Magazine Le Mensuel

Nº 3104 du vendredi 2 août 2019

Cinéma en Salles general

La face cachée du Baklava. Un film drôle sur la différence

Avec La face cachée du baklava, prévu pour une sortie en salles en 2020, la réalisatrice libanaise Maryanne Zéhil signe un film frais et cocasse sur les Libanais de Montréal.
 

Sur le plateau de tournage, ça grouille. Entre micros, caméras et meubles qu’on déplace, l’agitation est grande, mais la gaieté aussi. Dans cette jolie et grande maison  entourée d’arbres et de verdure, comme il y en a tant à Montréal, ce sont des familles qui se disputent, se réconcilient, éclatent de rire, comme dans la vraie vie. Une vie où des gens différents se côtoient, se tolèrent et doivent finalement composer les uns avec les autres. Le maître d’œuvre de cette joyeuse équipée veille au grain. Maryanne Zéhil semble avoir le don de l’ubiquité. Auteure, scénariste, productrice et réalisatrice, celle qui préside aux Productions Mia est partout. Pas une minute de relâche pour la jeune Libanaise qui sortira son quatrième long-métrage en 2020.
C’est plus tard, installée dans son condo art déco avec des touches orientales que je «jase» avec la brunette que les Libanais ont connue à travers ses documentaires pour la célèbre émission El chater yehkeh de la LBC. Bien adaptée à la mentalité canadienne, elle demeure néanmoins foncièrement libanaise.
Installée depuis plus de 20 ans au Québec, Maryanne Zéhil est à la meilleure place pour détecter les travers des deux mentalités, ce qu’elle fait avec bonheur dans sa comédie de mœurs tendrement acidulée: «J’ai voulu faire un film drôle sur la cohabitation entre par exemple des gens qui débarquent à six pour un dîner et ceux qui prévoient exactement le nombre de bouchées à servir. Autant de remarques, de traditions, que d’habitude j’observe et qui m’amusent. J’ai voulu les traiter avec légèreté pour montrer que finalement, plutôt que de s’offusquer de la différence et se braquer, on pourrait en rire». 
Identités multiples. «Une parenthèse, une récréation», qui tranchent un peu avec les trois précédents longs-métrages plus sérieux et qui ont bien bourlingué dans les festivals et les programmations. A son actif: De ma fenêtre sans maison en 2006 (une Libanaise qui quitte sa fille de quatre ans pour vivre sa féminité au Québec), La vallée des larmes en 2012 (le périple d’une éditrice à la recherche au Liban d’un témoin de massacres) et L’autre côté de novembre, en 2015 (qui pose le problème du destin dans le cheminement de deux femmes, l’une qui a quitté le Liban alors que l’autre y est restée). 
Courageuse et passionnée, Maryanne récidive avec La face cachée du baklava, sur son thème de prédilection, les identités multiples, à travers un long métrage qui met en scène le choc culturel entre deux sœurs vivant à Montréal, mais dont l’une s’est occidentalisée, alors que l’autre pas du tout.  En (très) bref, deux mentalités qui s’opposent mais par le biais du rire.  «L’idée de ce film a germé alors que j’étais à Montpellier, en France, et que la tragédie du Bataclan a eu lieu. J’ai senti que j’avais envie de casser cette impression négative et les commentaires désobligeants à l’égard des Arabes et montrer qu’ils peuvent être aussi très drôles.»   
Une tâche qui lui prend quatre ans de travail. Mais la Libano-canadienne avoue adorer autant trouver l’idée du film, qu’écrire son scénario, le réaliser bien entendu, mais aussi le produire… Ce qui n’est pas de tout repos.  Une étape cruciale, épineuse.  «Tout est calculé minutieusement, à la journée près. Chaque département s’occupe précisément de ce qu’il a à faire. Pour le tournage par exemple, des spécialistes en repérage de plateau prennent des photos d’emplacement, en font une banque de données et nous proposent des lieux. Il faut alors signer des contrats avec les occupants des propriétés pour qu’ils nous la cèdent; puis prendre une assurance pour un éventuel bris de meuble ou d’un quelconque objet. Faire respecter l’horaire des acteurs, sinon, en cas d’absence, il est quasiment impossible de les rebooker…»  
Mais pourquoi avoir choisi de tourner au Canada, contrairement aux trois autres, filmés au Liban? «Malheureusement au Liban, ils manquent un peu d’expérience, car ils n’ont pas la culture du cinéma. Ils disent qu’ils font de la télé. Ce qui n’est pas du tout pareil.  Même les équipes d’ici que j’emmenais avec moi n’ont pas pu les faire profiter de leurs connaissances. ‘Ils savent tout’. C’est dommage.»
La presse canadienne a déjà beaucoup parlé de ce film. On peut le comprendre puisque le casting est prestigieux.  Des acteurs québécois de renom (Claudia Ferri, Jean-Nicolas Verreault, Michel Forget, Geneviève Brouillette, Anick Lemay, France Castel, Marcel Sabourin), mais aussi  plusieurs Libanais et Egyptiens dont Manuel Tadros – qui n’est autre que le père de Xavier Dolan –, Raïa Haidar, Nathalie Tannous, Joseph Antaki… Bref, toute une brochette de comédiens qui va faire du bien aux Libanais, les faire rire. Un film dans lequel ils vont immanquablement se retrouver. «Et qui m’a définitivement réconciliée avec le côté sympathique et cool des Libanais.»

Gisèle Kayata-Eid (à Montréal)

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