En faisant son mea-culpa médiatique, le chanteur populaire, Fadl Chaker, qui fut le petit protégé du cheikh salafiste Ahmad el-Assir, met la justice militaire, qui le recherche, face à ses responsabilités.
Samedi 7 mars, Fadl Chaker a brisé le silence auquel il s’était astreint depuis 2013. Lors de sa dernière apparition télévisée, il était assis à côté de son guide spirituel, le cheikh Ahmad el-Assir, qu’il surnommait «le lion des sunnites», en référence à ses prêches enflammés contre le Hezbollah. Il portait une barbe drue et une longue abbaya. Le jeune éphèbe, qui chantait l’amour quelques années auparavant, chantait là le jihad. «Dieu invite-moi à rejoindre le jihad (…) Mère ne pleure pas pour moi… Je n’ai pas peur de la mort et mon désir est de devenir un martyr». Assir en a fait son fidèle compagnon. Deux ans plus tard, face aux caméras de la LBC, on retrouve un Fadl Chaker imberbe, un peu bouffi, les yeux fatigués, en costume simple. Au fond, on aperçoit une photo de son petit-fils. Plus loin, en arrière-plan, un oud, posé cordes face au mur. Installé dans le salon de sa maison située dans le camp palestinien de Aïn el-Heloué, Chaker a des choses à dire.
«Je souhaite retrouver une vie normale», a notamment déclaré l’ancien chanteur, qui a juré n’avoir «jamais combattu l’Armée libanaise ni à Abra, ni dans aucune autre bataille». Problème, c’est justement l’une des charges qui pèsent sur lui et pour laquelle la peine de mort a été requise contre lui. Dix-huit soldats de l’armée et onze combattants extrémistes ont été tués au cours de ces affrontements. Son avocate, May Khansa, précise que des témoins peuvent certifier de sa non-présence sur les lieux. A-t-il choisi cette avocate pour ses liens avec la Résistance qu’elle revendique?
Mauvaises relations avec Assir
Fadl Chaker explique que ses relations avec Ahmad el-Assir s’étaient gravement détériorées avant la bataille de Abra. Une affirmation que confirme Me Khansa, qui s’est exprimée cette semaine. En d’autres termes, Chaker dément toute participation, directe ou indirecte, aux combats de Abra. Selon son avocate, le chanteur, qui a décidé d’arrêter sa carrière en 2011 à cause, dit-on, de son frère qui lui expliquait que son métier d’artiste était contraire aux règles de l’islam rigoriste qu’il pratiquait, accepterait toutefois de répondre aux accusations d’atteinte au prestige de l’armée.
«Il a fait des déclarations négatives, mais n’a jamais fait couler de sang», assure Khansa. Voilà pour la ligne de défense de l’accusé. Face à cela, quelles réponses la justice peut-elle donner? Se pose en premier lieu la question de son arrestation. Fadl Chaker se trouve aujourd’hui dans le quartier Taamir, dans le camp de Aïn el-Heloué, où il a ouvert un restaurant et une boulangerie. L’ancien chanteur est parfaitement localisable. Selon certains journaux, il l’est depuis le mois de novembre dernier, sur la foi de témoignages recueillis sur place. «Aucun accord n’a été trouvé avec les autorités libanaises», certifie Mme Khansa. «Autrement, il n’aurait pas besoin d’avocat», ajoute-t-elle. L’avocate estime que l’accusé pourrait se rendre et collaborer avec la justice. Il faut rappeler à ce titre qu’un certain nombre de prévenus, accusés d’avoir participé aux combats de Abra, ont été relâchés par le tribunal militaire, faute de preuves. En d’autres termes, Me Khansa voudrait tenter de convaincre la cour d’entendre Chaker à titre de témoin assisté.
Cette stratégie de défense pourrait porter ses fruits. Dans une vidéo diffusée sur YouTube au moment des affrontements de Abra, on l’entend clairement traiter les soldats de l’Armée libanaise de «porcs» et de «chiens» et implorer le ciel que «le nombre de victimes augmente».
Lundi dernier, le commandant en chef de l’armée, le général Jean Kahwagi, a déclaré qu’en octobre 2014, un associé du chanteur et l’un de ses proches amis, Imad Kanso, l’a contacté pour lui dire que Fadl Chaker était prêt à se rendre à la justice. Le chef de l’armée lui a répondu qu’il devait s’adresser directement à ceux qui le poursuivent. Lors de son interview télévisée, le chanteur a révélé être entré en contact avec plusieurs officiers libanais «afin de régler la situation, mais les combats de Abra n’ont pas permis cela».
L’affaire Fadl Chaker ne fait que commencer. La balle est dans le camp de la justice.
Julien Abi Ramia
Le conseil belliqueux d’al-Nosra
Abdallah Mhaissni, l’un des dirigeants du Front al-Nosra, a mis en garde Fadl Chaker contre un retour sur les scènes. «Mon frère, je ne te connaissais pas lorsque tu étais chanteur, mais j’ai appris à te connaître à travers tes incantations que tu adressais à Dieu. Quelle surprise de voir que tu as quitté ce chemin», a déclaré Mhaissni sur son compte Twitter, appelant Chaker à rester «sur la voie du jihad» et à «ne pas céder à la tentation du mensonge et de la superficialité».