Trois discours ont marqué la semaine mouvementée que le Liban a vécue. Il y a eu d’abord celui de Michel Aoun, puis celui de Hassan Nasrallah et, enfin, celui de Saad Hariri. Trois approches différentes et un dialogue indirect… qui n’ouvre pas encore la voie aux solutions.
Jeudi 9 juillet, une date qui a fait trembler le Liban et qui a failli remettre en cause la stabilité interne voulue et protégée par la communauté internationale. L’échange violent entre le Premier ministre Tammam Salam, et le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, en pleine réunion du gouvernement, ainsi que la confrontation, certes limitée, entre les manifestants aounistes et les soldats de l’armée ont poussé le général Michel Aoun à prononcer un discours violent en direction du Courant du futur et du Premier ministre considéré comme le représentant de ce courant au sein de l’Exécutif. Dans son discours, en réaction aux développements de cette journée mémorable, le général Aoun a clairement défini l’adversaire dans cette bataille «pour la reconquête des droits des chrétiens». Il s’agit du Courant du futur et du Premier ministre qui veulent confisquer les prérogatives du président chrétien. Aoun est même revenu sur les promesses non tenues du chef du Courant du futur, Saad Hariri, concernant le dossier présidentiel et les nominations militaires, dénonçant les pratiques «exclusionnistes» de ce parti, ainsi que sa propension déclarée à vouloir concentrer tous les pouvoirs entre ses mains, sans tenir compte des autres composantes du pays, notamment les chrétiens, qu’il préfère garder sous sa coupe. C’est donc un discours violent à l’égard du Courant du futur que le chef du CPL a prononcé, annonçant même que la pression de la rue doit être maintenue pour obtenir gain de cause.
Hariri cible le Hezbollah
Aoun a donc voulu, à travers son discours et les différentes déclarations de ces derniers jours, maintenir la mobilisation populaire de son camp pour l’utiliser en moyen de pression à la veille de la prochaine réunion du Conseil des ministres, prévue le 23 juillet. Le chef du CPL a, en quelque sorte, déclaré la guerre au Courant du futur et à son chef… qui a préféré riposter en s’attaquant au Hezbollah.
Dans son discours très attendu dimanche 12 juillet, Saad Hariri, qui ne s’était plus adressé aux Libanais depuis des mois, a visiblement pris soin d’épargner le général Aoun et de se montrer ouvert aux chrétiens, tout en réservant ses critiques et ses piques au Hezbollah… avec lequel pourtant son courant mène un dialogue, dont la dernière séance a eu lieu lundi soir et s’est prolongée jusqu’à l’aube.
Ce phénomène est assez surprenant d’autant que les Libanais attendaient la réponse de Saad Hariri à Michel Aoun après les attaques précises du chef du CPL et sa mise en cause directe de Hariri, accusé de ne pas tenir ses engagements. C’est d’ailleurs la seule surprise du long discours de Saad Hariri, qui a repris grosso modo ses thèmes habituels sur l’attachement de son courant à l’édification de l’Etat et à ses institutions au Liban, face au «comportement destructeur» du Hezbollah qui érode chaque jour l’Etat avec son mini-Etat, ses structures quasiment autonomes et ses décisions qui mettent en cause la souveraineté et l’indépendance du Liban, tout en bafouant le principe du partenariat interne. Le chef du Courant du futur a tenu à répondre ainsi au secrétaire général du Hezbollah qui a préféré, lui, critiquer l’Arabie saoudite et la poursuite de sa guerre contre le Yémen.
Rien de nouveau
Dans cette suite de discours, il y a donc un chaînon manquant. Car si l’on prend l’ordre chronologique, on note que le général Aoun a attaqué le Courant du futur, son chef et son Premier ministre. Sayyed Hassan Nasrallah a défendu le général Aoun et invité Saad Hariri à établir un dialogue avec lui, à l’instar de celui qui existe entre le Courant du futur et le Hezbollah, alors que le leader sunnite a soigneusement occulté les critiques de Aoun et le conseil du Hezbollah pour s’en prendre à ce dernier dans des affirmations devenues habituelles.
