En dépit des vacances pascales et du congé officiel, les dossiers continuent à s’amonceler sans que rien n’indique des règlements imminents. Pourtant, le cas du commandement de l’armée pose un sérieux problème qui devrait être résolu avant septembre, date d’expiration du mandat (déjà prorogé) du général Jean Kahwagi et du chef des services de renseignements, le général Edmond Fadel.
Si rien n’est fait début septembre, l’armée pourrait se retrouver sans tête et sans chef des services de renseignements, sans oublier d’autres postes importants laissés également sans occupants ces derniers temps, des généraux faisant valoir leur droit à la retraite.
Dans les milieux politiques et militaires, plusieurs scénarios sont envisagés. Le premier, idéal, serait que les membres du gouvernement parviennent à s’entendre sur un nouveau commandant en chef de l’armée et un nouveau chef des services de renseignements évitant, de la sorte, à la fois la vacance ou la prorogation, si chère à la classe politique. Ce scénario se heurte à de profondes divergences entre les différents camps politiques sur l’identité du successeur du général Kahwagi. Le candidat le plus naturel, en raison de son ancienneté, de son grade et de ses performances, serait le chef actuel des commandos, le général Chamel Roukoz. Le général Michel Aoun, chef du Bloc du Changement et de la Réforme, est favorable à sa désignation, car en plus d’être son gendre, le général Roukoz est la personnalité la plus qualifiée surtout en cette période de confrontation directe entre l’armée et les takfiristes à Ersal, le long de la frontière avec la Syrie et à travers tout le Liban. Mais du fait que le général Roukoz soit appuyé par le général Aoun et son camp politique, il suscite la méfiance, voire l’hostilité du 14 mars et, en particulier, des Forces libanaises. Des sources proches du 14 mars révèlent ainsi qu’il est inacceptable de désigner le général Roukoz à la tête de l’armée, alors que le général Aoun est un candidat sérieux à la présidence de la République. Ce serait ainsi lui paver en quelque sorte la voie vers Baabda et lui permettre de faire main basse sur les fonctions chrétiennes les plus importantes dans l’Etat. Les milieux proches du 14 mars estiment possible de mener des négociations sur ce sujet et d’aboutir à un accord sur l’une des deux fonctions. Mais à ce jour, le général Aoun refuse de remettre en cause sa candidature à la présidence et considère que la désignation du général Roukoz à la tête de l’armée est son droit le plus naturel. L’en priver porterait un coup terrible au moral de la troupe au moment où celle-ci mène une guerre sans merci contre les takfiristes.
Le Hezbollah soutient Aoun
En tout cas, jusqu’à preuve du contraire, le général Aoun bénéficie du soutien de son allié, le Hezbollah, dans sa position à l’égard du commandement de l’armée et, notamment, de son refus de toute prorogation du mandat du général Jean Kahwagi.
Le dossier semble donc complètement bloqué, alors que le temps presse. Selon des sources bien informées, le président de la Chambre, Nabih Berry, a mis sur le tapis un projet de loi qui permettrait de reculer l’âge de la retraite des généraux qui passerait à 62 ans par exemple au lieu de 58. Ainsi, le général Kahwagi et le général Fadel resteront en fonction après l’expiration de leurs mandats puisqu’ils n’auront pas encore atteint l’âge de la retraite. Ce projet de loi devrait bénéficier aux généraux ayant atteint le grade maximal dans la hiérarchie militaire. Ce qui ne serait pas le cas du général Roukoz. Mais ce n’est pas le seul handicap du projet. Une source militaire révèle qu’entre 1986 et 1994, l’école d’officiers de Fayadié avait fermé ses portes. Il n’y a donc pas eu de nouvelles promotions d’officiers pendant huit ans au sein de l’armée. Sur les 3 000 officiers, il y a 600 généraux. Ce qui est excessif pour une armée de près de 60 000 hommes. Trois cents généraux ont pris récemment la retraite. Il en reste 300. Toutefois, avec l’adoption d’un projet de loi repoussant l’âge de la retraite des généraux, on ne résout pas le problème du grand nombre d’officiers de ce grade. Au contraire, on en crée deux nouveaux: d’abord, il y aura encore plus de généraux, puisque l’âge de la retraite sera retardé, ensuite les généraux qui ont été mis à la retraite pourraient déposer une plainte devant le Conseil d’Etat pour bénéficier de la nouvelle loi et, enfin, l’augmentation du nombre de généraux dans l’Armée libanaise constitue un poids pour la trésorerie et pour le budget de l’Etat, alors qu’il n’existe pas suffisamment de fonctions à leur confier. Il s’agirait donc de dépenses pratiquement inutiles, car chaque général en fonction bénéficie de nombreuses facilités pour la scolarité de ses enfants et les frais de leurs études universitaires et bien d’autres services.
