l’imaginaire collectifs de générations qui se sont succédé. Green sphere, Mirror sphere, Reflecting, Third spiral with dark center, White cube in brown cube… Les titres mêmes des toiles renvoient au processus expérimental qui les anime et leur donne vie. La peinture abstraite, l’abstraction la plus totale, la plus épure. Des lignes droites, très droites, méticuleusement agencées l’une à la suite de l’autre, dans un souci du détail et de la propreté. De l’épure. Des lignes parallèles, entrecroisées, tracées à même la couleur, jusque dans les sensations des couleurs pour créer des effets de profondeur, comparables peut-être aujourd’hui à des illusions 3D ou 4D. Une sensation tridimensionnelle, multidimensionnelle qui épouse des ondoiements de couleurs et de formes, disséqués, démantelés, créés, sur une table d’expérimentation où les couleurs deviennent formes et les formes couleurs.
Entre l’expérience et la communication
Progressivement, au fil de la tournée, au détour des pans de murs blancs agencés dans des dédales cubiques, le visiteur perçoit jusque dans ses pulsations physiques l’évolution artistique de Halaby. Petit à petit, les lignes épures perdent de leur netteté, se divisent, se subdivisent, se multiplient pour embraser la toile d’un foisonnement autre. Les grands carrés, les carrés uniques éclatent en une multitude de formes cubiques, empruntant à toutes les couleurs du spectre, aux traits tout en couleurs et en cercles déconstruits.
L’impression immanente de l’abstraction n’est jamais loin des origines de Samia Halaby, sa terre natale, sa Palestine, la guerre et les oliveraies. War Women, for Dalal Mughrabi (1978) – Worldwide intifada (1989) – I found myself growing in an olive tree (2008) – Jerusalem my home (2014)… La force de ses traits de pinceaux, la diversité des médiums artistiques, des canevas au papier mâché, des dessins aux sculptures suspendues, la flamboyance des couleurs et des formes, la recherche cruciale de l’abstraction et son ancrage dans la philosophie matérialiste… chaque série de peintures successives tout au long de cinquante ans de travail a servi comme site d’observation, d’analyses scientifiques, d’engagement envers les formes prémodernes de l’abstraction, notamment l’art islamique, ainsi que la reconsidération des mouvements d’art modernes de l’impressionnisme à l’expressionisme abstrait. Dans sa série Women of Palestine (2005-2009), les formes deviennent encore plus intenses, alors qu’elles empruntent des ombres humaines, des matériaux encore plus variés, des sensations palpables et impalpables à la fois, la pensée les libère de tout emprisonnement pour épouser une flamboyance audacieuse. Exposées dans un espace en retrait, elles semblent recroquevillées dans un antre caché comme un appel à une exploration encore plus approfondie et plus dense. Jusqu’à l’éclatement de la couleur soleil, de la couleur feu.
Née en 1936, Samia Halaby est titulaire d’un master en beaux-arts de l’Université d’Indiana. Depuis les années 60, elle a travaillé et exposé aux Etats-Unis, où elle s’est finalement installée en 1972, occupant divers postes académiques dans plusieurs institutions et universités dont l’Ecole d’art de Yale. Inspirée par sa monographie récemment publiée, Samia Halaby: five decades of painting and innovation se poursuit jusqu’au 26 février au Beirut Exhibition Center.
Nayla Rached
Ouvert de 11h à 20h.