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Nº 2994 du vendredi 27 mars 2015

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Nicolas Chammas, président élu du club mondial MIT. Inquiet pour le présent, optimiste pour le futur

Nicolas Chammas est le premier non-Américain à être élu président du club MIT dans le monde. Dans une interview accordée à Magazine, le président de l’Association des commerçants de Beyrouth revient sur cette élection et sur les principales questions d’actualité économiques.   

Vous êtes aujourd’hui président élu du club des anciens du Massachusetts Institute of Technology (MIT) dans le monde. Quand a débuté votre histoire avec MIT?
J’ai commencé mes études au MIT en 1985, après une licence en génie civil de l’AUB. En 1987, j’ai obtenu une maîtrise en génie civil et environnemental. J’ai découvert au MIT le monde de l’économie et de la finance et cela m’a ouvert les yeux sur la suite de ma carrière professionnelle. Dans la même année, en 1987, avec deux amis, nous avons fondé le MIT Club du Liban, mais ce n’est que six ans plus tard, en 1993, que nous avons obtenu l’avis de constitution (Elem wa khabar). C’est ainsi que nous avons démarré les activités de ce club par des rencontres entre anciens, une entraide professionnelle et une participation aux débats au moment de la reconstruction du Liban. Par la suite, j’ai aidé à la création d’autres rassemblements du MIT dans la région notamment aux Emirats. J’ai également élargi la palette de services au MIT, en intervenant à sa demande même, auprès des élèves libanais qui présentaient leurs demandes d’admission au MIT. Ce mandat a été étendu à tous les pays arabes et je suis devenu le président régional pour les pays arabes et l’Afrique du Nord. De conseiller éducatif unique au Liban, j’ai recruté une centaine de conseillers dans les pays arabes. Ce dispositif a contribué à l’admission d’un grand nombre de Libanais et d’Arabes au MIT, des Libanais venant de toutes les régions, d’écoles peu connues et de régions défavorisées. Nous avons également fondé le «MIT Entreprise forum», qui encourage les jeunes talents à établir leurs sociétés en utilisant la boîte à outils intellectuelle du MIT en collaboration avec Hala Fadel. J’ai été appelé à être membre du conseil d’administration de l’Association mondiale des anciens à Boston, qui regroupe 130 000 membres. J’en ai été membre, puis vice-président (2010-2013). Je pensais après ce mandat de vice-président avoir atteint le plafond, car la présidence est généralement attribuée à des hommes de plus de 60 ans, en guise de couronnement de carrière. J’ai été élu à 51 ans. Je suis le 122e président et le premier non-Américain, sachant que les 121 présidents précédents sont tous américains. Mon mandat s’étendra du 1er juillet 2016 et s’achèvera le 1er juillet 2017.

A quoi attribuez-vous ce succès?
C’est le Liban qui est consacré à travers moi. J’attribue ce succès collectif au système éducatif libanais, aux organismes économiques dont je fais partie et à la liberté de pensée à la libanaise, qui nous permet d’emporter nos rêves le plus loin possible. 130 000 anciens ont établi des sociétés qui emploient trois millions et demi de personnes. Si ces sociétés étaient dans un seul pays, le PIB de ce pays serait de deux mille milliards de dollars, soit 45 fois la taille de l’économie libanaise.

Quelle est votre action à la tête de l’Association des commerçants de Beyrouth?
J’ai été élu en 2010 à la tête d’un conseil d’administration constitué de jeunes commerçants qui voulaient dépoussiérer l’association et contribuer à revaloriser le métier de commerçant. Nous avons effectué plusieurs changements. Nous avons fait de notre mieux pour aider les commerçants à traverser la passe difficile des cinq dernières années. Nous sommes intervenus, à la demande des commerçants, pour résoudre les problèmes avec les administrations publiques et les banques. Nous avons opéré, ces derniers temps, ce qu’on appelle un «hand holding» pour aider les commerçants à surmonter l’épreuve. En second lieu, nous avons amélioré la grille de lecture du secteur commercial. Nous avons lancé des indicateurs portant sur la consommation et l’investissement devenus des références sur la scène économique. A partir de là, il est devenu beaucoup plus simple et objectif de négocier avec l’Etat en connaissance de cause. En dernier lieu, dans le concert des organismes économiques, l’Association des commerçants de Beyrouth a joué un rôle majeur sur deux dossiers: les négociations salariales de 2011-2012 avec la CGTL qui ont abouti à la ratification d’un accord historique entre les partenaires sociaux. L’association a été le fer de lance dans l’opposition patronale à la grille des salaires, puisqu’en proposant notre propre argument économique, nous nous sommes employés à déconstruire l’argumentation syndicale en faveur de la grille. Les organismes économiques ont pu, d’abord, faire basculer l’opinion publique et, ensuite, faire prendre conscience à la classe politique des dangers auxquels nous exposait la grille des salaires.

