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Nº 3005 du vendredi 12 juin 2015

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Dans le jurd de Ersal. La débâcle des combattants takfiristes

En quelques jours, le Hezbollah a libéré 65% du jurd de Ersal qui occupe au total une superficie de 800 km2. Désormais, il va s’attaquer aux 200 km2 contrôlés par Daech. Mais au train où vont les combats, il pourrait bien s’en emparer rapidement, même si sayyed Hassan Nasrallah s’est dit, dans son dernier discours, ne pas être pressé…
 

L’attention des Libanais est fixée, depuis quelques jours, sur le jurd de Ersal, où se déroulent des combats importants pour l’avenir de la Békaa. Annoncée par le secrétaire général du Hezbollah en hiver, la bataille du jurd de Ersal n’a pas seulement commencé, elle est presque sur le point de s’achever. Le Hezbollah avait fait savoir à ses partenaires libanais que la décision de mener cette bataille était irrévocable, surtout au moment où il s’implique encore plus dans la guerre qui se déroule en Syrie. Il ne peut en aucun cas accepter de laisser une plaie béante sur son flanc et, par conséquent, il est contraint de mener la bataille pour la libération du jurd du Qalamoun et pour sécuriser la frontière libano-syrienne au niveau de la Békaa. Le timing du déclenchement de cette bataille était resté flou, sayyed Nasrallah s’étant contenté de parler «de la fonte des neiges». Il avait ainsi maintenu le mystère sur la bataille, en se limitant à dire qu’elle s’imposera d’elle-même aux médias. C’est ce qui s’est produit, puisque les médias en état d’alerte se sont rapidement rendu compte que les combats avaient commencé et que le Hezbollah enregistrait des progrès rapides, notamment dans la région du jurd contrôlée par le Front al-Nosra, située au sud-est. Le parti de Dieu a commencé par cette zone parce que ses hommes avaient subi des attaques dans ce secteur. Ils ont donc décidé de le libérer en premier, pour remonter ensuite vers le nord et l’est contrôlés par Daech.
Selon les experts militaires, les combats contre al-Nosra devaient être en principe plus difficiles, cette organisation, branche syrienne d’al-Qaïda, ayant réussi avec l’aide de fonds, venus d’un peu partout, à se présenter comme étant plus modérée que Daech. Elle bénéficiait donc d’un environnement plus favorable et était mieux perçue par les habitants sunnites. Malgré cela, les combattants du Hezbollah ont avancé rapidement, libérant près de 520 km2, sur les 800 km2 de l’ensemble du jurd. Ils ont réussi à pousser les combattants d’al-Nosra à fuir les zones qu’ils contrôlaient, laissant derrière eux armes et voitures piégées.
Les éléments takfiristes ont tenté, au début, de se réfugier dans la zone contrôlée par Daech, mais une bataille a éclaté entre les deux groupes rivaux faisant une cinquantaine de tués des deux bords. Al-Nosra a compris le message et s’est retranché sur la colline de Kherbet Younane, qui constitue désormais la ligne de démarcation entre les deux formations takfiristes et cette colline se situe à la limite de Wadi Homayed, un des derniers sanctuaires des combattants avant les camps de réfugiés situés dans le jurd de Ersal.
Selon des sources qui suivent de près les développements dans le jurd, la défaite des combattants d’al-Nosra a été rapide et presque totale. Ceux-ci n’ont plus désormais que des choix limités: fuir vers d’autres régions contrôlées par les groupes takfiristes en Syrie, mais cela ne peut se faire que par le biais de négociations avec le régime syrien; ou proclamer un émirat à Ersal et dans les camps de réfugiés qui en sont proches pour se protéger et attirer un maximum de civils autour d’eux. Selon certaines informations pas encore confirmées, le leader d’al-Nosra Abou Malek el-Tallé, qui se comportait à un moment comme s’il tirait les ficelles au Liban en utilisant la carte des militaires pris en otages, se serait réfugié à l’intérieur de Ersal, où il se ferait soigner car il aurait été blessé dans les combats. Ce qui pose une fois de plus le problème de la situation de la localité de Ersal. Le Courant du futur a estimé que le Hezbollah ne devait pas y entrer pour ne pas susciter une confrontation entre sunnites et chiites. Le Hezbollah lui-même, par la voix de son secrétaire général, a déclaré qu’il n’a jamais eu l’intention d’entrer à Ersal, la sécurité de cette localité relevant de la responsabilité de l’Etat libanais et de l’armée nationale. Mais les développements dans le jurd rendent la situation à Ersal de plus en plus critique.

