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Mouna Béchara

D’un 14 mars à l’autre

En cette veille du 14 mars, les Libanais se souviennent de cet enthousiasme qui avait gagné les foules, il y a juste dix ans. C’était alors la révolution du Cèdre, la libération du pays d’un occupant dérangeant. Chacun revoit en mémoire ces files de voitures et d’équipements militaires reprenant le chemin de Damas. Que d’événements se sont passés en si peu de temps, faisant oublier l’euphorie de l’époque. Les assassinats se sont succédé. Les tristes commémorations aussi. Encore une fois et, hélas pour longtemps peut-être, nous sommes et serons voués à recourir à qui voudra bien nous soutenir pour nous éviter de dériver brutalement. Le peuple, celui du 14 mars comme on s’est plu à l’appeler, suivra-t-il encore le courant créé en cette journée historique de 2005? Ses pionniers et ses chefs réussiront-ils à réveiller la flamme qu’ils avaient allumée? Quel spectacle avons-nous dix ans après?
Consensus, dialogues sous conditions, médiations, le tout mijoté à la sauce de la démocratie consensuelle. Une sauce qui a tourné à l’aigre depuis belle lurette. Et tandis que Daech, al-Nosra et consorts franchissent nos frontières, combattus avec des moyens de bord par une armée courageuse, que les otages pris dans ses rangs ne désarment pas, les ténors de la politique continuent de discuter du sexe des anges et du nom de la personnalité qui, en fin de compte, occupera le palais de Baabda. Est-ce aux chrétiens seuls, même s’ils constituent un obstacle majeur, que revient la responsabilité de cette vacance? Le chef du gouvernement est-il formé, comme le disent certains, par sa communauté, et le président de la Chambre par ses pairs chiites? Ne sont-ils pas désignés ou au vote d’une majorité parlementaire? Ne suffirait-il pas que les élus de la nation, faisant fi de tous les barrages, prennent le chemin de la Place de l’Etoile pour élire, en leur âme et conscience, celui qui veillera au destin du pays? Mais le Liban, indépendant, depuis plus de soixante-dix ans, n’a de toute évidence pas acquis une maturité suffisante pour rejeter toute tutelle dans ses choix primordiaux. Les bonnes âmes se penchent sur son berceau pour le sortir de l’ornière mais rejettent, certes hypocritement, la balle dans le camp des représentants du peuple. C’est sans aucune gêne ou retenue que les responsables de nos destinées lient le futur chef d’Etat au nucléaire iranien et à la bonne gestion américaine, et que les médias évoquent sans pudeur la «nécessaire» ingérence d’autrui dans les affaires de l’Etat.
Nous avons évité de justesse, grâce à la sagesse du Premier ministre, l’effondrement du gouvernement en place. Mais faute de pouvoir appliquer à cette équipe l’étiquette de l’union, les pontes de la République ont éludé la difficulté et, pour sauver la face, l’ont placée sur le thème de l’entente plus facile à obtenir. Le Premier ministre use de toute sa diplomatie pour éviter des démissions, malgré les dissensions qui n’échappent à personne. La tâche des ministres n’est pas facile et les révélations qu’ils font sur ce qu’ils découvrent dans le cadre de leurs portefeuilles respectifs ne sont pas toujours bien accueillies par leurs collègues. En ouvrant la boîte de Pandore, le ministre de la Santé, qui a alerté sur tout ce qui porte préjudice au quotidien des citoyens, s’est attiré les foudres de ses pairs. Le ministre de l’Education prend le relais pour dénoncer les lacunes du secteur de l’enseignement. Aura-t-il fallu, pour ce faire, que la corruption ait atteint son paroxysme dans pratiquement tous les secteurs? Les successeurs de ceux qui sont aujourd’hui aux affaires seront-ils à même de poursuivre ces opérations de nettoyage?
Enfin, la planète entière célèbre la femme en ces premiers jours du mois de mars. Si, aux yeux de la loi, la femme est l’égale de l’homme, il n’en est pas de même dans les sociétés même les plus évoluées. Au Liban, des associations non gouvernementales se penchent sur le sort de cette importante catégorie de la population, particulièrement brimée au Liban et à laquelle nul ne prête attention, ayant d’autres chats à fouetter. Les femmes se sont impliquées d’elles-mêmes dans des actions publiques et sociales. Elles l’ont fait sans l’appui de personne. Les responsabilités dans les affaires de l’Etat leur sont très rarement confiées, alors qu’elles seraient, sans aucun doute, plus efficaces et fidèles que les hommes. «Sans la femme, dit le dicton, il n’y aurait pas d’hommes».

Mouna Béchara

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