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Paul Khalifeh

Un peu de sérieux, bon sang!

Dans les années 30 du siècle dernier, un certain nombre d’hommes politiques et d’intellectuels mettaient en garde contre les conséquences de la montée du nazisme en Allemagne. Ils voyaient dans cette idéologie un danger pour la paix et la stabilité en Europe et une menace pour l’Humanité. Mais les principaux dirigeants occidentaux ont ignoré ces «lanceurs d’alerte» de l’époque, estimant que l’urgence était de faire face à l’Union soviétique.
Joseph Staline réfléchissait de la même façon. Dans son échelle des dangers prioritaires, «l’Occident capitaliste» passait devant le national-socialisme naissant. Dans cette optique, les ministres allemand et russe des Affaires étrangères, Joachim Von Ribbentrop et Viatcheslav Molotov, ont signé, à Moscou, quelques semaines seulement avant le début de la Deuxième Guerre mondiale, le fameux pacte de non-agression. Les Occidentaux et Staline pensaient, à tort, pouvoir instrumentaliser Hitler dans leur bras de fer. On connaît la suite de la tragédie. Le fait d’avoir sous-estimé le danger, représenté par l’idéologie nazie, a plongé la planète dans la plus terrible guerre de l’histoire, qui a fauché 60 millions de vies.
C’est un peu le même scénario qui est en train de se reproduire aujourd’hui. Les dirigeants occidentaux ont tardé à reconnaître le danger que constitue pour l’Humanité le groupe Etat islamique. Ils continuent de sous-estimer sa force et ses capacités de nuisance et se fourvoient sur ses véritables objectifs. Certaines puissances, grandes et moyennes, se croient assez subtiles pour pouvoir mettre Daech au service de leurs stratégies. C’est le cas de la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis, qui durcit ses positions contre l’organisation terroriste lorsqu’elle ose se rapprocher du Kurdistan irakien, mais fait preuve de laxisme quand elle attaque Ramadi ou Palmyre. La Turquie aussi se livre au même jeu. Elle n’hésite pas à accorder des facilités logistiques à Daech pour stopper la progression des Kurdes dans le nord de la Syrie, et ferme les yeux sur la contrebande de pétrole, via son territoire, qui constitue une des principales sources de financement de l’Etat islamique.
Daech n’est plus cette branche locale d’al-Qaïda en Irak, isolée dans le désert d’al-Anbar. Elle est devenue un Etat, qui contrôle la moitié de la Syrie et le tiers de l’Irak, soit un territoire de 300000 kilomètres carrés. Elle dispose, selon les estimations les plus modestes, d’une armée de 50000 hommes en Syrie et deux fois plus en Irak. Elle a saisi, lors de la prise de Mossoul, en juin 2014, 2000 véhicules militaires, dont des dizaines de chars, abandonnés par l’armée irakienne. Elle s’est aussi emparée d’un immense butin de guerre lors de la prise de Ramadi. D’importantes branches d’al-Qaïda dans le monde ont prêté allégeance au «calife» Ibrahim el-Samurraï: au Nigeria, au Sahel, en Algérie, en Libye, dans la péninsule arabique et dans le Caucase. Le monde a découvert avec surprise, mercredi 1er juillet, les grandes capacités militaires de la banche de l’EI dans le Sinaï.
Face à ce monstre, l’Occident n’a rien fait, ou pas assez en tout cas. D’abord, il se perd dans les subtilités sémantiques, dans le but de faire la distinction entre «les méchants très méchants» et les «méchants moins méchants», c’est-à-dire Daech et le Front al-Nosra. Cette dernière organisation est la branche officielle d’al-Qaïda en Syrie, elle a été fondée sur ordre d’Abou Bakr el-Baghdadi par l’un de ses lieutenants, Abou Mohammad el-Joulani. Ce n’est pas parce que ce dernier s’est retourné contre son maître pour prêter allégeance à Ayman el-Zawahiri qu’il en devient plus fréquentable. Les tentatives de lui acheter une respectabilité sont honteuses et dénotent le manque de sérieux de certains pays occidentaux ou régionaux dans la lutte contre le phénomène terroriste. Parmi ces pays figure Israël, qui a soigné dans ses hôpitaux quelque 1500 extrémistes syriens, dont des membres d’al-Nosra.
Avec douze ans de retard sur George W. Bush, Manuel Valls a parlé d’une «guerre de civilisation». Il s’agit en fait d’une guerre entre l’humanité et la barbarie. Il est temps de choisir son camp.

Paul Khalifeh

 

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