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Paul Khalifeh

Liberté (centri)fugueuse

Les fanfarons et autres prétentieux nous envahissent déjà pour analyser l’accord sur le nucléaire iranien et imaginer ses éventuelles répercussions sur les graves crises qui secouent notre région. Chacun sort sa grille de lecture pour désigner le vainqueur et le vaincu. Pour les uns, l’Iran, exsangue et meurtri par une décennie de sanctions internationales, a capitulé devant un Occident conquérant et victorieux. Pour les autres, la République islamique a résisté à toutes les menaces et intimidations, contraignant les Etats-Unis à l’accepter dans le club très fermé des puissances nucléaires. Les plus chevronnés optent pour la prudence, préférant parler de ni vainqueur ni vaincu, ou de «win-win situation». Fouad Siniora en fait partie. L’ancien Premier ministre dénonce le fourvoiement de ceux qui évoquent «des pertes ou des profits» en conséquence de l’accord de Vienne.
Certains, comme Samir Geagea, se veulent rassurants. Le chef des Forces libanaises affirme qu’en dépit des largesses iraniennes, qui pourraient décupler après l’accord, l’influence du Hezbollah au Liban n’augmenterait pas, car le parti de Hassan Nasrallah a atteint, selon lui, sa dimension maximale. Au-delà, c’est l’explosion garantie.
Les plus zélés voient déjà l’étendard de Bachar el-Assad flotter de nouveau sur Raqqa, Palmyre et Jisr el-Choughour, et le drapeau irakien planté sur le minaret de la grande mosquée de Mossoul, là où Abou Bakr el-Baghdadi s’est autoproclamé Calife des musulmans, le 29 juin 2014.
Walid Joumblatt, lui, est très alarmiste. Il commence par la fin, prévoyant, avec un brin d’amertume, la disparition du Moyen-Orient tel qu’on l’a connu et, avec lui, les frontières de Sykes-Picot, aspirées par les centrifugeuses iraniennes.
Les Libanais normaux – en espérant qu’il en existe encore après toutes les inepties qu’ils ont pu voir ou entendre ces derniers jours – se soucient, surtout, de savoir si l’enrichissement de l’uranium iranien à 3,67%, plutôt qu’à 5,5%, améliorera leur quotidien. Ils voudraient comprendre comment le maintien de 5060 centrifugeuses, au lieu de 19000, sur le site de Natanz, dans le centre de l’Iran, relancera l’économie, ramènera les touristes et boostera la consommation au Liban. Ils espèrent qu’il existe une relation de cause à effet entre la reconnexion du système bancaire iranien aux places financières internationales et le volume de leur porte-monnaie.
Les questions se bousculent, mais les réponses se font rares, malgré la pléthore de pseudo-experts, qui nous abreuvent d’analyses en continu. Toutefois, un aspect, qui nous semble primordial, est ignoré par la plupart des soi-disant spécialistes. L’accord de Vienne, quelle que soit l’appréciation que l’on puisse en avoir, consacre la victoire de la diplomatie sur la guerre. Cet accord a prouvé que les conflits les plus complexes, doublés d’enjeux géostratégiques susceptibles d’avoir des conséquences à l’échelle planétaire, peuvent être réglés par la négociation, du moment que la volonté existe.
C’est cette volonté qui fait justement défaut chez les dirigeants libanais, qui ne parviennent pas à s’entendre sur des questions infiniment plus simples que le dossier nucléaire, comme l’ouverture d’une session parlementaire extraordinaire, le mécanisme de prise de décision en Conseil des ministres, les nominations aux postes militaires et, enfin, l’élection d’un président de la République.
Mais point de volonté sans liberté. Et la liberté, les Libanais en parlent beaucoup mais en possèdent peu.

Paul Khalifeh

 

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