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Nº 2990 du vendredi 27 février 2015

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Waël Abou Faour vs Hôtel-Dieu de France. Une affaire, trois versions

Depuis le vendredi 20 février, une information circule partout en ville selon laquelle le ministre de la Santé, Waël Abou Faour, a décidé de rompre le contrat avec l’Hôtel-Dieu de France (HDF) à la suite du refus de cet établissement de recevoir une patiente, Laurice Khalil, traitée aux frais du ministère. Que s’est-il réellement passé? Enquête.
 

Le ministre de la Santé n’a pas rompu le contrat avec l’Hôtel-Dieu de France (HDF), comme cela avait été annoncé dans les médias. Il l’a tout simplement gelé. Le Dr Joseph Hélou, médecin et directeur p.i. des soins médicaux au ministère de la Santé, affirme qu’à «la suite de la décision du ministre, la première étape a consisté à geler le contrat, pour une durée encore indéterminée, à l’issue d’une violation des clauses de ce dernier. Le contrat peut être par la suite soit rompu, soit maintenu, selon le déroulement de l’affaire. Le contrat stipule, entre autres, que tout hôpital se doit de recevoir tout patient libanais, y compris ceux qui ne bénéficient d’aucune sécurité sociale». D’après une source de l’HDF qui a requis l’anonymat, «il n’y a aucune retombée de ce gel du contrat sur l’hôpital. Ce sont, au contraire, les patients qui vont en souffrir». En réponse à cette affirmation, le Dr Hélou précise que si l’hôpital ne veut pas d’un tel contrat, le ministère pourra à ce moment fournir l’argent (dont la facture annuelle, qui s’élève à près de quatre milliards de livres libanaises) à un autre hôpital.
 

Admission refusée ou reportée?
L’enquête menée par Magazine, auprès des parties concernées par cette triste affaire, montre également que l’Hôtel-Dieu de France n’a pas refusé de recevoir la patiente Laurice Khalil. Cette version des faits est confirmée aussi bien par la source précitée de l’HDF que par le père Abdo Abou Kassm, président du Centre catholique d’information, qui avait pris en charge le cas de la patiente. La source de l’HDF assure que «l’hôpital a proposé à la patiente, dont l’opération n’est pas jugée urgente, deux options: attendre deux mois jusqu’à ce qu’une place se libère ou se rendre dans un autre établissement hospitalier pour se faire opérer». Le père Abdo Abou Kassm confie que Laurice Khalil lui avait rapporté cette même réponse. Dans un entretien que nous avons eu avec la patiente, celle-ci avance la même réponse, en précisant, cependant, que l’HDF lui aurait proposé une troisième option: «Un employé du nom de Jihad Harfouche m’a annoncé que si je payais personnellement les frais d’hospitalisation, je pourrais être admise». Contacté par Magazine, le bureau du directeur de l’HDF a indiqué que ce dernier «ne peut pas se prononcer sur cette affaire, à la suite de la demande du recteur de l’Université Saint-Joseph». Les deux médecins de l’HDF, les docteurs Khalil Kharrat (orthopédiste) et Gebraël Saliba (infectiologue), se sont également trouvés dans l’impossibilité de répondre aux questions de Magazine, toujours conformément  aux recommandations de la direction de l’hôpital.

 

