Les Libanais vivent au rythme de fragiles dialogues et de dures négociations, autant de thèmes qui font la «une» des médias locaux. Les déclarations contradictoires des politiciens en fonction de leur sensibilité politique, de leurs intérêts personnels ou de ceux du courant auquel ils sont affiliés empoisonnent le climat politique et paralysent la vie publique du pays. Le peuple n’est pas dupe des raisons qui le privent d’un chef à la tête de l’Etat. La ténacité des supporters d’un candidat affiché, mais non encore certain d’avoir gain de cause, est l’un des facteurs, sinon le seul, qui empêchent le Parlement, corps électoral, de se réunir. De toute évidence, une faction politique ne veut pas d’un président élu, mais désigné et de préférence par une force étrangère. Il fut un temps où les ténors de la Chambre, et les ministres, arrivaient à convaincre les citoyens de leur bonne foi et de l’authenticité de leurs intentions. Ce n’est plus le cas. L’indifférence à l’égard de la caste politique s’approfondit de jour en jour. Dans un Etat, qui se vante d’être le seul au Moyen-Orient, régi sous un régime dit démocratique, se référant donc à la voix du peuple, celui-ci est totalement ignoré. Son avis n’est sondé qu’à travers des urnes mensongères, manipulées moralement et matériellement, une fois tous les quatre ans, si toutefois ce mandat n’est pas autoprorogé comme cela est déjà arrivé plus d’une fois sans raison valable. Enfreindre les lois constitutionnelles semble désormais inscrit dans les mœurs libanaises car rien ni personne, à la date d’aujourd’hui, n’en tient compte ou s’en souvient.
De Riyad à Washington, en passant par le Vatican et Paris, ainsi que par d’autres capitales arabes et occidentales, les «dirigeants» de l’Etat décapité sillonnent le monde en quête d’un mot d’ordre leur «permettant» de doter le pays d’un président de la République. Ils en reviennent gros-Jean comme devant, renvoyés de partout à leurs propres responsabilités. Ils sont, ainsi, à la merci des alliances étrangères. Mais rien ne peut vaincre les egos. Ceci nous a menés, à ce jour, à une vacance présidentielle de près d’un an. Et, hélas, ce n’est pas fini. C’est, toute honte bue, que les politiciens, repris par les médias, s’adonnent à des paris, pour le moment perdus: L’Iran et les Etats-Unis s’entendront-ils sur le dossier du nucléaire et quand? Qui du régime syrien ou de ses opposants aura gain de cause? Notre attente promet d’être longue. Entre-temps, les aides promises à l’armée pour lui permettre de protéger le pays du terrorisme qui le menace lui seront fournies, dit-on, vers la fin du mois d’avril. N’attendent-elles pas plutôt de pouvoir être livrées à un président de la République, par ailleurs commandant en chef de l’armée?
La fonction du général commandant de l’armée, dont la mission actuelle est risquée, et plus indispensable que jamais, pose également un grave problème. Le général Jean Kahwagi, ayant atteint l’âge de la retraite, son successeur, s’il est désigné, devrait faire allégeance au chef de l’Etat. Mais les prorogations étant de mise, celle du général n’échappera peut-être pas à la règle.
Les citoyens, quant à eux, semblent s’accoutumer ou se résigner à l’idée d’un Etat sans chef. Ils ne s’en préoccupent plus outre mesure. Que la Constitution soit bafouée aussi souvent devient le dernier de leurs soucis. Leurs principales inquiétudes viennent des surprenantes révélations quotidiennes du ministre de la Santé sur les avaries alimentaires qui, certes, ne datent pas d’aujourd’hui. Combien en ont-ils souffert et en souffrent-ils encore. Son collègue de l’Economie ne dénonce-t-il pas, de son côté, les scandales et les malversations dans différentes administrations? A-t-on été les dindons de la farce pendant tant d’années? Impuissants à résister aux mafias de l’argent ou aux chants des sirènes communautaires? La question aujourd’hui, où la crise a atteint son paroxysme, est de savoir jusqu’où peut aller, dans les conditions actuelles du pays, l’opération mains propres menée par les ministres du gouvernement Salam? Celle-ci servira-t-elle d’exemple à ceux qui leur succèderont? Peut-on espérer être sur la bonne voie vers un Etat assaini? Autant de questions troublantes et toujours sans réponses.
Mouna Béchara