Magazine Le Mensuel

Nº 2999 du vendredi 1er mai 2015

Monde Arabe

Yémen. Les espoirs de dialogue douchés par Riyad

Malgré l’annonce, le 21 avril dernier, par Riyad de l’arrêt de la phase intensive de l’opération Tempête décisive, le son des bombardements résonne toujours au Yémen. Les négociations sont au point mort, tandis que l’urgence humanitaire se fait de plus en plus pressante.
 

Plus d’un mois après le début de l’opération Tempête décisive, pilotée par Riyad au nom d’une coalition arabo-sunnite, la situation demeure toujours aussi confuse au Yémen.
Et l’annonce de l’Arabie saoudite, le 21 avril dernier, de l’arrêt de la phase intensive de l’opération Tempête décisive n’a fait qu’ajouter du flou. Car, en réalité, les bombardements aériens se poursuivent bel et bien. L’Arabie saoudite avait en effet prévenu lors de son annonce que l’aviation interviendrait contre tout mouvement suspect au sol, dans le cadre d’une nouvelle campagne baptisée Redonner l’espoir.
La coalition, qui réunit neuf pays arabes au total, a poursuivi ses frappes quotidiennes, en particulier dans le sud du Yémen. Les avions ont notamment bombardé lundi à Ataq, le chef-lieu de la province de Chabwa, des casernes, ainsi que cinq écoles transformées par les rebelles houthis en entrepôts d’armes et de munitions, selon des sources militaires. Les raids ont tué une douzaine de rebelles, ainsi que des militaires restés fidèles à l’ex-président Ali Abdallah Saleh. D’autres frappes aériennes ont visé les villes d’Aden et de Taëz, où se déroulent d’intenses combats de rues en simultané. En l’espace de 48 heures, pas moins de 17 morts étaient à déplorer parmi les civils. Les tirs de rebelles auraient notamment touché un hôpital public de Taëz. Les habitants, devant la rudesse des combats, cherchent à fuir et à se réfugier dans des lieux plus sûrs.
Le week-end dernier, quatre nouveaux raids ont été menés contre le palais présidentiel à Sanaa, ainsi que sur une colline proche, afin d’empêcher l’envoi par les rebelles de renforts militaires dans la province de Mareb, à l’est. Cette région a été témoin de violents combats, notamment à Sirwah, où des tribus sunnites convoyaient des renforts pour faire barrage aux miliciens houthis, faisant une centaine de morts chez les rebelles. La province de Mareb, riche en pétrole et en gaz naturel, est très convoitée.
A Dhaleh, plus à l’est, les avions de la coalition ont lâché non des bombes, mais des médicaments et des équipements médicaux, les rebelles houthis ayant empêché un convoi d’organisations humanitaires d’y pénétrer.
Par ailleurs, l’agence officielle saoudienne, SPA, a annoncé que les premiers éléments de la Garde nationale du royaume − qui compte quelque 125 000 hommes issus de tribus fidèles aux Saoud − avaient été déployés à la frontière yéménite, apportant des renforts aux gardes-frontières et aux soldats de l’armée régulière.
Du 19 mars au 20 avril, les raids aériens et combats au sol auraient déjà tué plus de 1 000 personnes, la moitié d’entre elles étant des civils, selon un bilan effectué par l’Organisation mondiale de la santé.

 

Militaire et politique
Alors que la situation s’enlise de plus en plus au Yémen, et qu’une sortie de crise semble lointaine, la coalition arabe a affiché lundi sa détermination à combiner pression militaire et action politique. Avec un objectif, celui de rétablir l’autorité «légitime» au Yémen. Cité par le quotidien émirati al-Ittihad, le prince héritier d’Abou Dhabi, cheikh Mohammad Ben Zayed Al Nahyan, commandant en chef adjoint de l’armée des émirats, a expliqué la nouvelle stratégie. «La nouvelle phase repose sur une stratégie (…) ayant une dimension militaire et qui tend, par une action politique et de développement, à rétablir (l’autorité) légitime au Yémen», a-t-il indiqué. «Nous n’avons d’autre choix que de réussir dans l’épreuve du Yémen», a-t-il souligné, avant d’affirmer la détermination de son pays à agir avec «ses frères arabes» pour «contrer tous les plans ou agendas régionaux nourrissant des convoitises dans les pays arabes». Une allusion claire à l’Iran, qui est accusé de soutenir les rebelles houthis dans leur conquête du pouvoir au Yémen. L’Iran qui est aussi le pays le plus critique de l’intervention de la coalition arabe. L’hostilité manifeste à l’égard de Téhéran est d’ailleurs réciproque. Lundi, le général Mohammad Ali Jafari, chef des Gardiens de la Révolution iranienne, n’a pas mâché ses mots, accusant l’Arabie saoudite de «traîtrise». «Aujourd’hui, l’Arabie saoudite traîtresse marche dans les pas d’Israël et des sionistes», a-t-il martelé, estimant que «la dynastie saoudienne est au bord du déclin et de la chute».
Dans ce contexte, les tentatives de parvenir à une sortie de crise négociée restent pour l’heure lettre morte.
Un nouvel émissaire de l’Onu pour le Yémen, le diplomate mauritanien Ismaïl Ould Cheikh Ahmed, a été nommé par les Nations unies pour succéder à Jamal Benomar, qui avait été très critiqué par les pays du Golfe. Ahmed connaît bien le Yémen puisqu’il a été coordinateur humanitaire pour l’Onu de 2012 à 2014. Il aura la lourde tâche de relancer le dialogue afin de parvenir à un règlement politique.