La dernière version
De quoi s’agit-il exactement? Le 16 mai 2013, Laurice Khalil tombe du 5e étage de l’immeuble dans lequel elle vit à Hadath. Elle se fracture la jambe et le bassin. Elle est transportée à l’hôpital Sacré-Cœur à Hadath, où elle subit une opération après être restée un jour aux urgences, le temps que le père Abou Kassm fournisse la somme nécessaire à l’hôpital pour l’opération. Elle se rend, ensuite, pour une durée de cinq mois, au centre Notre-Dame de physiothérapie – maison Notre-Dame des Saints-Cœurs. Les douleurs persistent au niveau de la jambe. Elle est de nouveau admise à l’hôpital Sacré-Cœur, où on lui retire les vis médicales, et la patiente réalise que sa plaie n’a pas cicatrisé. «J’avais attrapé une infection dans la salle d’opérations. J’ai vécu avec pendant six mois sans le savoir. Lorsque je suis retournée à l’hôpital, les médecins n’ont pas osé me dire que je souffrais d’une infection au pseudomonas. Ce n’est que plus tard que mon médecin me le confie, en me prescrivant des antibiotiques. On m’effectue, par la suite, un débridement des os qui ne mène à aucune amélioration de la jambe ni à aucune atténuation de la douleur», affirme Laurice Khalil. Le 10 février 2015, la patiente se rend à l’HDF et consulte le Dr Khalil Kharrat qui, en concertation avec le Dr Gebraël Saliba, lui demande, selon sa version des faits, «d’arrêter de prendre les antibiotiques pour pouvoir procéder à l’opération». «Cela fait un an et demi que Laurice vit avec l’infection. L’opération n’est pas urgente et son traitement nécessite 45 jours d’hospitalisation entre opération, soins intensifs et isolement. Il y a aussi un temps nécessaire à la préparation et à la coopération préalable entre le chirurgien et la direction de l’hôpital pour tout ce qui se rapporte à la logistique. Plus encore, le manque de place, ainsi que le plafond financier fixé de la part du ministère pour ce genre d’opérations entravent la réalisation de l’opération tout de suite. La priorité est aux cas les plus urgents», explique la source de l’HDF.
Après s’être adressée au bureau d’admission de l’hôpital, Laurice obtient l’une des réponses mentionnées un peu plus haut. D’après sa version, l’hôpital ne l’a plus appelée. D’après l’hôpital, Laurice ne s’est plus présentée à l’HDF ni même chez son médecin traitant. La patiente décide donc de contacter le ministre de la Santé qui lui demande de venir expliquer son cas. En raison de la tempête, c’est le père Abou Kassm et les oncles de Laurice qui entrent en contact avec le Dr Joseph Hélou après que le ministre lui eut confié, la veille, le cas de la patiente, et qu’il lui eut demandé de le suivre jusqu’au bout. «Nous avons parlé à tous les responsables de l’hôpital. Les négociations se sont étalées du 12 au 20 février sans résultat. La réponse de l’HDF: «Nous ne pouvons pas la recevoir en ce moment, les frais sont coûteux» (36 000 dollars), déclare le Dr Hélou.
 

Sanction contre le Sacré-Cœur?
Lorsque Laurice Khalil a voulu se faire opérer à l’hôpital du Sacré-Cœur, le bureau d’admission lui a refusé sa carte de handicapée. «Le ministère couvre 85% des frais d’hospitalisation, la carte couvre les 15% restants», explique le Dr Hélou. Laurice a dû donc payer la première fois pour se faire traiter et le Dr Hélou assure que le ministère prendra les mesures nécessaires à l’égard de l’hôpital après étude du dossier. «La carte a été refusée deux fois dans cet hôpital. La première fois, la patiente a payé. Reste à s’assurer de ce qui s’est passé la seconde fois. Mais l’affaire n’est pas close. L’hôpital du Sacré-Cœur sera sanctionné», martèle le Dr Hélou.

Natasha Metni

Le pseudomonas, c’est quoi?
Selon le Dr Elio Abdel-Nour, le pseudomonas est une bactérie qui existe partout (dans l’eau, dans le sol, dans les chambres d’opérations d’hôpitaux, sur la chair humaine, etc.). C’est une bactérie pathogène opportuniste (elle provoque des troubles lorsque les défenses immunitaires de la personne sont affaiblies ou que la personne est âgée – on parle donc de sujets immunodéprimés). Elle peut causer des infections, des pneumonies, des septicémies – infections graves de l’organisme, se caractérisant par la présence dans le sang de germes pathogènes -, etc. L’infection au pseudomonas est traitée par le biais d’antibiotiques. Le problème qui se pose, c’est qu’elle est effectivement résistante à ce type de médicaments. Si Laurice Khalil souffre d’une telle infection et qu’elle arrête les antibiotiques, elle risque un choc septique – défaillance circulatoire aiguë, entraînant des désordres hémodynamiques, métaboliques et viscéraux, déclenchés par un agent infectieux  – et le risque de mortalité est élevé. Or, Laurice a, depuis le 10 février 2015, arrêté les antibiotiques. Sa situation est relativement stable. Elle ne présente pas de fièvre et n’a pas été victime de choc septique. Souffre-t-elle réellement d’infection au pseudomonas?

Les arriérés du ministère
Le Dr Joseph Hélou assure que de 2012 jusqu’en septembre 2014, le ministère de la Santé ne doit rien aux hôpitaux privés et, que de 2012 également jusqu’à octobre 2014, il ne doit rien non plus aux hôpitaux gouvernementaux. «Il est certes vrai que nous avons des sommes à régler pour les années allant de 2000 à 2011, mais le problème est en train d’être résolu et cela n’est pas supposé avoir affecté la décision de l’HDF d’accueillir Laurice Khalil».

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