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Nº 3008 du vendredi 3 juillet 2015

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Rifi vs Machnouk. Unité de façade sous l’égide de Hariri

Même si le ministre de la Justice Achraf Rifi a accusé le Hezbollah d’être derrière la publication des films sur la torture à Roumieh, le conflit entre lui et le ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, n’est plus un secret pour personne. Et la visite des deux ministres en Arabie saoudite n’est que la preuve d’une ultime tentative de replâtrage entre eux.
 

Interrogé sur le fait d’avoir accepté la présence d’Achraf Rifi et Nouhad Machnouk, deux «poids lourds» du Courant du futur au sein du gouvernement présidé par Tammam Salam, un cadre du Hezbollah avait lancé, au moment de la formation de ce gouvernement: «Vous verrez, c’est une décision intelligente, car les deux hommes seront constamment en conflit». Il ne croyait pas si bien dire et ce qui circulait comme une rumeur est désormais une certitude. La meilleure preuve en est la guerre des banderoles qui s’est déroulée à Tripoli, la semaine dernière, lorsque les partisans de Machnouk avaient passé la nuit à accrocher des banderoles faisant l’éloge du ministre de l’Intérieur, qui étaient aussitôt arrachées par ceux du ministre de la Justice. Ce dernier considérait que Tripoli est son fief et que le ministre de l’Intérieur n’a pas à y intervenir.
Ce n’est là qu’un des épisodes d’une rivalité qui porte sur la plupart des dossiers. En effet, lorsque le gouvernement de Najib Mikati était en place, les deux poids lourds du Courant du futur étaient unis pour le faire chuter, et le fils de Nouhad Machnouk, Saleh Machnouk, était l’une des figures les plus actives sur le terrain contre ce gouvernement. Mais une fois l’accord conclu pour former le cabinet Salam, les divergences ont éclaté entre Rifi et Machnouk. Le premier estime qu’il faut maintenir la pression sur le Hezbollah et utiliser le gouvernement pour continuer à chercher à l’affaiblir, alors que le second pense qu’il faut au contraire dissocier l’action politique de l’action gouvernementale, qui a un caractère national.

 

Quinze mois d’affrontements
Depuis un an et trois mois, les deux hommes ne cessent de s’affronter sur la plupart des dossiers. Le ministre de la Justice se pose ainsi en défenseur de «la rue sunnite» et ne cesse de critiquer le ministre de l’Intérieur pour les arrestations successives de «sunnites», lors du plan de sécurité de Tripoli, tout en l’accusant d’être laxiste avec le Hezbollah, puisque le plan de la sécurité dans la Békaa et celui de la banlieue sud de Beyrouth ont été qualifiés de «folkloriques». D’ailleurs, le ministre de la Justice et ses partisans ont été les premiers à critiquer la photo publiée dans les médias du ministre Machnouk recevant hajj Wafic Safa, chef de l’unité de coordination au sein du Hezbollah, sous prétexte que par le biais de cette rencontre, qui a eu lieu au ministère de l’Intérieur, Machnouk a en quelque sorte «légitimé» le Hezbollah…
Les relations entre les deux hommes se sont encore envenimées lorsque le dialogue entre le Courant du futur et le Hezbollah a été entamé sous la houlette et le parrainage du président de la Chambre Nabih Berry. Achraf Rifi a été écarté de la délégation du Courant du futur au profit de Nader Hariri, Samir Jisr et… Nouhad Machnouk. Dès lors, il n’a cessé de déclarer sa désapprobation de ce dialogue qui, selon lui, profite essentiellement au Hezbollah, alors que ce dernier n’a fait aucune concession au Courant du futur et à l’Etat libanais. Certes, Achraf Rifi n’est pas le seul à critiquer ce dialogue. L’ancien Premier ministre Fouad Siniora, lui aussi, n’y croit pas et il est, en quelque sorte, le chef de file des «faucons», mais entre lui et l’aile dite de Machnouk, l’hostilité n’a jamais revêtu ouvertement une tournure personnelle.

