Un sommet religieux islamo-chrétien s’est tenu le lundi 30 mars à Bkerké, en présence notamment du patriarche maronite, Béchara Raï, du mufti de la République, Abdel-Latif Derian, du vice-président du Conseil supérieur chiite (CSC), Abdel-Amir Kabalan, du cheikh akl druze, Naïm Hassan, du patriarche grec-catholique, Grégoire III Laham, du catholicos arménien-orthodoxe, Aram Ier, du métropolite grec-orthodoxe de Beyrouth, Elias Audi, ainsi que d’autres dignitaires.
Dans un communiqué lu par Mohammad Sammak, président du comité national pour le dialogue islamo-chrétien, les chefs religieux ont exprimé leur inquiétude de la prolongation de la vacance à la tête de l’Etat et du danger qu’elle constitue pour la souveraineté du Liban et sa sécurité. «Nous encourageons le dialogue entre les différents protagonistes bien que, malheureusement, ces séances n’ont abouti qu’à peu d’accords». Selon les chefs spirituels, «l’élection d’un président doit rester le sujet principal et urgent de tous les dialogues en cours».
Des sources proches du patriarche Béchara Raï rapportent que pour le prélat, ne pas élire un président de la République crée une instabilité tant politique qu’administrative au sein de l’Etat, ainsi qu’une instabilité psychique dans la psychologie collective chrétienne. De plus, ce facteur est en train de provoquer un exode chrétien vers l’étranger. Par conséquent, le vide présidentiel se répercute négativement sur la démographie chrétienne, déjà affaiblie, et diminue la confiance des jeunes dans leur pays. Le patriarche maronite, selon ces sources, considère que les deux leaders chrétiens, le général Michel Aoun et le docteur Samir Geagea, sont les acteurs d’un conflit interminable qui date des années 1980 et qui a complètement affaibli le camp chrétien, jusqu’à la perte des prérogatives présidentielles. C’est à la suite des guerres que se sont livrées Aoun et Geagea, entre 89 et 90, que le président de la République chrétien a perdu ses prérogatives ou du moins une grande partie de celles-ci.
Le patriarche Raï se pose aujourd’hui une question fondamentale: comment les chrétiens continuent-ils à appuyer Aoun et Geagea, surtout qu’au début des années 90 alors qu’ils ont été écartés du pouvoir, ils ont poussé l’ensemble des chrétiens à boycotter ce pouvoir! Cela a contribué à saigner à blanc le potentiel chrétien politique. Selon les sources proches de Bkerké, le patriarche fait assumer entièrement cette responsabilité aux deux leaders chrétiens. Leur retour au pouvoir n’a pas arrangé les choses. Quand ils sont revenus sur la scène politique, ils ont repris leur conflit et se sont ralliés chacun à un camp musulman, sunnite ou chiite, et sont devenus les radicaux de chaque camp.
Pour le chef de l’Eglise maronite, le conflit sunnite-chiite a une seule conséquence, l’anéantissement des chrétiens qui sont le maillon faible démographiquement. Si les sunnites et les chiites se battront dans la rue, ce sont les chrétiens qui partiront, comme cela s’est déjà passé en Irak et en Syrie. Les chrétiens n’ont aucun intérêt à alimenter ce conflit et devenir des radicaux dans un camp ou dans un autre. Ces sources dévoilent l’incompréhension du patriarche face à l’appui populaire dont bénéficient Aoun et Geagea et se sent isolé dans un environnement populaire chrétien appuyant les deux leaders dans leur aventure personnaliste et intéressée. Il considère que le fait de brandir des positions telles que la protection des chrétiens, l’élection d’un président fort, redonner leurs droits aux chrétiens, etc.… sont des slogans vides, car personne ne travaille dans ce sens, alors que tous les deux ont leurs ministres et leurs députés au sein de l’Etat.
Joëlle Seif
Des émissaires patriarcaux
L’ancien ministre Abdallah Farhat, proche du patriarche Béchara Raï, confie: «Le patriarche veut redéfinir et redessiner le rôle des chrétiens au Liban. Au lieu d’être radicaux et de prendre parti pour un camp ou un autre, les chrétiens doivent se transformer en modérateurs et réconciliateurs des musulmans entre eux, d’où l’importance de son initiative pour inviter chez lui les instances suprêmes sunnites et chiites. Le sommet de Bkerké est un sommet de médiation politique intercommunautaire pour essayer de redessiner ce rôle du chrétien médiateur».
Les sources précitées rapportent qu’actuellement, le patriarche Raï réfléchit sur la possibilité d’envoyer des prélats auprès des grandes instances musulmanes, au Azhar, à Najaf, en Iran et en Arabie saoudite pour lancer une véritable initiative de réconciliation des communautés religieuses musulmanes, ce qui pourrait être un rôle historique que jouerait le patriarche maronite.