Le 25 mai 2015 arrive sur une note enfin optimiste. Des rumeurs circulent dans les coulisses politiques sur de nouvelles initiatives pour élire un président avant le mois de septembre, après une année de vide presque total.
Le 25 mai 2014, le Liban entamait une période de vacance à la tête de la République et l’aile présidentielle au palais de Baabda fermait ses portes. Ce jour-là, peu de gens croyaient que la vacance se prolongerait tout au long de l’année et des dates étaient constamment avancées pour l’élection présidentielle, marquées par les nombreux rendez-vous parlementaires manqués fixés par le président de la Chambre, Nabih Berry.
Juste pour rafraîchir les mémoires, la vacance présidentielle a été entamée alors que le dialogue entre le Courant du futur et le Courant patriotique libre (CPL), et en particulier entre le général Michel Aoun et l’ancien Premier ministre, Saad Hariri, battait son plein. Toutefois, jusqu’au dernier jour du mandat de Michel Sleiman, Hariri essayait d’arracher à Aoun la promesse d’une prorogation, ne serait-ce que pour six mois, en lui promettant de l’élire après cela. Le général avait refusé en demandant, sans obtenir de réponse, à l’émissaire de Hariri pourquoi ce report de six mois. Malgré cela, le dialogue se poursuivait et les milieux proches du CPL pensaient qu’il avait de fortes chances d’aboutir à une issue positive. L’idée de Aoun était la suivante et elle n’a pas beaucoup changé au cours des derniers mois: dans la situation confuse qui règne au Moyen-Orient et avec les menaces qui pèsent sur la présence des chrétiens dans la région, il faut donner un message fort à ceux du Liban, en rétablissant un partenariat véritable au sein du pouvoir. Si, pour les raisons que l’on connaît, il est difficile de réunir les deux tiers du Parlement pour amender les articles de la Constitution portant sur les prérogatives du président, parce que cela risquerait de remettre en cause l’ensemble de l’accord de Taëf, on peut toujours compenser la faiblesse des prérogatives constitutionnelles par l’élection d’«un président fort», c’est-à-dire représentatif au sein de sa communauté et doté d’un bloc parlementaire important. Convaincu de tenir les bons arguments, Michel Aoun a voulu en persuader le Courant du futur en pensant que ce dernier se chargerait ensuite de convaincre les autres parties au sein du 14 mars.
La démarche paraissait sensée et avait même des chances d’aboutir… si le commandant en chef des Forces libanaises n’était pas intervenu pour la torpiller. Il est ainsi désormais clair que le Dr Samir Geagea a décidé de présenter sa candidature à la présidence de la République sans avertir auparavant ses alliés du 14 mars et, en particulier, le Courant du futur. Geagea craignait en fait de faire les frais d’un accord entre le Courant du futur et le CPL, comme cela avait été le cas lors de la formation de l’actuel gouvernement, dont les Forces libanaises sont exclues. Dans une conférence de presse spectaculaire et surmédiatisée, il a donc annoncé sa candidature, lançant ainsi le feuilleton des séances d’élection présidentielle ratées. Pour Geagea, il s’agissait essentiellement de rappeler à son allié le Courant du futur qu’il ne peut pas prendre des décisions aussi importantes sans le consulter, ni conclure un accord sur le dossier présidentiel avec le général Aoun sans son approbation. Le message du leader des FL a été bien reçu par Saad Hariri, qui a commencé à dire que la présidence concerne principalement les chrétiens et qu’il faut donc un accord entre les principaux pôles de cette communauté.
Le Liban s’est donc retrouvé devant une équation impossible: l’entente des parties chrétiennes sur un candidat qui serait, ensuite, soumis à l’approbation des autres composantes politiques et confessionnelles du pays.
Les efforts de Raï
Le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, a bien essayé de réunir les pôles chrétiens et en particulier le général Aoun, le Dr Geagea, l’ancien ministre Sleiman Frangié et l’ancien président Amine Gemayel (lui aussi candidat non déclaré). En vain. Mgr Raï a même mené campagne tant au Liban qu’auprès des instances internationales pour tenter de les pousser à exercer des pressions sur les parties internes afin qu’elles s’entendent sur un candidat, mais il n’a pas obtenu gain de cause. Le Vatican s’est aussi mis de la partie, ainsi que la France qui a même envoyé à plusieurs reprises son émissaire Jean-François Girault, à Riyad, à Téhéran et à Beyrouth pour tenter de débloquer le dossier présidentiel, sans parvenir à des résultats concluants.
Le feuilleton s’est ainsi poursuivi pendant bientôt douze mois, avec plus ou moins de développements et de moins en moins de conviction chez les acteurs. Au point que les derniers rendez-vous parlementaires pour l’élection présidentielle n’attiraient même plus ni les députés eux-mêmes ni les médias. Au point aussi que plus personne au Liban n’est convaincu de l’imminence de l’élection présidentielle…
Un élément nouveau
Toutefois, un élément nouveau est apparu, il y a quelques jours, avec une détermination française renouvelée de relancer le dossier, ainsi que l’envoi par le Vatican d’un nouvel émissaire chargé de mener des contacts avec les différentes parties libanaises pour accélérer le processus électoral. Cette nouvelle dynamique coïncide (mais est-ce vraiment une coïncidence?) avec l’arrivée au mois de juillet d’un nouvel ambassadeur de France au Liban, le diplomate Emmanuel Bonne, qui occupait les fonctions de conseiller diplomatique à l’Elysée. En réalité, cette nouvelle dynamique est essentiellement liée aux développements attendus dans la région, après la conclusion probable d’un accord sur le dossier nucléaire iranien entre la République islamique d’Iran et l’Occident. Cet accord, qui devrait être signé à la fin du mois de juin, devrait ouvrir la voie à des négociations plus directes sur les dossiers en suspens dans la région, notamment l’Irak, le Yémen, la Syrie et… le Liban. Avec une pression internationale, et en particulier française et vaticane, le dossier libanais pourrait même être réglé avant les autres, ce qui permettrait l’élection d’un nouveau président de la République en été ou au début de l’automne. Les milieux politiques proches du 14 mars penchent de plus en plus vers cette possibilité et estiment qu’une fois l’accord sur le nucléaire en poche, l’Iran serait prêt à faire pression sur le Hezbollah pour qu’il pousse le général Aoun à se retirer de la course pour parvenir à une entente sur un autre candidat. Les dernières déclarations du secrétaire général du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah, appuyant la candidature du général Aoun, ne seraient que les ultimes tentatives de faire monter les enchères… Wait and see.
Joëlle Seif
Nominations reportées
Des sources gouvernementales révèlent que face à la possibilité sérieuse d’élire un président dans les prochains mois, il serait probable que le gouvernement ne désigne personne à la tête des Forces de sécurité intérieure (FSI) après le passage à la retraite du général Ibrahim Basbous qui intervient le 5 juin. Le gouvernement préfèrerait ainsi laisser le poste vacant ou occupé par l’officier le plus gradé pour quelques mois plutôt que de provoquer un nouveau bras de fer politique, alors qu’il serait plus facile de conclure un accord global portant sur le commandement des FSI et celui de l’armée, avec le président élu, si l’élection a lieu avant le passage à la retraite de l’actuel commandant en chef de l’armée, le général Jean Kahwagi. Mais à moins d’avoir des garanties sur un accord avant la fin de septembre sur l’élection d’un président, le pari reste un peu risqué surtout en cette période où l’armée mène une guerre féroce contre les takfiristes et où elle est aussi en butte aux critiques détournées de certaines figures au sein du Courant du futur.