Joe la Pompe, un nom aussi mystérieux que le personnage en cagoule qui le porte. Il sème la terreur dans le monde de la publicité dans lequel il est devenu une célébrité. Derrière le masque, qu’il ne retire jamais et qui est devenu une marque déposée, un regard bleu limpide, une voix calme et tranquille. Invité par la Faculté d’information et de communication de l’Université antonine, Magazine l’a rencontré.
Joe la Pompe, qui êtes-vous?
Je suis le pire cauchemar des créatifs paresseux, une sorte de justicier, un Zorro, un blogueur, chasseur de plagiaires, passionné de création publicitaire originale, un empêcheur de tourner en rond… Je suis tout ça à la fois. Je suis amoureux de la publicité et je pense être utile au métier. Je déteste ce qui se fait passer pour de la publicité originale, alors qu’elle ne l’est pas. Ce n’est pas une démarche haineuse ou aigrie mais critique.
Quel est votre background?
Je suis français. Je suis un créatif publicitaire et j’ai travaillé dans de grosses boîtes de publicité que je ne cite pas par souci de préserver mon identité en tant que concepteur-rédacteur. Mon point de vue est celui d’un créatif et non pas d’un juriste. C’est l’avis de quelqu’un qui a vécu le monde de la publicité.
Comment vous est venue l’idée de devenir Joe la Pompe?
L’idée m’est venue en 1999. En exposant les idées de création, on entendait souvent le client dire: «J’ai déjà vu cela quelque part». Les équipes concurrentes prétendaient que telle ou telle idée avaient déjà été vues ailleurs, mais c’était toujours difficile à prouver. De plus, on n’avait pas accès à ce qui se faisait dans le monde. J’ai essayé alors de prendre cette mission comme un défi. J’ai créé un site* Internet où je mettais des publicités identiques réalisées par des équipes différentes dans des paysages différents, mais qui possédaient la même idée créative. Au départ, c’était destiné à une archive personnelle, pas à créer une polémique. J’avais mis le doigt sur le problème de la création en agence. Beaucoup de personnes ont commencé alors à consulter ce site. Au début, je n’étais pas anonyme, puis j’ai pensé que c’était mieux de rester masqué. En France, les gens allaient se dire qui est-il pour critiquer? Je voulais rester libre. Ce n’était pas une idée de vengeance.
Faites-vous peur au monde de la publicité?
Les réactions ont été virulentes au départ. Il n’y avait pas encore beaucoup d’exemples sur le site et les gens ont pensé que c’était une affaire de vengeance personnelle. J’ai même reçu des menaces physiques ou morales. Pour les créatifs, c’est embêtant de réaliser que leurs idées sont déjà vues ailleurs et de se retrouver sur Internet comme des plagiaires. Ils croyaient que personne ne s’en rendrait compte, mais ça restait visible sur le site, accessible à tout le monde. Je ne retire rien de mon site sous la pression car, de toute façon, on peut tout retrouver sur Internet.
Pourquoi le masque: lâcheté, manque de courage?
Je n’ai pas peur. C’est pour rester libre. Lorsque je travaillais en agence, tout le monde aurait regardé ce que je fais et ça aurait pu compliquer les choses. Aujourd’hui, c’est un personnage qui suscite la curiosité. C’est mystérieux. Les gens viennent pour voir un type cagoulé. Ils s’imaginent que c’est peut-être le voisin de bureau. C’est plus un déguisement et sur le plan de la publicité c’est plus attirant. Dans ce métier, tout le monde a un ego démesuré et veut se montrer et se faire connaître. Ma figure n’a aucun intérêt. Je voulais me faire remarquer par mon travail. J’ai fait de la publicité pour attirer l’attention sur mon travail. C’est aussi un peu par timidité. C’est plus confortable ainsi. J’ai un peu plus de recul de cette façon.
Travaillez-vous encore en agence?
Aujourd’hui, je me consacre à mon blog et je suis sollicité pour des conférences. Cette aventure était plus singulière et originale. J’ai fait des campagnes d’affichage, des publicités à la radio, etc.
Avez-vous réussi en tant que créatif publicitaire?
Pas autant que je l’aurai voulu. J’ai fait des choses bien. Je n’étais pas le meilleur des meilleurs. Ce n’est pas de l’aigreur ou de la vengeance. Moi, ça m’amuse. Je ne savais pas que je resterai anonyme aussi longtemps. Certains ont essayé de savoir qui j’étais. La démarche s’est faite au fur et à mesure. Je n’avais pas l’intention au départ d’être anonyme. C’est amusant de voir la réaction que ça provoque chez les gens. Pendant dix ans, je n’ai donné aucune interview, puis j’ai réalisé que l’anonymat me coupait de ceux qui s’intéressaient à mon travail. J’ai alors décidé de publier des livres et de rencontrer les gens.
