Avant le printemps, l’Armée libanaise a lancé une vaste opération dans le jurd de Ersal et de Ras Baalbeck. Objectif: empêcher les combattants de Daech et du Front al-Nosra de se réfugier auprès de leurs familles au Liban. Explications.
Juste après la grosse tempête de neige qui a frappé le Liban à la fin de février, l’Armée libanaise a mobilisé ses troupes d’élite pour lancer une offensive militaire dans le jurd de Ersal et dans celui de Ras Baalbeck, dans la Békaa du Nord. Sans attendre les armes promises depuis des mois par le biais des dons saoudiens, qui devraient en principe être payés à la France en contrepartie d’équipements militaires, l’armée a déployé ses moyens de bord, utilisant surtout les informations recueillies pendant la période précédente sur les positions des combattants de Daech et de Nosra dans le jurd du Qalamoun pour assener des coups ciblés. L’artillerie de l’armée a d’ailleurs été actionnée en permanence, ne laissant pas aux combattants le temps de souffler.
Selon des sources militaires, cette offensive s’inscrit dans le cadre des opérations préventives, pour ne pas laisser les combattants installés dans le jurd mener eux-mêmes l’assaut contre le Liban dès le début de la fonte des neiges au printemps. Les sources militaires précisent que le nombre de ces combattants est évalué entre 2 000 et 3 000 et ils sont mélangés entre éléments du Front al-Nosra et combattants de Daech, les deux groupes étant parvenus globalement à une entente dans cette région, contre l’Armée libanaise, dont ils détiennent d’ailleurs 25 otages. Bien entendu, entre eux, et surtout entre leurs chefs, les frictions, les rivalités et les conflits continuent, mais ils ont réussi à trouver un terrain d’entente dans leur volonté de combattre l’Armée libanaise.
Colmater les brèches
Les informations parvenues à cette armée précisent que les combattants comptaient lancer une vaste offensive au Liban au printemps pour s’assurer une issue sûre au cas où les soldats de l’armée syrienne, aidés par les combattants du Hezbollah, chercheraient à les encercler du côté syrien. D’ailleurs, les propos du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, à ce sujet étaient assez clairs dans son dernier discours. Il avait ainsi tiré la sonnette d’alarme sur un éventuel plan des combattants takfiristes de s’étendre au Liban dès l’approche du printemps. Ce qui, selon des sources proches de l’armée, signifie en jargon militaire, que l’armée syrienne et le Hezbollah s’apprêtent à lancer une opération contre les jihadistes de l’autre côté de la frontière dans la région du Qalamoun pour les empêcher de faire la jonction avec celle de Zabadani, plus proche de la zone sud où se déroulent d’importants combats, et de la capitale syrienne Damas. De la sorte, les combattants takfiristes, installés dans le jurd du Qalamoun, n’auraient plus d’autre choix que de se déplacer vers le Liban, en utilisant les quelques voies encore non contrôlées par l’Armée libanaise. Celle-ci a donc saisi le message, et même sans cela, elle aurait lancé cette offensive préventive, disent les sources militaires. Car elle sait très bien que, selon la géographie des lieux, les jihadistes n’auront plus d’autre possibilité que de venir au Liban, où, de plus, se trouvent leurs familles, installées dans les camps dans la région de la Békaa du Nord. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles l’Armée libanaise fait aussi régulièrement de nombreuses descentes dans les rassemblements de réfugiés syriens installés dans la Békaa, à la recherche de terroristes éventuels cachés parmi les civils.
La vigilance requise
Au bout d’une dizaine de jours de combats réguliers et violents, jalonnés de plusieurs tentatives d’infiltration des combattants terroristes, les sources militaires affirment que l’opération menée par la troupe peut être qualifiée de réussie. Plusieurs brèches dans le dispositif de sécurité installé par l’armée le long de la frontière avec la Syrie ont été fermées. Mais il en reste encore quelques-unes que les soldats tentent aussi de bloquer. Dans cette opération de moyenne envergure, l’armée n’a pas attendu un feu vert politique, sachant que la sécurité du pays et sa stabilité font désormais l’unanimité au sein de la classe politique et même au sein de la communauté internationale. Le commandement a donc établi le plan de l’attaque, il a mobilisé les forces nécessaires pour l’exécuter et il a donné le signal de l’offensive. Les sources militaires ne veulent pas dire si la troupe a pris des terroristes en otages ou encore s’il y a eu des confrontations directes entre les deux forces, mais elles affirment que du point de vue militaire, l’opération est couronnée de succès, avec un minimum de pertes. Mais l’armée reste vigilante. Les soldats postés dans cette région repoussent tous les soirs des tentatives d’assaut de la part des combattants terroristes. Toutefois, les sources militaires affirment, qu’en gros, on peut dire que la région du jurd de Ras Baalbeck, considérée jusque-là comme un flanc faible pour le Liban, a été sécurisée et elle est désormais sous le contrôle presque total de l’armée.
Les sources militaires affirment que dans le cadre de cette opération, l’armée n’a pas bénéficié de l’aide des combattants du Hezbollah installés de l’autre côté de la frontière. Tout comme elle n’a pas coordonné son action avec l’armée syrienne. Il s’agit donc d’une opération purement libanaise, menée par les troupes officielles qui n’ont fait en quelque sorte que remplir leur mission, celle de protéger le territoire et les Libanais. L’armée refuse de révéler ce que sera sa prochaine mission, mais selon des sources bien informées, elle compte prendre le contrôle de toute la frontière le long de la Békaa, jusqu’à la région de Chebaa. Sachant que de l’autre côté de la frontière, les forces conjointes de l’armée syrienne et du Hezbollah sont en train de coincer de plus en plus les combattants takfiristes, en cherchant à leur fermer toute voie de repli vers Raqqa. L’Armée libanaise n’a donc pas d’autre choix que de resserrer son contrôle sur les régions frontalières du côté libanais, d’autant qu’à l’intérieur du pays, il est difficile de contrôler tous les réfugiés syriens, qui, s’ils sont encouragés par une quelconque percée des combattants dans la Békaa, certains d’entre eux pourraient se transformer en combattants à l’intérieur du Liban. L’armée sait, à ce sujet, qu’une partie des réfugiés sont formés au maniement des armes, le service militaire étant obligatoire en Syrie. La vigilance reste donc le mot d’ordre général.
Joëlle Seif
Une aide qui se fait attendre
L’Armée libanaise aurait bien eu besoin des aides qui lui ont été promises à coups de déclarations spectaculaires depuis plus d’un an. Pourtant, jusque-là, elle n’a rien reçu, ni des trois milliards accordés par l’Arabie saoudite, ni du milliard qui a été ajouté par la suite. Aux dernières informations, le nouveau roi saoudien, Salmane Ben Abdel-Aziz, aurait donné des instructions pour signer les ordres de paiement, moyennant lesquels la France devrait commencer à livrer du matériel militaire, selon les listes établies par l’armée. Mais des sources militaires estiment que le processus est encore long. D’autant que certaines pièces réclamées par l’armée, comme les navires militaires, n’existent pas en stock en France et doivent donc être spécialement fabriquées pour la commande libanaise payée par Riyad.