 

La goutte de trop
Ce qui n’est pas le cas de la rivalité entre Rifi et Machnouk. Les mauvaises langues disent que les deux hommes briguent le poste de Premier ministre en l’absence du chef du Courant du futur Saad Hariri, d’où leur hostilité plus ou moins déclarée. Mais pour l’instant, rien n’indique qu’un changement de gouvernement est proche. Malgré cela, leur rivalité ne cesse d’apparaître dans tous les sujets conflictuels.
Le dernier en date a été la diffusion sur les réseaux sociaux des films sur la torture des prisonniers islamistes à Roumieh. Le ministre de la Justice s’est placé en tête des mécontents, jetant de l’huile sur le feu des manifestants qui ont protesté simultanément à Saïda, à Beyrouth et à Tripoli, en réclamant la démission du ministre Machnouk, parce que, selon eux, il serait directement responsable de ces tortures ou, en tout cas, les aurait couvertes.
Le ministre de l’Intérieur a immédiatement réagi, promettant l’ouverture d’une enquête et le châtiment des coupables. Il a refusé de se laisser entraîner dans une polémique politique, mais dans une conférence de presse tenue à la prison de Roumieh, il a dit qu’il répondra politiquement en temps voulu. Pour l’instant, ce qui compte, c’est d’identifier les coupables, de les châtier et d’arrêter ces méthodes infâmes.
Les partisans de Machnouk ont estimé qu’il a une fois de plus réagi avec un grand sens des responsabilités, donnant la priorité à l’apaisement de la rue et à la procédure judiciaire. D’autres ont continué à crier que ce qui s’est passé est insoutenable et qu’il faut absolument que les responsables paient.
Finalement, selon les enquêtes préliminaires, cinq agents des FSI, en charge de la sécurité des prisonniers islamistes, ont été arrêtés. Interrogés, ils ont avoué avoir torturé les détenus islamistes, tout en filmant leurs actes sur leurs téléphones portables. Mais ils ont ajouté que ces faits remontent à quelques semaines et certains cadres des FSI et du ministère de la Justice en ont été informés. Ce serait donc l’un d’eux qui aurait diffusé ces films sur les réseaux sociaux. Le ministre de la Justice a alors accusé le Hezbollah pour détourner l’attention de l’opinion publique qui commençait à pointer du doigt un de ses proches. En même temps, Saad Hariri a appelé aussi bien Machnouk que Rifi pour les rappeler à l’ordre et leur demander de calmer la tension entre eux. Rifi s’est donc rendu chez Machnouk pour démentir les rumeurs sur un conflit entre eux, mais au cours de leurs déclarations à la presse à la suite de leur rencontre, il était clair que les deux hommes n’étaient pas sur la même longueur d’onde. Rifi a réitéré ses accusations contre le Hezbollah, et Machnouk a parlé de procédure judiciaire et de châtiment des coupables.

 

La rue se calme
Mais au moins, la rue s’est relativement calmée à Tripoli en particulier et pour les partisans du Courant du futur, une unité de façade a pu être affichée. Mais nul n’ignore que le feu continue de couver sous la cendre. C’est la raison pour laquelle cheikh Saad Hariri aurait demandé à Rifi et Machnouk, mais aussi à d’autres cadres du Courant du futur, de se rendre en Arabie saoudite pour remettre de l’ordre entre eux. Des informations de presse précisent que la plupart des pôles de ce courant ont obtenu des visas de six mois avec plusieurs entrées et sorties en Arabie saoudite. Ce qui signifie que les concertations avec leur chef risquent d’être longues ou de se faire en plusieurs étapes. Mais ce qui compte pour l’instant, c’est que Saad Hariri, qui doit s’adresser à ses partisans et aux Libanais en général, par écran interposé, au cours de l’iftar annuel de son courant prévu le 12 juillet, voudrait pouvoir parler d’unité des rangs. Il est donc urgent pour lui de demander à Rifi et Machnouk de mettre de côté leur rivalité et de travailler de concert pour que ce gouvernement puisse continuer d’assurer un minimum d’efficacité, sachant qu’il y a de fortes chances que dans un nouveau gouvernement, après l’élection d’un président, il ne puisse pas leur donner des portefeuilles aussi importants… La mission est difficile, mais non impossible. D’autant que Hariri bénéficie, dans ce but, de l’appui des dirigeants saoudiens qui tiennent à préserver la cohésion des sunnites au Liban, face au tandem chiite représenté par le Hezbollah et Amal. Le replâtrage est donc inévitable. Mais pour combien de temps?

 

Joëlle Seif

Dénoncer la torture
Les Libanais, toutes tendances politiques et toutes confessions confondues, ont unanimement condamné la torture des prisonniers. Cet élan de colère et de rejet de ces procédés insoutenables a été exprimé par l’association Offre-Joie, toujours présente pour défendre les causes justes, qui a organisé un sit-in de protestation place du Musée. De nombreuses figures de la société civile et des Libanais de toutes les régions et communautés y ont participé, unis dans un même refus de voir la dignité humaine bafouée.

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