Où s’arrêteront-ils? La question est sur toutes les lèvres après la destruction filmée de jihadistes s’acharnant à réduire en miettes des statues assyriennes du musée de Mossoul, la semaine dernière. A ce malheur s’est greffé le rapt de plus de deux cents Assyriens dans la région de Hassaké, en Syrie.
Les images sont effroyables. Les jihadistes, barbus et vêtus de djellabas informes, s’acharnent sur des statues assyriennes conservées précieusement par le musée de Mossoul. Poussant les statues à mains nues jusqu’à ce qu’elles s’écrasent à terre, ou armés d’une masse, afin de n’en laisser que des miettes, les jihadistes se mettent une fois de plus, en scène, devant la caméra. La collection d’œuvres d’art préislamique du musée de Mossoul est anéantie, des statues aux frises, en passant par les objets des périodes assyrienne et hellénistique datant de plusieurs siècles avant l’ère chrétienne. Celles du site archéologique de la porte de Nergal, toujours à Mossoul, subissent le même sort. Sur la vidéo diffusée par Daech, on voit des jihadistes se défouler au marteau-piqueur sur la représentation du taureau ailé assyrien en granit. Ce faisant, ils mettent à sac toute l’histoire d’une civilisation, celle de Ninive. Et violent toute la mémoire de l’Humanité, alors que la région fut le berceau de la civilisation, de l’écriture et de l’histoire. Le tout dans une espèce de fureur, celle d’anéantir toute racine et toute trace de la civilisation antérieure, dont ils feraient bien pourtant de s’inspirer. Au motif que ces représentations, témoins de grandes civilisations, favorisent l’idolâtrie.
Non contents d’avoir détruit ce patrimoine de l’humanité, des membres de l’Etat islamique ont aussi fait exploser une mosquée du XIIe siècle dans le centre de Mossoul, sans oublier les quelque 2 000 livres de la bibliothèque de l’Université de Mossoul et les 8 000 ouvrages et documents rares de la bibliothèque publique de la ville, détruits par le feu le 22 février dernier.
Les images de ce pillage archéologique font rapidement le tour du monde. Le saccage de ce patrimoine choque, comme avait choqué la destruction à la dynamite des bouddhas de Bamiyan par les Talibans. Ou celle, plus récente, des mausolées de Tombouctou et de Gao, par des islamistes là aussi, au Mali.
Réunion de crise
Même s’il a été révélé ensuite que nombre des œuvres détruites étaient en fait des copies, cela n’ôte rien à l’horreur des images. De par le monde, les réactions sont à la hauteur du saccage. Irina Bokova, qui dirige l’Unesco, condamne ainsi dans des termes très forts un «nettoyage culturel», demandant la convocation d’une réunion de crise du Conseil de sécurité, s’appuyant ainsi sur la résolution 2 199 qui condamne la destruction des biens culturels et le trafic d’antiquités. Dans une lettre adressée au procureur de la Cour pénale internationale de La Haye, elle y dénonce ce qui est «bien plus qu’une tragédie culturelle», mais aussi «une question de sécurité parce qu’elle alimente le sectarisme, l’extrémisme violent et le conflit en Irak». D’autres voix se sont élevées pour réclamer que soit créée la notion de «crime culturel contre l’humanité». Car c’est bel et bien de cela qu’il s’agit. Les dignitaires musulmans se sont, eux aussi, insurgés contre ces destructions, comme l’instance Dar al-Ifta, en Egypte, qui a estimé que ces exactions révélaient une «ignorance de l’islam», une religion qui «encourage et ordonne» la préservation du patrimoine.
Libération contre rançon
A cette calamité culturelle a succédé une autre catastrophe, celle de l’enlèvement par l’Etat islamique de 220 Assyriens dans la région à majorité kurde de Hassaké, en Syrie. Quelque 5 000 autres sont parvenus à fuir, devançant l’avancée des jihadistes, pour se réfugier dans les villes de Hassaké ou de Qamichli. La communauté assyrienne, qui compte environ 30 000 âmes en Syrie, est l’une des plus anciennes à s’être converties au christianisme.
Cet enlèvement de masse serait une riposte de l’Etat islamique aux défaites subies précédemment. Les Kurdes syriens, appuyés par la Coalition internationale, auraient repris une vingtaine de villages ou hameaux à Daech. La région de Hassaké étant stratégique, car elle se situe au nord-est de la Syrie et se trouve donc entre les bastions jihadistes de Raqqa en Syrie et Mossoul en Irak. Très vite, des chefs de tribus musulmans et la communauté assyrienne se mobilisent pour tenter de les faire relâcher.
Parmi les personnes enlevées figurent en grande majorité des femmes, des enfants et des personnes âgées. Des otages précieux pour l’Etat islamique qui serait tenté de s’en servir comme boucliers humains contre les frappes de la coalition.
Seule lumière d’espoir dans ce chaos, la libération contre une rançon, de dix-neuf otages assyriens dimanche soir. Arrivés à bord de deux bus qui les ont transportés de Chaddadé jusqu’à la ville de Hassaké, ils auraient été relâchés contre une «jizya» pour chaque famille, un impôt décrété par l’EI que les non-musulmans doivent payer.
Jenny Saleh
Qui sont les Assyriens?
La communauté assyrienne figure parmi les multiples communautés chrétiennes d’Orient encore présentes dans la région. Les Assyriens se présentent d’ailleurs comme les descendants de l’ex-empire assyrien établi en Mésopotamie avant l’implantation du christianisme. Ils sont chrétiens nestoriens, c’est-à-dire un courant du christianisme condamné par le concile d’Ephèse en 431 en raison de divergences sur la double nature, divine et humaine, du Christ. Ils parlent encore l’araméen, la langue du Christ.
Marche de soutien à Beyrouth
Une centaine de personnes se sont rassemblées dimanche, au centre-ville, pour participer à une marche organisée en solidarité avec les quelque 200 Assyriens enlevés par l’Etat islamique dans la région de Hassaké en Syrie. Parmi les participants, figuraient plusieurs chefs des communautés chrétiennes persécutées en Irak et en Syrie. Chantant des slogans en langue araméenne et brandissant des drapeaux assyriens, les manifestants ont exhorté la communauté internationale à secourir les chrétiens persécutés par Daech, tant en Syrie qu’en Irak. Au terme d’une marche qui les a menés jusqu’au siège de l’Escwa, ils se sont rassemblés dans le jardin Gebran Khalil Gebran pour remettre aux responsables onusiens un mémorandum adressé au secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-Moon. Au Liban, la communauté assyrienne serait forte de 30 000 à 50 000 personnes. Le ministère de l’Intérieur libanais a par ailleurs ordonné que soit facilitée l’entrée au Liban des réfugiés assyriens qui fuiraient la région de Hassaké. Selon Ibrahim Mrad, le président du Parti de l’Union syriaque, environ 500 Assyriens en provenance de Syrie seraient déjà entrés au Liban. Plusieurs centaines de réfugiés pourraient ainsi arriver dans les prochains jours ou semaines.