Depuis leur rencontre secrète à Paris à la veille de la formation du gouvernement Salam, et leur réunion à la Maison du centre, les relations entre Michel Aoun et Saad Hariri semblaient conforter l’amitié personnelle et politique qui n’existait pas auparavant… La lune de miel ne dura pas et le langage politique est revenu à ce qu’il était.
Quelles sont les raisons qui ont poussé le Courant du futur à reconsidérer sa relation avec le général Michel Aoun? De nombreuses analyses ont été faites.
D’abord, l’ancien Premier ministre Saad Hariri n’était pas enthousiaste à l’accession de Aoun à la présidence. Le dialogue qu’il avait établi avec lui portait sur des projets bien précis: le gouvernement, les nominations et un plan sécuritaire. Le dialogue a pris fin aux portes de Baabda. Hariri jette la balle dans le camp chrétien.
Michel Aoun a fait la sourde oreille aux conseils de rester sur ses gardes face à Hariri et de ne pas compter sur son appui à l’élection présidentielle. Le leader du CPL lui faisait confiance. A ceux qui doutaient des véritables intentions de l’ancien Premier ministre, il affirmait que l’homme était sincère dans ses propos et dans ses sentiments, mais qu’il ne pouvait pas aller à l’encontre de Riyad, qui s’opposait à l’accession de Aoun à la première magistrature.
Hariri avait, d’autre part, révisé ses priorités et ses politiques pour la prochaine période vu les changements majeurs dans la région. Notamment dans les relations entre l’Arabie saoudite et l’Iran, qui s’affrontent dans toute la région, y compris au Liban. Avant la détérioration des relations saoudo-iraniennes, Hariri avait planifié de rentrer à Beyrouth après une absence forcée de quatre ans et de priser la présidence du Conseil, Tammam Salam occupant cette fonction à titre provisoire. Les circonstances ayant profondément changé, son retour devenait risqué sur le double plan politique et sécuritaire. L’équation Aoun-Hariri (président de la République et Premier ministre), qui avait été envisagée, est ainsi tombée et Hariri n’avait plus intérêt à soutenir l’idée de «Aoun président» dans la mesure où il ne serait pas, lui-même, chef du gouvernement.
Enfin, la guerre du Yémen a bouleversé la donne dans la région provoquant un séisme auquel le Liban ne pouvait échapper du fait que les principaux antagonistes, l’Iran et l’Arabie, s’affrontent par Hezbollah et Courant du futur interposés. Un changement est intervenu dans la politique saoudienne devenue agressive et «guerrière» et dans un conflit ouvert avec l’Iran et le Hezbollah. Ce renversement de la situation régionale a provoqué une fermeté saoudienne au Liban. Riyad ne pouvant accepter à la présidence de la République le général Aoun, allié du Hezbollah, surtout après la campagne médiatique et politique menée par le parti contre le royaume et la famille royale et les relations avec l’Iran qui évoluent de négatives au pire.
Pour les mêmes raisons, le Futur a échafaudé un bouclier contre la désignation du général Chamel Roukoz à la tête de l’armée en remplacement du général Jean Kahwagi, s’appuyant sur le vide à la présidence et laissant entendre que leur accord était conditionné par le renoncement du général Aoun à son projet de chef d’Etat. Ni les satisfaisantes performances de Kahwagi, ni le lien familial de Chamel Roukoz avec le général Michel Aoun ne poussaient à franchir le pas. Le commandement de l’armée n’est pas seulement une fonction militaire, mais un poste politique égal à la présidence à laquelle Aoun doit renoncer et faciliter l’élection d’un président consensuel, la désignation de Roukoz deviendrait alors possible.
Chaouki Achkouti
La politique du Hezbollah
Pour le Hezbollah, convaincre le général Michel Aoun de renoncer à la présidence revient au Courant du futur qui doit tenir les promesses faites au leader du CPL. Hassan Nasrallah appuie le général Aoun en se basant sur les engagements pris par le Futur. Le CPL se sent privé des droits qui lui reviennent et, pour le Hezbollah, les revendications du général sont justifiées du fait des promesses de Saad Hariri que Aoun évoque souvent. Le Hezbollah ne croit pas que l’obstacle au souhait du général Aoun soit dû au défaut de quorum, qui peut être assuré. Dans ce cadre, le problème gouvernemental est le refus permanent des ministres du CPL de débattre de toute décision en dehors du dossier des nominations sécuritaires. Autant dire que le gouvernement se réunit inutilement. Le Hezbollah ne veut pas toucher aux droits des autres et ne souhaite écarter personne. Mais il refuse tout compromis concernant ses droits et ceux de ses alliés. Ainsi, il affirme que si Michel Aoun n’accède pas à la présidence de la République, Hariri ne peut pas être chef du gouvernement.