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Nº 2994 du vendredi 27 mars 2015

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Fouad Siniora à la barre du TSL. Haro sur la Syrie et le Hezbollah

Après un report pour cause de maladie, l’ancien Premier ministre et proche de Rafic Hariri, Fouad Siniora, a finalement débuté son témoignage devant le Tribunal spécial pour le Liban, à La Haye, lundi dernier.
 

Comme Marwan Hamadé, qui avait inauguré les témoignages politiques, Ghazi Youssef, Abdellatif Chamaa, Salim Diab ou Ghattas Khoury, l’ancien Premier ministre Fouad Siniora a été appelé à témoigner lundi, auprès du Tribunal spécial pour le Liban (TSL). Comme ses prédécesseurs à la barre, ce proche de Rafic Hariri a été sollicité pour éclairer le contexte qui prévalait au Liban des années 90 jusqu’à la veille de l’assassinat de l’ex-Premier ministre libanais.
A cette occasion, Fouad Siniora a rappelé les liens très proches qui l’unissaient à Hariri. Originaires de Saïda, tous deux ont étudié à l’école des Makassed où ils se connaissaient vaguement, avant de nouer une amitié solide, à partir des années 60. De cette relation naîtra une fidélité sans faille, assortie de franchise, selon Fouad Siniora, qui fit partie de plusieurs gouvernements dirigés par Rafic Hariri.
Et c’est justement en s’appuyant sur les liens entre les deux hommes que le tribunal a demandé à Fouad Siniora de revenir sur le contexte politique des années 90 au Liban, quand la tutelle syrienne battait son plein. Une véritable plongée dans une Histoire pas si lointaine que cela.

 

En dents de scie
Celui qui fut ministre des Finances du temps de Rafic Hariri est ainsi revenu sur les relations tumultueuses entre le Premier ministre d’alors et la Syrie, dirigée d’une main de fer par Hafez el-Assad. Fouad Siniora a notamment évoqué la période post-accords de Taëf, allant de 1992 à 1998, pendant laquelle Rafic Hariri dirigea trois gouvernements.
«Parfois, la relation était tendue, à d’autres moments, elle s’améliorait. Toutefois, la formation des gouvernements lui était déjà imposée par le régime sécuritaire syro-libanais», indique-t-il. Siniora relate alors un épisode qui avait particulièrement mécontenté son ami, lors de la formation de son troisième cabinet. Se voyant imposer une longue liste de ministres par Damas, Rafic Hariri s’était déplacé jusqu’en Syrie pour plaider sa cause auprès de Hafez el-Assad en personne. Le président syrien l’avait écouté durant deux heures, mais rien ne l’avait fait varier. «Hariri avait tenté de lui expliquer que les circonstances politiques, sécuritaires, économiques et financières requéraient une équipe autre que celle qui avait été proposée», relate Fouad Siniora. Peine perdue, Hariri repart sans
obtenir quoi que ce soit. Toutefois, du temps de Hafez el-Assad, explique encore Siniora, tout n’était pas blanc ou noir. «Avec (lui), il y avait encore des canaux de communication, malgré les divergences des points de vue», souligne-t-il, «mais ce n’était pas la lune de miel non plus». En outre, le chef du Bloc du Futur rappelle que déjà, à cette époque, Hariri avait coutume de faire une escale à Anjar pour y rencontrer le redouté chef des services de renseignements syriens de l’époque, Ghazi Kanaan. Il lui arrivait également de se rendre à Damas pour y rencontrer Hekmat Chehabi ou Abdel-Halim Khaddam, deux des hommes-clés du régime Assad à l’époque, dont Hariri était très proche. En revanche, avec le successeur de Hafez el-Assad, les relations de Hariri avec le régime tournent au vinaigre.
Comme d’autres témoins avant lui, Siniora évoque la désormais célèbre rencontre entre Rafic Hariri et Bachar el-Assad, en présence de trois officiers supérieurs syriens, en 2003 à Damas. Affirmant que Hariri n’avait pas abordé le sujet avant 2004, l’ancien Premier ministre explique qu’un jour «en sortant du Sérail (…) il m’en a parlé et a pleuré sur mon épaule». «Je n’oublierais jamais l’humiliation que m’a fait subir Bachar el-Assad. Il m’a insulté et humilié», aurait ajouté Hariri, selon Siniora qui ajoute, «la plaie était profonde».
Il raconte plus tard au tribunal la teneur de la seconde réunion entre Hariri, Bassel Fleihan et Bachar el-Assad, un an après. Là, le nouveau président syrien ordonne à Rafic Hariri d’avaliser la prorogation du mandat d’Emile Lahoud. «A défaut, je détruirai le Liban sur ta tête», l’avertit Assad. Devant ces menaces de plus en plus violentes contre leur ami, Siniora et Fleihan lui auraient alors conseillé d’abandonner la politique. La prorogation, elle, sera tout de même actée et le président Lahoud maintenu. Plus tard, Siniora dira sa certitude que Lahoud n’était pas favorable à la création du TSL. Le nom de l’ancien président aura donc souvent été évoqué lors de ces journées. On peut d’ailleurs légitimement s’étonner qu’Emile Lahoud n’ait pas encore été appelé à témoigner au TSL.

