Le stress hydrique est élevé au Liban, pourtant surnommé le château d’eau du Proche-Orient. Les Libanais consacrent jusqu’à 15% de leurs revenus à l’achat d’eau (camions-citernes, puits et bouteilles), un taux beaucoup plus important que la moyenne internationale.
Pour réduire son déficit hydrique et limiter les pénuries, le Liban doit mieux gérer la demande, accroître sa capacité de stockage et mettre en œuvre des réformes institutionnelles pour que le secteur de l’eau soit plus robuste et plus efficace. Pourquoi ne pas recourir entre autres options à l’exploitation des résurgences d’eau douce le long de la côte libanaise?
La société britannique Beterson Water International (BWI), ayant une base à Athènes, avait obtenu en 2011 une autorisation du ministère de l’Energie et de l’Eau l’habilitant à procéder à un recensement des résurgences d’eau douce le long du littoral de 200 km de longueur. Les conclusions préliminaires de cette étude, entamée il y a trois ans, ont été concluantes. Les travaux sont effectués aux propres frais de la société et n’engagent en rien le ministère de tutelle.
La côte libanaise renfermerait des milliers de mètres cubes d’eau douce dont le coût d’exploitation ou de captage est raisonnable, soit de 10 cents/m3. De plus, certains points du littoral, notamment à Tyr, auraient l’avantage d’avoir des concentrations d’une eau douce facilement repérables de l’eau salée. Eddy Arida, membre du conseil d’administration de la compagnie BWI, a indiqué que les recherches menées dans les eaux marines face aux localités de Chekka, Batroun, Tyr et Naqoura ont montré des ressources d’eau douce considérables malgré le fait que la côte libanaise est l’une des plus polluées dans le bassin méditerranéen. Ainsi il a évoqué des résurgences d’eau douce d’un débit de l’ordre de 900 000 m3/jour à Chekka et de plus de 1 000 000 m3/jour à Tyr, affirmant que la qualité de l’eau douce découverte dans la zone couverte par le recensement est conforme aux critères de référence de l’Union européenne.
Se prêtant à un exercice de comparaison, Eddy Arida a fait valoir que Paris et ses banlieues consomment 600 000 m3/jour et Marseille 435 000 m3/jour. Répondant à une question de Magazine, il a précisé qu’en écoulement naturel, l’eau douce et l’eau salée ne se mélangent pas. Leurs densité et température différentes les en empêchent. Seul le choc de l’eau douce avec l’eau salinée conduit au mélange. «La technologie promue par BWI évite le mélange par le confinement de la résurgence lors de sa sortie naturelle sous-marine. L’eau salée au Liban ayant une température de 23 degrés, l’eau douce plus légère à 17 degrés a tendance à monter plus facilement à la surface», a-t-il ajouté, soulignant par ailleurs que 4 000 résurgences d’eau douce dans le bassin méditerranéen ont été identifiées. En fait, ces résurgences d’eau douce en mer constituent une ressource inexploitée et inépuisable. Plus de 30 milliards de mètres cubes d’eau douce se perdent chaque année en Méditerranée faute d’être exploités. En ce moment, les équipes de BWI travaillent sur la résurgence d’eau douce d’Anavalos, en Grèce, dont le débit est de 900 000 m3/jour.
Les députés, qui ont accompagné la délégation de BWI lors de ses entretiens successifs avec le chef du Législatif Nabih Berry et le Premier ministre Tammam Salam, ont dénoncé âprement le gaspillage des ressources hydrides dans «le pays de l’eau», soulignant que le gouvernement était sur le point l’été dernier d’avoir recours à l’achat d’eau douce de la Turquie pour subvenir à la demande domestique.
Un rapport portant sur l’état des lieux, élaboré par la Banque mondiale, souligne la baisse des réserves hydriques et indique que la vétusté du réseau d’adduction provoque des fuites qui s’élèvent à près de la moitié des volumes d’eau transportés et engendre des pertes d’efficacité considérables. Les Libanais doivent alors s’en remettre aux camions-citernes, aux puits illégaux et à l’eau en bouteille pour compléter leur approvisionnement en eau, à un coût souvent très élevé.
En fait, la disponibilité de l’eau est tributaire de variations considérables, dues au climat et à la géographie du Liban: l’hiver, les inondations sont fréquentes; l’été, la sécheresse sévit. Ces caractéristiques naturelles font que, depuis longtemps, l’eau est stockée pendant la période hivernale pour être utilisée en été. Jusqu’au début des années 1970, l’approvisionnement et le stockage de l’eau reposaient principalement sur les vastes nappes phréatiques du pays, qui parvenaient à assurer une alimentation hydraulique régulière aux usagers. Après la guerre civile, la situation s’est peu à peu dégradée principalement sous l’effet de retards pris dans les investissements et les réformes. Plus de 20 000 puits illégaux ont ainsi été forés dans la région du Grand-Beyrouth et du Mont-Liban. Les eaux souterraines étaient surexploitées, les nappes phréatiques ne pouvaient pas se reconstituer et la qualité de l’eau se détériorait. On ne stockait plus les eaux souterraines pour la saison sèche et on ne construisait plus d’infrastructures de stockage supplémentaires. La capacité de stockage des eaux de retenue au Liban (6% du total de ses ressources en eau) est la plus basse de toute la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.
Depuis l’Antiquité
Depuis l’Antiquité, les résurgences d’eau douce sont connues. Strabon les évoque dans sa relation du siège de Tyr, autant que les phocéens qui s’y fournissaient à l’aide d’amphores. De même dans les récits des pêcheurs marocains autant que ceux des marins arabes en Méditerranée et en mer Rouge ont mené des tentatives de récupération de l’eau douce.
Financements internationaux
♦ Un projet d’augmentation de l’alimentation en eau potable, approuvé par la Banque mondiale le 30 septembre 2014, permettra d’accroître le volume d’eau à disposition de la région du Grand-Beyrouth et du Mont-Liban, où réside la moitié de la population libanaise. Il est financé par la Banque mondiale, la Banque islamique de développement et le gouvernement libanais.
♦ L’Union européenne (UE) a alloué une enveloppe d’un montant global de 7,9 millions d’euros à différentes ONG pour la réhabilitation des adductions d’eau dans plusieurs régions du pays. Ainsi l’UE a accordé 1,4 million d’euros à une ONG internationale – Première urgence- Aide médicale – ayant pour mission la réhabilitation des infrastructures d’eau relevant de certaines communautés rurales dans la mohafaza du Akkar, notamment à Arida et Cheikh Zennad. L’UE a également octroyé à l’ONG italienne Gruppo di Volontariato Civile Associazione 1,9 million d’euros pour la rénovation des adductions d’eau de certains villages au nord de la Békaa accueillant des réfugiés. Il s’agit des villages de Zabboud, Jabboulé et el-Aïn. Elle a aussi fait un don de 3,5 millions d’euros à l’ONG World Vision pour l’amélioration des infrastructures d’eau et sanitaires dans l’ensemble de la Békaa. De même, l’ONG Oxfam a bénéficié d’une enveloppe de 1,2 million d’euros pour la réhabilitation et l’extension des adductions d’eau à Chtaura.
Liliane Mokbel