 

Ersal occupé
En principe, le Conseil des ministres a donné à l’armée un mandat de faire régner la sécurité selon le plan qu’elle juge bon. De fait, après cette décision, l’Armée libanaise a dépêché, pour la première fois depuis la bataille de Ersal en août dernier, une patrouille à l’intérieur de la localité. Mais selon des sources populaires à Ersal, elle n’aurait pas dressé des barrages à l’intérieur de la localité ni placé des postes permanents. Ce qui signifie que l’intérieur est encore sous le contrôle des éléments armés et, comme l’avait dit le ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, «Ersal est occupé par les éléments takfiristes». Ceux-ci continuent à imposer leur loi, y ayant même installé des tribunaux religieux. Avec les développements qui semblent se précipiter dans le jurd, il est clair que la situation dans la localité se complique, sachant que les combattants ayant fui le jurd pourraient s’y retrancher et utiliser les habitants en boucliers humains. L’Armée libanaise est ainsi une nouvelle fois mise sur la sellette et la mission qui lui est confiée est particulièrement difficile et complexe. Pourtant, depuis le 2 août dernier, lorsque la bataille de Ersal avait eu lieu et que les combattants avaient réussi, en profitant d’une trêve, à prendre des militaires en otages, la position des habitants de Ersal a beaucoup changé. Au début, certains d’entre eux pouvaient avoir une certaine sympathie pour l’opposition syrienne, avec laquelle ils ont en commun l’appartenance confessionnelle et politique. Mais depuis, ils ont tellement subi les vexations des combattants syriens qu’ils ont commencé à se rapprocher de l’Armée libanaise et à prôner son déploiement à l’intérieur de la ville. Si donc, une nouvelle bataille devait éclater à Ersal, il y a beaucoup de chances qu’elle soit différente de celle qui s’était déroulée l’an dernier, les habitants n’étant pas prêts cette fois à accueillir les combattants et à leur fournir la moindre aide. Ce changement de sensibilité populaire peut être considéré comme un développement important dans le cours de la bataille qui se déroule actuellement dans le jurd de Ersal.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les combattants de Daech, qui craignent actuellement l’avancée des résistants du Hezbollah dans la région du jurd qu’ils contrôlent, ont tenté mardi une diversion en attaquant le jurd de Ras Baalbeck et celui des fermes de Qaa. L’attaque-surprise, destinée à frapper le Hezbollah là où il s’y attend le moins, s’est retournée contre les assaillants, qui ont été repoussés accusant des pertes considérables. De plus, en attaquant les régions du jurd en prolongement des localités chrétiennes, ils ont réussi à impliquer l’armée postée dans cette zone, dans la bataille aux côtés du Hezbollah. Ce qui peut être considéré comme une erreur tactique car, jusqu’à présent, l’Armée libanaise s’était bien gardée de se mêler directement à la bataille, le mandat officiel que lui a confié le gouvernement étant limité à Ersal et aux régions chrétiennes. Désormais, les cartes sont de nouveau brouillées et l’artillerie de l’armée a activement participé à la contre-offensive destinée à repousser l’attaque dans le jurd de Ras Baalbeck et des fermes de Qaa. Comme l’a donc dit et répété le secrétaire général du Hezbollah, la bataille du jurd est en train de s’imposer aux médias et les développements semblent se précipiter. D’autant que le Hezbollah profite d’un effet psychologique qui mine le moral des combattants ennemis et les pousse à fuir au lieu de se battre jusqu’au bout. Au point que le Hezbollah, qui avait laissé la confrontation avec Daech pour la fin, est en train de dire, à travers ses partisans, que cette bataille pourrait même être plus facile que celle qui l’a opposé aux combattants du Front al-Nosra. Ce qui est sûr c’est que, quelle que soit l’issue de la bataille du jurd, elle aura forcément des répercussions sur l’intérieur libanais.

Joëlle Seif

Des habitants de Ersal avec le Hezb
Depuis que la bataille du jurd du Qalamoun a commencé, les habitants de Ersal ont voulu y participer à leur manière. Les notables de la ville se sont réunis et ont publié un communiqué d’appui à l’armée et même au Hezbollah dans sa bataille de libération du jurd. Un de leurs représentants a même été reçu sur la chaîne al-Manar sur laquelle il a exposé l’appui de la population de sa localité à l’initiative du Hezbollah de libérer le jurd de la présence des éléments armés. C’est un développement majeur en faveur du Hezbollah parce qu’il atténue la division entre sunnites et chiites et donne une légitimité populaire à cette bataille.

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