Magazine Le Mensuel

Nº 3007 du vendredi 26 juin 2015

POLITIQUE

Tripoli. Les jeunes, en colère, se radicalisent

La diffusion sur les réseaux sociaux d’une vidéo montrant des scènes de torture des prisonniers islamistes par des membres des Forces de la sécurité intérieure a provoqué l’indignation des habitants de Tripoli. Une colère qui ne fait qu’exacerber la montée du sentiment sectaire dans la ville, dont de nombreux jeunes iraient chaque mois grossir les rangs de l’Etat islamique en Syrie et en Irak.
 

Ahmad Tahhan est un habitant de Tripoli, pratiquant mais tolérant. Ce matin, il ne parvient pas à masquer son agitation face aux images violentes d’un islamiste dénudé et battu par un garde dont il est contraint d’embrasser les bottes. «Si cette vidéo était celle de mon frère, je serais le premier à rejoindre l’armée de Lahd (en référence à une milice libanaise alliée aux Israéliens sous l’occupation)», ajoute Tahhan. Son voisin de table qui, lui, préfère garder l’anonymat, déclare: «Ahmad fait référence à Lahd, mais moi ce serait l’Etat islamique (EI) que je choisirais de rejoindre».
En ce début de semaine, ce type de langage domine les conversations à Tripoli. Les habitants se disent scandalisés par la teneur des vidéos, accusant les responsables politiques sunnites de collusion avec le Hezbollah, un parti particulièrement mal vu dans le chef-lieu du Nord. «Personne ne nous protège, le ministre (de l’Intérieur) Nouhad Machnouk, supposé appartenir à un courant (celui du Futur) représentant la rue sunnite, a choisi de taire l’affaire. Il devrait démissionner», ajoute Oum Hana, une habitante de Qobbé, un quartier pauvre de la ville d’où un grand nombre de jeunes sont partis pour combattre en Syrie et en Irak.
Les cheikhs salafistes de la ville semblent dépassés par les événements. Cette semaine, un nouveau décès a été annoncé dans les rangs de l’EI, celui de Mahmoud Omar, un homme originaire du quartier de Suwaykah à Tripoli, mais résidant à Sydney en Australie.

 

Pas confiance dans l’Etat
«Les scènes de torture seront lourdes de conséquences. Ce type d’exactions alimente le discours de Daech (EI) et contribue à la radicalisation des jeunes. A Tripoli, les habitants ont de moins en moins confiance dans les institutions de l’Etat. Ils se demandent si les jugements rendus à l’encontre des prisonniers islamistes sont basés sur des aveux soutirés sous la torture», souligne le cheikh salafiste Nabil Rahim.
Près d’une centaine de prisonniers avaient été jugés dans le cadre de la guerre de Nahr el-Bared de 2007, entre le groupuscule terroriste de Fateh el-islam et l’Armée libanaise, qui a perdu près de 170 soldats dans ces batailles. Au nombre d’islamistes d’alors est venu s’ajouter une cohorte de nouveaux venus depuis le début de la guerre en Syrie, une multitude de sunnites ayant rejoint les rangs des groupes rebelles en Syrie et ceux de mouvances terroristes comme le Front al-Nosra, la branche syrienne d’al-Qaïda, et l’EI.
Près de 400 personnes seraient ainsi soupçonnées d’avoir rejoint ces deux organisations. Mais certaines personnes interrogées dont un cheikh salafiste de Qobbé s’exprimant sous couvert d’anonymat, de même qu’un officier de l’armée estiment que ce chiffre pourrait être bien plus élevé. «Il serait plutôt dans la tranche de 700 à 1 000», ajoute l’officier.
Selon le cheikh salafiste Bilal Dokmak, une dizaine de jeunes tenteraient chaque mois de rejoindre la Syrie ou l’Irak et, le plus souvent, sans le consentement de leurs parents. «Les réactions des familles divergent, certaines sont mécontentes des décisions prises par leurs enfants et d’autres sont fières qu’ils aillent mourir pour la bonne cause», ajoute le cheikh salafiste.

 

Enrayer l’exode
De nombreux jeunes étant poursuivis pour de menus larcins ou pour avoir participé aux combats contre l’armée à Tripoli choisissent le chemin du «martyr» afin d’échapper à la justice libanaise. «Ils disent préférer mourir dignement plutôt que de subir des humiliations dans les prisons libanaises», explique le cheikh Nabil Rahim.
Le gouvernement aurait pris des mesures visant à enrayer cet exode en procédant à l’arrestation des individus suspectés de vouloir aller combattre dans les rangs des mouvances terroristes. En dépit de ces informations alarmantes, l’officier de l’Armée libanaise nie les rumeurs ayant circulé la semaine passée faisant état d’une reprise des attentats dans la ville.
«La majorité des individus appartenant aux cellules terroristes ont été arrêtés. Nous avons interpellé plus d’une douzaine ces derniers mois, alors qu’une cinquantaine seraient toujours en fuite. Le niveau d’alerte a donc nettement diminué ces derniers mois», assure l’officier. 

Mona Alami

Le jihad contre les chiites
La semaine passée, le porte-parole de l’organisation de l’Etat islamique, Abou Mohammad Adnani, a lancé un appel aux sunnites des pays du Levant, dont le Liban, les encourageant à rejoindre la guerre sainte contre les chiites. Un message auquel répondra un nombre de jeunes Tripolitains qui se sentent de plus en plus étrangers dans leur propre pays….

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