Contribution des émigrés à l’économie libanaise: réalités et potentiels a été le thème du déjeuner-débat organisé par le comité national du Forum francophone des affaires, présidé par Reine Codsi. Economiste en chef et directeur du département de recherche et d’analyse du groupe Byblos Bank, Nassib Ghobril a parlé des réalités, du potentiel, mais aussi des illusions autour de l’émigration et de son apport.
«L’émigration contribue à l’économie libanaise, mais il y a aussi beaucoup d’illusions autour de ce sujet», a déclaré Nassib Ghobril. Selon l’économiste, les transferts des émigrés, qui représentent 15,4% du PIB, ne sont que la partie visible de l’apport de la diaspora à l’économie. De 6,6 milliards de dollars en moyenne entre 2005 et 2009, les transferts de la diaspora sont passés à 7,2 milliards entre 2010 et 2014. Il relève que le Liban est le douzième plus important destinataire de transferts étrangers.
Pour l’économiste, la taille de la diaspora est parfois exagérée. «Il n’y a pas de diaspora qui compte 14 millions de personnes. Selon certaines estimations, le nombre de Libanais vivant à l’étranger dépasse 11 millions, voire 14 millions d’âmes. Mais si nous nous référons aux résultats de l’étude de l’Ours selon lesquels le montant transféré par émigré s’élève à 5720 dollars en moyenne, nous déduisons que seuls 1,4 million de personnes sont réellement encore en contact avec le Liban, du moins sur le plan financier». Selon lui, la libre circulation des capitaux, la solidité du système bancaire et la politique monétaire de stabilisation du taux de change ont été à l’origine de la croissance de ces transferts au cours des deux dernières décennies. «Mais il existe un autre facteur majeur qu’on oublie parfois de citer: la poursuite de l’émigration après la guerre», a-t-il ajouté. Selon une enquête de l’Ours, publiée en 2009, 466 000 Libanais auraient émigré entre 1992 et 2007, dont 77% ont entre 18 et 35 ans.
Nassib Ghobril relève que l’envoi de fonds vers le pays d’origine faiblit au cours des années. «On croit que les émigrés sont tous riches et ont de l’argent mais, en réalité, la cherté de vie est un facteur qui peut réduire ces transferts. Des villes telles que Dubaï et Abou Dhabi, où se trouve une large partie de la diaspora, sont parmi les plus chères du monde». Le volume des transferts risque de s’amenuiser avec les années, faute de stratégie et de vision gouvernementales pour entretenir ces flux, a-t-il prévenu. «Les transferts sont généralement au plus haut durant les trois à cinq premières années qui suivent l’expatriation, avant de reculer par la suite. Les émigrés craignent de plus en plus d’être pris dans les filets du blanchiment d’argent et du terrorisme, ou d’être accusés d’évasion fiscale, avec l’émergence de nouveaux codes et structures, tels la loi américaine Fatca et les mécanismes de surveillance mis en œuvre dans ce cadre».
Les congrès et les voyages n’aboutissent pas s’ils ne sont pas suivis d’une stratégie réelle et d’une série de mesures concrètes. «Dans une perspective de hausse prochaine des taux d’intérêt américains, il faudrait éviter d’augmenter l’impôt sur l’épargne bancaire, voire le réduire». Il a proposé des recommandations pour maintenir les liens avec la diaspora réelle. D’abord, il faut éviter d’augmenter les intérêts sur les dépôts bancaires au Liban. «Entre les impôts, l’évasion fiscale et le blanchiment, les expatriés préfèrent garder leur argent dans des comptes bancaires en Europe pour éviter les soucis». Le Parlement devrait, en parallèle, adopter les trois projets de lois réclamés par la Banque du Liban contre le blanchiment d’argent, élargir la définition de celui-ci, régulariser le transfert d’argent en espèces, échanger de l’information fiscale adoptée par les pays de l’OCDE».
Il faut améliorer l’infrastructure pour améliorer les investissements. «Le classement du Liban a reculé de 24 positions en quatre ans à cause de l’infrastructure».
Joëlle Seif
Il faut privatiser
Nassib Ghobril a mentionné que lors de sa visite du Liban, l’homme le plus riche du monde, Carlos Slim, a conseillé aux Libanais d’améliorer leur infrastructure pour améliorer les investissements. «Bien que la privatisation est un mot tabou, il faut privatiser. C’est la privatisation qui va régler les problèmes d’infrastructure».
La priorité serait de maintenir des liens avec la diaspora réelle. «La diaspora imaginaire constituée par la troisième, quatrième et cinquième générations d’émigrés n’est pas récupérable». Il faudrait aussi accorder un plus grand rôle politique aux émigrés, en leur permettant de voter dans les ambassades et de récupérer la nationalité libanaise: «Ce n’est pas en traitant la diaspora comme une caisse d’épargne que nous ferons avancer les choses».