Alors que le général Aoun a voulu mobiliser la rue chrétienne contre le Courant du futur qui se veut le principal, voire le seul, représentant des sunnites, et alors que sayyed Nasrallah a appelé à l’élargissement du dialogue interne, Hariri a donc choisi de réserver ses attaques au Hezbollah en ignorant pratiquement les critiques violentes du général Aoun. Une drôle de trilogie, qui reflète en réalité la complexité de la situation interne et la gravité de l’impasse dans laquelle se débat le pays.
L’attitude de Saad Hariri peut d’ailleurs être interprétée de diverses façons. Soit il considère que les critiques chrétiennes qui lui sont adressées ne méritent pas qu’il y réponde ou même qu’il en tienne compte, soit il est plus à l’aise dans son conflit avec le Hezbollah et les chiites, qui restent la principale cible des Saoudiens au Liban et dans la région. Toujours est-il que la plupart des analystes ont estimé, dans l’analyse de son discours du dimanche 12 juillet, qu’il n’apportait vraiment rien de nouveau. Il s’agissait en quelque sorte d’un rappel de ses positions habituelles, avec un souci d’occulter ou de ménager le général Aoun. Hariri n’était donc pas porteur d’une initiative de solution et tout en utilisant un ton et des expressions calmes et mesurées, il n’a répondu à aucune des propositions de solutions avancées par le général. Il n’a fait aucun pas ni dans le dossier présidentiel, ni dans celui des nominations militaires, ni encore dans celui de la loi électorale ou du mécanisme de prise des décisions au sein du Conseil des ministres en situation de vacance présidentielle. Ses propos sont donc restés dans les généralités. Même ses critiques au Hezbollah n’étaient pas vraiment convaincantes, puisque dès le lendemain, lundi, ses représentants, Nouhad Machnouk, Samir el-Jisr et Nader Hariri se sont réunis avec ceux du Hezbollah à Aïn el-Tiné.
En revanche, dans les discours du général Aoun et de sayyed Nasrallah, il y avait des propositions concrètes, qu’elles soient formulées sur le ton violent concernant le leader du CPL ou sous forme de conseils chez le chef du Hezbollah.
En réalité, les trois leaders s’adressaient surtout à leurs bases respectives, tout en donnant des messages politiques aux autres composantes du pays. Le général Aoun a utilisé des termes sciemment violents pour mobiliser la rue chrétienne, sayyed Nasrallah veut maintenir le niveau de mobilisation de sa base, engagée dans une guerre longue et coûteuse en Syrie, et Saad Hariri souhaite resserrer les rangs de la communauté sunnite, surtout après les tiraillements entre le ministre de la Justice, Achraf Rifi, et celui de l’Intérieur, Nouhad Machnouk. Ces rivalités sont apparues au grand jour dans la foulée de la crise provoquée par la diffusion des films de torture à la prison de Roumieh. Etant un peu coupé de la base, en raison de son éloignement du Liban, Hariri était donc obligé de durcir le ton envers le Hezbollah pour maintenir en état d’alerte «la fibre sunnite», tout en se présentant en homme d’Etat et en tenant un discours relativement modéré dans les lignes générales.
S’il faut toutefois retenir une idée directrice de ces trois discours qui se sont suivis et se sont répondu indirectement, c’est que le général Aoun conserve ses chances pour la présidence, puisque sayyed Nasrallah lui a réitéré son appui, alors que Saad Hariri a dit qu’il ne posait aucun veto sur aucun candidat, mais qu’il n’y a pas non plus de solution en vue, puisque cet élément d’ouverture ne se traduit pas concrètement.
Joëlle Seif
Trop Tôt
Selon un observateur chevronné de la scène politique, les trois discours du général Michel Aoun, de sayyed Hassan Nasrallah et de Saad Hariri sont venus trop tôt. Car si les trois leaders avaient attendu quelques jours, ils se seraient exprimés différemment à la lumière des développements régionaux et internationaux. Selon cet observateur, la signature d’un accord sur le dossier nucléaire iranien entre la République islamique et la communauté internationale risque de changer beaucoup de choses sur la scène interne. Ce n’est pas par hasard si le président de la Chambre Nabih Berry qui, avec le leader druze Walid Joumblatt, sait capter les ondes régionales et internationales, a déclaré que l’accord sur le nucléaire pourrait avoir des conséquences positives sur le Liban… si les Libanais savent saisir cette occasion.