Un déblocage en vue
L’idée du projet de loi devrait donc être abandonnée. Il ne reste plus qu’une possibilité, celle de la prorogation. Mais une violente polémique envenime le débat au sein du Conseil des ministres. Le ministre de la Défense, Samir Mokbel, qui a déjà pris par décret la décision de proroger de six mois le mandat du chef du service de renseignements de l’armée, estime que la décision relève de ses prérogatives, et, par conséquent, elle n’exige pas l’approbation des 24 ministres du gouvernement. D’autres ministres, notamment ceux du bloc aouniste, considèrent que tout ce qui touche aux postes chrétiens importants requiert l’approbation de tous les ministres, surtout en période de vacance à la présidence. Le débat est ouvert et, comme d’habitude, il n’y a pas de solution réellement constitutionnelle, chaque camp restant sur ses positions et se couvrant d’une interprétation des dispositions de la Constitution.
Si la situation reste telle quelle et si le blocage politique se maintient, il est possible que l’on arrive au mois de septembre sans avoir trouvé de solution. La seule option sera alors de procéder, à contrecœur, à la prorogation du mandat du commandant en chef de l’armée, le général Kahwagi, et celui du chef des Renseignements, le général Fadel, pour ne pas laisser la troupe sans tête dans une période aussi délicate et où elle mène de féroces combats à la frontière libano-syrienne contre les takfiristes.
Toutefois, un développement est intervenu ces derniers temps, qui pourrait être le prélude à une solution de ce problème. Ce développement s’est concrétisé par une visite d’une délégation du Hezbollah, formée du chef du bloc parlementaire de la Résistance Mohammad Raad, accompagné du chef de l’unité de coordination au sein du Hezbollah Wafic Safa, au ministre de la Défense Samir Mokbel et au commandant en chef de l’armée le général Kahwagi. Officiellement, il s’agissait pour la délégation du Hezbollah de présenter ses vœux à l’occasion des fêtes pascales. Mais cette double visite était suffisamment rare pour laisser croire qu’il a été question du sort du commandement de l’armée, à partir du mois de septembre… Le souci principal du Hezbollah est aujourd’hui plus que jamais d’aboutir à un accord sur le commandement de l’armée et de pacifier autant que possible la scène interne pour pouvoir se consacrer à la bataille cruciale du Qalamoun.
Joëlle Seif
Autour de Ersal
L’Armée libanaise consolide ses positions autour de Ersal et le long de la frontière libano-syrienne, notamment dans le jurd de Ras Baalbeck et de Kaa, considérés généralement comme des maillons faibles par lesquels les combattants takfiristes pourraient tenter de s’infiltrer au Liban. En même temps, la situation à l’intérieur de la bourgade de Ersal devient inquiétante, puisque la population, qui avait il y a trois ans accueilli les réfugiés syriens à bras ouverts, se rebelle désormais ouvertement contre les combattants qui veulent imposer leur loi. L’armée n’a toujours pas un feu vert politique pour se déployer à Ersal, mais l’idée fait son chemin. Ce qui constituerait un développement majeur dans cette région.