La poursuite du dialogue entre le Hezbollah et le Courant du futur ainsi que le dîner-anniversaire, offert par Saad Hariri au général Michel Aoun, répandent un climat d’apaisement et de soulagement. Pourtant, les sujets susceptibles de couver les germes de crises majeures ne manquent pas. On citera, parmi d’autres, les fermes critiques du leader sunnite contre le Hezbollah et la réponse de sayyed Hassan Nasrallah; les divergences portant sur le mécanisme de prise de décision au gouvernement; la charge du Courant patriotique libre contre le ministre de la Défense, Samir Mokbel, sur fond de prorogation au sein de l’institution militaire; les critiques du commandant en chef de l’armée, Jean Kahwagi, contre le leader du CPL; la polémique sur le remblaiement du bassin numéro 4 du port de Beyrouth, ainsi qu’une myriade d’autres questions plus ou moins importantes. Mais aucun de ces désaccords n’a dépassé le stade des fâcheries passagères pour se transformer en crise ouverte menaçant la stabilité du fragile édifice qui gouverne le Liban en ces temps de troubles. A une autre époque, pas très lointaine, les adversaires élevaient entre eux des barricades politiques et physiques pour bien moins que cela.
Cette volonté de calmer le jeu, de recadrer le discours politique, de faire baisser les tensions politiques et communautaires, est le signe que le souci de la stabilité du Liban reste la priorité des acteurs locaux, encouragés dans cette tendance par leurs sponsors régionaux et les fermes conseils de la communauté internationale. Si, en 1975, l’effondrement du Liban était un besoin régional, aujourd’hui, sa stabilité est un must pour tout le monde. La perspective de le voir sombrer dans un chaos ingérable n’est dans l’intérêt de personne. Pourvu que cela dure…
La persistance de la saison des dialogues, des gentillesses et des accolades signifie-t-elle que les solutions aux grands problèmes, comme celui du vide présidentiel, sont proches? Pour que cela soit vrai, il faudrait que le dialogue entre les acteurs locaux soit relayé et appuyé par des leviers régionaux. Or, la confrontation par proxys fait rage entre les puissances régionales, sur un champ de bataille s’étendant du Yémen à la Libye, en passant par la Syrie et Bahreïn. Même l’émergence d’un ennemi commun, Daech, n’a pas encore amené l’Iran et l’Arabie saoudite à s’asseoir autour d’une même table pour discuter des sujets qui fâchent et envisager la perspective d’une collaboration dans les dossiers d’intérêt commun. Au contraire, Riyad vient de perdre le Yémen au profit d’Ansarallah, allié de Téhéran, et le régime de Manama a durci sa répression en arrêtant la figure de proue de la révolte, le cheikh Ali Salmane, ce qui a relancé de plus belle le mouvement de contestation dans ce petit royaume insulaire.
Cela ne signifie pas pour autant que l’élection présidentielle devra attendre la résolution de tous les contentieux entre l’Arabie saoudite et l’Iran, qui pourrait prendre des années, voire ne jamais intervenir. Le cas du Liban est différent dans la mesure où Riyad et Téhéran sont d’accord sur la nécessité de préserver la stabilité du pays du Cèdre, chacun pour ses propres considérations. Dans ce contexte, la vacance à la présidence de la République ne peut pas durer éternellement sans porter atteinte à cette stabilité. La mini-crise gouvernementale actuelle montre les limites de l’édifice mis en place, il y a un an, pour gérer la période du vide présidentiel qui se profilait à l’horizon.
L’Arabie saoudite et l’Iran pourraient s’entendre sur une formule qui ne modifierait pas les rapports de force actuels dans le pays, tout en garantissant la prolongation de la période de stabilité. Il s’agit du scénario Aoun-président/Hariri-Premier ministre, une formule gagnant-gagnant.
Dans ce contexte, on comprend mieux les ouvertures de Saad Hariri en direction du général et les informations n’excluant pas l’appui du chef des Forces libanaises, Samir Geagea, à la candidature de Michel Aoun, dans le cadre d’un accord historique actuellement en gestation entre les deux grands partis chrétiens.
Paul Khalifeh