Délégué général de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed), Jean-Louis Guigou répond aux questions, la carte du monde entre les mains, pour mieux communiquer son idée. Il préfère parler d’un «think tank» non seulement «méditerranéen», mais d’un «think tank international» – basé en France avec une quarantaine d’experts présents dans toute la Méditerranée – et surtout d’un «do tank». L’Ipemed est, pour lui, un catalyseur d’énergie positive pour aller vers les pays méditerranéens.
«Depuis la chute du mur de Berlin en 1989, le monde s’organise en quartiers d’orange: Amérique, Asie, Europe-Méditerranée-Afrique, explique-t-il. Ce sont des pays développés du Nord, mais vieillissants, qui appellent à la coopération et à la croissance auprès des pays émergents du Sud. Le monde est voué à une économie verticale». Il s’agit, explique-t-il, «du destin du monde d’aujourd’hui et de demain, un monde Nord-Sud succédant à des conflits Est-Ouest et à une guerre froide que se livrent deux blocs, l’un se réclamant du capitalisme et l’autre du communisme, alors que les pays du Sud étaient marginalisés». L’Europe n’a d’autre choix que de coopérer avec «son» Sud. Son expansion à l’est butte aux frontières de l’Ukraine, alors que, dans le même temps, les révolutions arabes redistribuent les cartes en Méditerranée et que l’Afrique s’impose comme «le continent du troisième millénaire». L’Europe doit s’insérer dans ce mouvement de «verticalisation» tout comme la Chine se tourne vers les dragons (l’Indonésie, la Malaisie et les Philippines), les tigres (Taïwan, la Corée…) et les Etats-Unis vers l’Amérique latine.
Cette dernière coopération est clairement illustrée par l’importance que le président américain Barack Obama a accordée au septième Sommet des Amériques à Panama.
Selon Jean-Louis Guigou, le dessin de la complémentarité Nord-Sud se retrouve dans chaque pays en raison de l’emplacement géographique et des différences de dotations faisant référence, à titre d’exemple, à l’Espagne, à la coopération entre la Catalogne (Nord) et l’Andalousie (Sud), en France entre l’Ile-de-France (Nord) et la région Paca (Sud).
«Le schéma Nord-Sud qui s’installe est celui du Win-Win», poursuit Jean-Louis Guigou à l’occasion de son bref séjour beyrouthin. En 1914, la plupart des pays du Proche-Orient et d’Afrique étaient colonisés par des pays européens. A présent, ces derniers se doivent d’avoir une approche nouvelle à leur égard et d’apporter leur expertise dans les domaines de l’infrastructure hydraulique, du transport, de l’énergie et d’autres secteurs. D’ici 2040, l’espace économique vertical Europe-Méditerranée-Afrique de l’Europe comptera 3 milliards d’individus si l’on dénombre 500 millions d’habitants en Europe, 500 millions dans les pays du sud et de l’est de la Méditerranée et deux milliards en Afrique.
Investir au Proche-Orient?
Jean-Louis Guigou considère que les opportunités existent et ont vocation à se développer. D’une part, cette partie du monde est en pleine mutation, le développement des affaires entre des pays méditerranéens est de nature à créer un espace économique de stabilité et de prospérité. Reprenant les propos de Robert Schuman, le père de l’Europe, le délégué général de l’Ipemed estime qu’on ne fait pas la guerre à des pays avec lesquels on fait des affaires, d’où l’appel de Schuman aux Européens d’aller vers les Allemands, qui ont pourtant livré deux grandes guerres contre les autres pays européens.
En réponse à une question, il affirme que l’action de l’Ipemed se concentre sur l’économie réelle, persuadé de la richesse que peut engendrer l’industrie telle que décrite par Schumpeter. Dans son livre Ethique protestante et Esprit du capitalisme, Max Weber évoque les trois âges du capitalisme, à savoir le capitalisme commercial, le capitalisme industriel et le capitalisme financier. Or, pour Jean-Louis Guigou, c’est le capitalisme industriel que produisent la classe moyenne, les revenus, la richesse, l’innovation et les produits réels, dénonçant par ailleurs les conséquences économiques désastreuses du capitalisme financier à l’origine de la crise de 2008.
Quid du Liban? Le délégué général de l’Ipemed se félicite de l’ouverture d’esprit incomparable des Libanais, de leur esprit de tolérance et de leur culture. «Nos membres fondateurs libanais, acteurs de premier plan dans leur domaine, nous font part de leur intérêt croissant pour les marchés que représentent les pays du Maghreb, mais aussi la Grèce, la France et la Turquie. Ces demandes sont exacerbées par le contexte particulièrement difficile des voisins du Liban.
Au lancement de son initiative, Jean-Louis Guigou a été vivement encouragé par son ami l’ancien Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, ainsi que par plusieurs autres personnalités. A présent, c’est l’approche de développement économique du président français François Hollande dont le slogan est «Cap au Sud».
Quatre types d’approches
♦ Prospective, pour construire une vision commune de la région et de son devenir, ne pas accepter la fatalité des scénarios tendanciels et faire naître des collaborations sur le long terme.
♦ Par les réseaux professionnels, pour renforcer les synergies entre les réseaux transméditerranéens existants et émergents.
♦ Sectorielle, pour traiter les thèmes indispensables à la création d’emplois, à la croissance durable et solidaire de la région (eau, énergie, transport, santé, agriculture, finance…).
♦ Territoriale, pour une plus grande coopération décentralisée entre régions du pourtour méditerranéen, pour la promotion de l’aménagement du territoire et du développement rural.
L’Ipemed en quelques mots
L’Ipemed est un think tank euro-méditerranéen. Constitué en association par la loi de 1901 depuis sa création en 2006, il préfigure à moyen terme l’institution d’une fondation. Fervent défenseur de la construction de la région méditerranéenne dans son ensemble, l’Ipemed est convaincu du rôle déterminant de l’économie dans ce domaine. Sa mission, statutaire, reconnue d’intérêt général, consiste à rapprocher, par l’économie, les pays des deux rives de la Méditerranée et œuvrer ainsi à la prise de conscience d’un avenir commun et d’une convergence d’intérêts entre les pays du nord et du sud de la Méditerranée. Financé par des entreprises méditerranéennes, membres fondatrices de l’Ipemed, et des personnes physiques qui partagent ses valeurs, il est indépendant des pouvoirs politiques dont il ne reçoit aucun soutien économique. Il a pour principes l’indépendance politique et la parité Nord-Sud dans sa gouvernance, comme dans l’organisation de ses travaux. Il donne la priorité à l’économie et privilégie une approche opérationnelle des projets.
Ses trois fonctions principales sont: le brassage des élites méditerranéennes et, en particulier, des élites émergentes, afin de les mettre en réseau, de leur permettre de travailler en confiance à des projets communs et de bâtir des politiques communes; la production d’idées nouvelles à partir de diagnostics partagés et de réponses communes aux défis de la région; la promotion et la diffusion des idées et des projets auprès des décideurs économiques et politiques de la région, mais également auprès d’un large public.
Liliane Mokbel