 

Le Hezbollah incriminé
Lundi, Fouad Siniora apprend aussi à l’auditoire que le régime syrien avait obligé Rafic Hariri à ajouter Nasser Kandil sur sa liste électorale lors des élections législatives de 2000. Une interférence politique de plus de la part de Damas qui avait provoqué, selon Siniora «la colère (de Hariri), mais il était obligé d’accepter». Kandil «était, à leur avis, le meilleur qui pouvait représenter les intérêts de Damas», alors que la candidature de Ghazi Youssef avait été écartée, poursuit-il. Une illustration de plus de la mainmise syrienne sur le Liban il n’y a pas si longtemps.
Son témoignage s’est poursuivi dans la matinée de mardi. Cette deuxième journée aura surtout été marquée par la révélation d’une confidence qu’aurait faite Rafic Hariri, entre fin 2003 et début 2004. Une déclaration qui fait l’effet d’une bombe. «Un jour, (il) m’a dit: tu sais Fouad, on a découvert à maintes reprises des tentatives d’assassinat contre moi de la part du Hezbollah», a confié Siniora. «Ces déclarations m’ont surpris. Il y a eu un lourd silence. Par la suite, je ne lui ai plus jamais posé de questions à ce sujet». Le député a tout de même reconnu que Hariri et Nasrallah s’étaient rencontrés à plusieurs reprises et que leurs discussions étaient franches et empreintes de respect mutuel. Et selon Siniora, Hariri ne prenait pas ces menaces au sérieux, arguant qu’«ils devront prendre en considération les sanctions qu’ils pourraient encourir s’ils commettaient leur forfait». «Ils n’oseront pas le faire, c’est énorme». Quoi qu’il en soit, cette confidence ne devrait pas manquer de faire couler de l’encre, alors que le dialogue entre le Futur et le Hezbollah est en cours au Liban. Le Moustaqbal a déclaré que le témoignage apporté par Siniora avait «dévoilé les motifs de la campagne médiatique menée contre lui par les forces du 8 mars ces derniers jours».
Mardi, Siniora a évoqué la période post-Taëf, estimant que la présence syrienne avait «permis de parvenir à la paix sur le plan intérieur au Liban», tout en soulignant que Hariri était parvenu au pouvoir uniquement par un processus démocratique, et non par la corruption.
Interrogé par la défense sur de possibles financements donnés par Hariri à Ghazi Kanaan ou Rustom Ghazalé, Fouad Siniora a, en revanche, botté en touche, déclarant «ne pas être au courant» de ces faits, ni pour Kanaan, ni pour d’autres. Il a toutefois évoqué «un paquet» remis à Abou Abdo, alias Ghazalé, par le garde du corps de Hariri, Abou Tarek. «J’ai compris qu’il s’agissait d’une somme d’argent, mais c’était ma propre déduction», souligne-t-il.
Une prudence de mise pour le député? Lundi, alors qu’il était pressé par certains membres de la Cour de donner des noms de «l’appareil sécuritaire syro-libanais» de l’époque, Siniora a préféré, là aussi, rester silencieux. «Je n’aime pas donner des noms». Au sujet de la tentative d’assassinat perpétrée contre Marwan Hamadé, qui avait inauguré les témoignages politiques du procès, l’ancien Premier ministre est, là aussi, resté vague dans ses déclarations. «Je ne peux pas dire… qui a appuyé sur le détonateur».

Jenny Saleh

La réforme bloquée par Lahoud
Au cours de sa première journée d’audition, Fouad Siniora a évoqué le volet économique de la personnalité de Rafic Hariri, peu abordé jusque-là par les précédents témoignages, qui s’étaient cantonnés aux faits politiques. Louant l’ambition de son compagnon de route de faire entrer le Liban et son économie dans le XXIe siècle, il déclare d’un ton laconique, qu’il «y avait quelqu’un qui freinait les réformes pour que le Liban reste sous la coupe de Damas». Alors que le pays peine à se relever de quinze années de guerre civile, Hariri tente, tant bien que mal, de mettre en œuvre projets et réformes. «Ces réformes étaient bloquées en Conseil des ministres ou au Parlement, elles devaient habiliter le Liban à faire face aux défis économiques et sociaux issus de la guerre», explique Siniora. «C’était le cas avant 2000, mais les choses se sont aggravées après cette date».
Le témoin a affirmé qu’Emile Lahoud, alors président de la République, avait empêché à maintes reprises Hariri de mener des réformes au Liban. «Lahoud pensait tout le temps que Hariri cachait quelque chose, par exemple s’il construisait des écoles, il pensait que cela augmenterait sa popularité, alors il interdisait la construction d’écoles», déclare-t-il. «Un des exemples de l’ingérence du régime syrien est l’opposition d’Emile Lahoud à la grille des salaires», a-t-il encore dit, soulignant que l’ancien chef de l’Etat n’était «pas isolé, (mais) soutenu», dans ses positions. Après avoir obtenu l’équivalent de 5 milliards de dollars d’aide économique lors de la conférence Paris II, en 2002, Hariri aurait ainsi confié à Fouad Siniora: «Que Dieu nous vienne en aide lorsque nous serons de retour à Beyrouth». Une allusion au climat de corruption qui «profitait aux responsables des services syriens», entre autres.

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