 

Washington reprend la main
Du côté des Nations unies, le secrétaire général, Ban Ki-Moon, a déclaré la semaine dernière que l’Onu était prête à fournir les facilités diplomatiques nécessaires pour résoudre cette crise par le dialogue. L’Onu a d’ailleurs précisé que le médiateur mauritanien travaillerait en étroite liaison avec les membres du Conseil, les pays du Conseil de coopération du Golfe, ainsi qu’avec les gouvernements de la région et d’autres partenaires.
Du côté des rebelles houthis, on exige, au préalable, un arrêt de l’opération militaire de la coalition, avant de revenir à la table des négociations. Dimanche, c’est ce qu’a répété Mohammad el-Boukhaïti, membre du Conseil politique d’Ansarallah, le mouvement de la rébellion. Selon lui, le dialogue devrait reprendre au point où il s’était arrêté avec le précédent médiateur.
Dimanche, l’influent ex-président Ali Abdallah Saleh s’est même fendu d’un communiqué lu en son nom sur sa chaîne privée, Yémen el-Yawm. «J’appelle Ansarallah à accepter et à appliquer la résolution du Conseil de sécurité de l’Onu pour pouvoir obtenir l’arrêt de l’agression des forces de la coalition», a déclaré Saleh. Un appel aux rebelles houthis, alliés de l’ancien président, à se retirer. «Je les exhorte à se retirer de toutes les provinces, spécialement d’Aden», appelant également à une reprise du dialogue.
Cet appel a été également relayé par les Américains, vendredi dernier. «Nous avons besoin que les Houthis et ceux qui ont de l’influence sur eux soient prêts à rejoindre la table des négociations», a ainsi déclaré John Kerry, le secrétaire d’Etat des Etats-Unis, en marge du Conseil de l’Arctique au Canada.
Une déclaration qui montrerait que si les négociations reprennent, le mouvement Ansarallah − et de fait l’Iran, son allié −, pourrait avoir un rôle à jouer dans le futur régime, au grand dam de l’Arabie saoudite et de ses alliés du Golfe. Si Washington a soutenu dans un premier temps l’initiative de la coalition arabo-sunnite, via notamment une aide logistique et l’apport de renseignements, il semble désormais que la priorité soit à un règlement par le dialogue, sans écarter aucune partie. Après avoir laissé leurs alliés agir militairement, les Etats-Unis souhaiteraient maintenant reprendre la main au niveau des négociations, écartant de fait l’Arabie saoudite qui entendait orchestrer le dialogue directement à Riyad. «J’espère que dans les jours à venir il y aura une désescalade et que nous pourrons nous retrouver dans un endroit où des négociations pourront se tenir», a souhaité John Kerry.
L’Américain n’a d’ailleurs pas caché son intention d’aborder le sujet avec son homologue iranien, Mohammad Javad Zarif, lors de leur entrevue prévue à New York et portant sur le dossier du nucléaire iranien. Avant leur rencontre prévue lundi, John Kerry s’était avoué convaincu que «le Yémen serait évoqué puisque l’Iran est évidemment un soutien des Houthis». Reste à savoir si les Iraniens souhaiteront en parler.
Preuve supplémentaire que les conditions ne sont pas encore réunies pour un dialogue, la réaction d’un des membres du régime du président Abd Rabbo Mansour Hadi. Réagissant à l’appel lancé par Ali Abdallah Saleh, le ministre yéménite des Affaires étrangères, Riad Yassine, a déclaré que l’offensive lancée par l’Arabie saoudite contre les milices houthies se poursuivrait. «Ces appels sont inacceptables après toutes les destructions causées par Ali Abdallah Saleh. Il ne peut pas y avoir de place pour Saleh dans tout dialogue politique futur», a-t-il déclaré depuis Londres.

Jenny Saleh

Intervention au sol?
Selon le site d’informations du Golfe al-Tagreer, les Saoudiens ne tarderont pas à lancer une opération terrestre au Yémen. «Les signes d’une prochaine intervention au sol», peut-on lire sur le site: «Le déploiement de la garde nationale [composée de forces terrestres] depuis ce lundi 27 avril à la frontière yéméno-saoudienne, la préoccupation du ministre de la Défense, Mohammad Ben Salmane et les appels de plus en plus insistants des autorités à ne pas se rendre au Yémen, ainsi que l’annonce de milices loyalistes yéménites que 85% de la ville d’Aden auraient été libérés de l’emprise des milices (chiites) houthistes». Selon al-Tagreer, le scénario retenu mettrait au premier plan l’armée saoudienne, avec une participation symbolique d’autres pays. Il consisterait à «soutenir les forces loyalistes à Aden, à la fois dans l’armée et au sein des milices, afin de préparer le retour du président légitime Abd Rabbo Mansour Hadi». Al-Tagreer ajoute: «Des spécialistes réunis le 25 avril au Qatar estiment eux aussi que, pour stabiliser le pays, il faudra passer à une intervention au sol». Reste à savoir si les Saoudiens se risqueront à une opération terrestre et donc une guerre asymétrique, qui pourrait devenir un piège avec un risque d’enlisement de la situation.

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