Réalisé par Cédric Jimenez, La French met en tête d’affiche, face à face, Jean Dujardin et Gilles Lellouche. Un magistrat déterminé et un mafieux intouchable sur fond de trafic de tous genres. Divertissement garanti.
Les années 70. Marseille. Un réseau mafieux de grand banditisme, héroïne, trafic de stupéfiants, règlements de comptes, prostitution, corruption… et face à face, le parrain marseillais de la «French Connection», et un juge déterminé à nettoyer les rues de la ville. Tels sont les éléments de fond du très entraînant polar français, The French, signé Cédric Jimenez, avec en tête d’affiche Jean Dujardin et Gilles Lellouche, impeccables dans leurs rôles respectifs du juge Pierre Michel et du mafieux Gaëtan Zampa.
Librement inspiré de faits réels, La French est la référence abrégée de la «French Connection» (filière française), parfois appelée «Corsican Connection» (filière corse), une appellation d’ensemble pour désigner la totalité des acteurs qui prirent part à l’exportation d’héroïne aux Etats-Unis depuis la France. Dès le départ donc, le spectateur connaît l’issue fatale du film, l’assassinat du juge Michel en 1981. La force du long métrage précisément ne réside pas dans le suspense du dénouement, mais dans la manière dont les faits sont traités. Si certains, notamment la famille même du magistrat Michel, reprochent aux créateurs du film d’avoir détourné la réalité ou d’en avoir occulté de grands pans, c’est précisément grâce aux éléments de fiction que le spectateur retient son souffle.
Le film débute par une filature dans les rues de Marseille, dont l’époque, l’année 1975, est merveilleusement rendue par une image finement travaillée. La mer au loin, une voiture qui roule sur l’asphalte, poursuivie par deux motards à motocyclette. Des coups de feu, un assassinat, une liquidation; le décor est planté. La pègre règne dans la ville, l’héroïne est un fléau qui détruit la jeunesse. On découvre ainsi le magistrat Pierre Michel, chargé des affaires de mineurs en difficulté. Un premier face-à-face avec une adolescente révèle une personnalité jusqu’au-boutiste et pourtant rationnelle. Promu en grade, Pierre Michel est nommé juge du grand banditisme, et il est bien déterminé à nettoyer les rues de sa ville. Pour cela, il faudrait mettre la main sur le réseau de La French. Le «parrain» est connu de tous, mais il est intouchable… On ne tient rien sur lui, personne n’ose même prononcer son nom. Bien au contraire, c’est lui qui tient d’une main de fer toute la ville.
La French est lancé. Véritable film de divertis-sement, l’action s’insinue progressivement auprès du spectateur. Plus de deux heures de temps, des rebondissements, des temps lents mais sans longueur, des silences, des confrontations, une bande-son peaufinée, une image presque photographique. La critique évoque souvent une comparaison avec Brian de Palma, Martin Scorsese, ces grands films de gangster, à l’américaine, qui entraînent le spectateur, presque à son insu. C’est exactement l’effet que provoque La French. Jubilatoire, on en vient à sourire, malgré la violence qui se profile à l’écran. «Plutôt que de renouer avec les films politiques des années 70, écrit Le Point, La French choisit le registre du divertissement brillant, enlevé, misant sur le duel de caractères et l’opposition d’acteurs».
Cédric Jimenez, en effet, a privilégié dans son film l’aspect humain de l’intrigue, que ce soit du côté du magistrat Michel ou du mafieux Zampa. Pour l’un, c’est l’appel du danger, l’euphorie d’une victoire à chaque fois presque atteinte, jamais réellement atteinte tant la corruption s’infiltre jusqu’au plus haut placé dans la ville. Pour l’autre, c’est la dégradation progressive de la légendaire invulnérabilité du parrain. Très grande force du film, Gaëtan Zampa voit, petit à petit, son entourage, sa suite d’Affranchis, de Goodfellas, se défaire; certains retournent leurs vestes, d’autres sont écroulés, d’autres encore sont attaqués de toutes parts, par les interstices de leur vie personnelle, le magistrat Michel n’hésitant pas à recourir à des méthodes pas très orthodoxes. Jusqu’au face-à-face entre les deux personnages principaux. Loin d’avoir la splendeur du célèbre duel Al Pacino/De Niro dans Heat, Jean Dujardin et Gilles Lellouche parviennent toutefois à sortir leur épingle du jeu. Justes, sans tomber dans l’extrême ou l’exagération, encore une fois, la mise en scène table sur l’aspect humain des personnages.
Il ne s’agit que de son deuxième long métrage, après Aux yeux de tous, mais Cédric Jimenez l’emporte haut la main, malgré quelques imprécisions et, peut-être, un désir d’explorer plusieurs pistes cinématographiques à la fois. Selon le site Allociné, Jimenez a grandi à Marseille où son père tenait un restaurant à côté du bar du frère de Gaëtan Zampa. Il se trouvait dans la ville lorsque la nouvelle de l’assassinat du juge Michel fut annoncée. Marqué par cette histoire, il a toujours gardé en lui l’envie de la raconter. Ce n’est pas la première fois que la «French Connection» inspire le cinéma. En 1971, William Friedkin réalise un film éponyme avec en tête d’affiche Gene Hackman, Fernando Rey et Roy Scheider, qui donna lieu à une suite, quelques années plus tard, réalisée par John Frankenheimer. Mais c’est la première fois, en revanche, que l’histoire est racontée du point de vue du magistrat Michel, qui, selon Jimenez, est «un héros, un homme exceptionnel qui a fait passer l’intérêt collectif avant son intérêt personnel, ce qui est rare dans le monde dans lequel on vit». Epaulé par sa compagne, la journaliste Audrey Diwan, avec qui il a coécrit le scénario, et par le producteur Ilan Goodman, Jimenez a reçu pour La French le plus gros budget du cinéma français de l’année 2014, avec environ 21 millions d’euros. Le résultat est à la hauteur. La French, un film à voir!
Nayla Rached
Circuit Empire – Grand Cinemas