Quelle est la réaction des gens lorsqu’ils vous rencontrent?
Dans l’ensemble, je suis agréablement surpris. Par mail, ils peuvent être agressifs ou virulents, mais la réalité est différente. Les étudiants, surtout, aiment le personnage fictif. En France, il est difficile d’intégrer les agences. Ceux qui sont installés dans la pub n’aiment pas être critiqués. Ce monde-là n’est pas habitué à la critique négative. Ils reçoivent beaucoup de félicitations, mais pas de critiques. C’était un défi de créer et de maintenir un blog critique pendant 15 ans. Il devrait d’ailleurs y en avoir plusieurs, car cela correspond désormais à un besoin. Beaucoup de personnes me consultent.
Quel est le but de votre visite au Liban?
Je suis ici à l’invitation de la Faculté d’information et de communication de l’Université antonine pour présenter mon travail et parler de ce que je fais. A Cannes, j’avais rencontré un publicitaire libanais qui s’intéressait aussi à mon travail. J’ai été surpris de voir que j’avais aussi un public libanais. Depuis deux ans, je suis invité dans plusieurs pays. J’étais curieux de voir comment mon travail était accueilli.
Que pensez-vous du niveau de la publicité au Liban?
Je ne suis pas un spécialiste de la publicité libanaise. Je m’intéresse surtout aux publicités qui participent à des festivals internationaux. Mais les publicités libanaises que j’ai pu voir ne sont pas mauvaises du tout. Toutefois, j’ai relevé quelques plagiats libanais sur mon site. Certaines publicités libanaises ressemblent beaucoup à des publicités internationales. Dans ce métier, on s’inspire de diverses influences d’où l’intérêt de montrer ce qui ressemble à des copies ou des plagiats. Plus mon site devient connu plus les gens y contribuent et m’envoient des copies et des dénonciations. Je reçois beaucoup de courriers avec des exemples de plagiat. Ils font aussi de la recherche à ma place.
Avez-vous l’intention de retirer la cagoule un jour?
Elle fait partie de mon succès. Je n’ai pas intérêt à la retirer pour le moment. Lors de la publication de mon livre, l’éditeur a insisté à ce que je mette ma photo en cagoule sur la couverture.
Quels sont les livres que vous avez déjà publiés?
J’ai déjà publié deux livres. En 2008, le best of de mon site sur la thématique du plagiat publié uniquement en France et 100 Visual ideas-1000 great ads, distribué dans le monde entier. Actuellement, mon audience est à moitié française, à moitié internationale. L’idée du second livre était de faire une recherche pour trouver les symboles et images les plus utilisés en publicité: les monuments, personnages historiques ou de fiction tels que la statue de la liberté, Elvis Presley, Che Guevara, Adolf Hitler, Ben Laden, King Kong, Superman, etc. détournés ou récupérés par la publicité. C’est un travail de titan. C’est une réponse à ceux qui m’accusaient de me contenter de dénoncer et de critiquer sans apporter une solution. De cette manière, j’apporte des solutions. Les gens n’ont pas de culture publicitaire et ne savent pas ce qui a déjà été fait. Ils font alors des copies et des plagiats.
Est-ce que la créativité vous manque aujourd’hui?
Je n’ai pas tout à fait coupé les ponts. Ma démarche est une aide aux créatifs pour faire des choses plus originales. Actuellement, je travaille pour les festivals pour qu’ils ne priment pas des idées déjà vues. Les jurys ne sont pas bien armés pour cela. Ils sont parfaitement habilités à juger la qualité de l’œuvre, mais ne savent pas si l’idée est ancienne ou pas. Je collabore avec le festival Epica en France. Je connais trop de choses. Un créatif doit avoir une culture publicitaire et de la fraîcheur. J’ai une culture publicitaire, mais je n’ai plus la fraîcheur. C’est bon pour les jeunes de 20 à 35 ans. C’est un métier très dur, avec des horaires impossibles et une cadence infernale. C’est épanouissant quand on est jeune. Aujourd’hui, j’ai plus d’intérêt dans ce que je fais et cela reste dans le domaine de la création publicitaire.
Propos recueillis par Joëlle Seif
*joelapompe.net