Quelles seront les répercussions de cette loi, si elle est votée, sur la livre libanaise?
Il n’y aura pas d’incidence matérielle sur la stabilité de la livre libanaise, car 2015 n’est pas 1992. 1992 avait connu une hausse démentielle des prix et une chute vertigineuse de la livre à la suite d’une hausse inconsidérée des salaires. La différence c’est qu’aujourd’hui la Banque du Liban dispose de beaucoup plus de munitions en termes de réserves de change, d’ingénierie financière et en termes de crédibilité acquise par le gouverneur depuis plus de 20 ans. Le danger n’est pas monétaire. Les répercussions seront en premier lieu financières, à travers une grave détérioration des finances publiques et une hausse simultanée du déficit et de la dette, suivies d’un déclassement de l’emprunt libanais par les agences de notation internationales. En second lieu, les répercussions seront économiques, consécutivement à la hausse prévisible des impôts qui touchent indistinctement l’investissement et la consommation, déprimant un peu plus le contexte économique ambiant. Enfin, les retombées seront sociales étant donné que l’alourdissement des frais généraux du pays va nourrir les phénomènes d’exode et de chômage, déchirant un peu plus le tissu social libanais.

Qu’en est-il de votre participation à la Cedrus Bank?
Cedrus Bank est née après l’acquisition par Cedrus Invest de 85% et moi-même de 15% des actions de la Standard Chartered Bank, qui a décidé de liquider ses activités de banque de détail au Liban. Je suis très satisfait de cet aboutissement étant donné que les deux principaux fondateurs de Cedrus Invest, Fady Assaly et Raëd Khoury, ont une success story dans le domaine bancaire malgré leur jeune âge. L’appel d’offres n’a pas été simple. Nous avions en face de nous les plus grandes banques de la place et, pour la première fois, la BDL a accordé son blanc-seing à l’acquisition d’une banque commerciale par une banque d’investissement, alors que le schéma classique est l’inverse, ouvrant ainsi la voie à une injection de sang neuf.

Comment voyez-vous la situation économique à l’ombre de la lourde présence des réfugiés syriens?
La situation actuelle est préoccupante et tous les indicateurs macro, micro et sectoriels se recoupent pour donner une image inquiétante de la situation. Ceci est dû à un effondrement de la demande sur les produits et services, provoqué par l’absence des touristes arabes et la baisse du pouvoir d’achat des Libanais. En parallèle, l’offre économique a été gonflée par les réfugiés syriens qui sont entrés de plain-pied sur le marché du travail. Cette disparité entre une demande très basse et une offre hypertrophiée provoque la douleur sociale et économique que nous ressentons en ce moment. Pour les années à venir, nous devrons raisonner en termes de scénario: soit le blocage institutionnel persiste et les défis sécuritaires se poursuivent, alors l’économie libanaise restera sur le toboggan actuel et nous ferons face à de plus graves difficultés, soit au contraire l’horizon régional s’éclaircit via un accord américano-iranien en concomitance avec un déblocage politique local (élection d’un président de la République), auquel cas, la situation économique pourrait se redresser et le pays pourrait renouer avec des taux de croissance élevés.

Etes-vous optimiste quant à l’avenir économique du pays?
Malgré la grisaille socioéconomique ambiante, j’appelle les Libanais à ne pas baisser les bras, et tout particulièrement les jeunes, à se mobiliser car les difficultés que nous traversons sont conjoncturelles. Le Liban après 40 ans de tribulations connaîtra dans les années à venir un renversement du cycle économique pour entrer dans un cycle vertueux de croissance, de consommation, d’investissement et de création d’emplois. Autant qu’elle est fragile, l’économie libanaise est résiliente et peut, après quelques années de croissance robuste, rejoindre le peloton des pays émergents les plus prometteurs, une fois l’hypothèque régionale levée.

Propos recueillis par Joëlle Seif

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