Magazine Le Mensuel

Nº 3010 du vendredi 17 juillet 2015

ACTUALITIÉS

Nucléaire iranien. Décryptage d’un accord historique

Deal is done! Après 21 mois et 17 jours de négociations acharnées au Palais Coburg de Vienne, l’Iran et les pays des 5+1 sont enfin parvenus à s’entendre sur les ultimes points de blocage qui paralysaient jusqu’ici la conclusion d’un accord final avec Téhéran. Le texte prévoit la limitation du programme nucléaire iranien pendant au moins dix ans, à partir de 2016, en contrepartie d’une levée des sanctions contre la République islamique. Magazine fait le point sur les derniers compromis d’un accord historique.

Dans la capitale autrichienne, le bal des diplomates touche à sa fin. Les négociations, sans relâche, entre Téhéran et les 5+1 auront finalement eu raison des derniers points d’achoppement qui bloquaient la signature définitive d’un accord. Censés se terminer le 30 juin, les pourparlers avaient été reportés à trois reprises, avec une énième date butoir fixée au lundi 13 juillet, à minuit. Finalement, la nouvelle tombe le lendemain matin. Aux alentours de 10 heures, les réseaux sociaux s’affolent: «Un accord sur le nucléaire iranien a été trouvé». Les diplomates et autres sources présentes à Vienne indiquent qu’un document, le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA), composé d’une centaine de pages et de cinq annexes techniques, a finalement été signé. Un léger retard, dû à une minutieuse double relecture en anglais et en farsi, afin d’éviter tout quiproquo de dernière minute ou erreur de traduction.
La veille, un diplomate iranien déclare à l’AFP: «Parfois, un pays demande qu’on change un mot, ce qui provoque plusieurs heures de discussions, car le sens peut complètement changer». De son côté, le président de l’Organisation iranienne de l’Energie atomique, Ali-Akbar Salehi, déclare que «l’Iran a accepté certaines restrictions», en précisant que ces dernières n’auraient «aucun impact sur le programme nucléaire pacifique». Il annonce dans le même temps la création d’une commission dirigée par la Chine, chargée de reconcevoir le réacteur à eau lourde d’Arak.
 

Levée des sanctions
Le calendrier de la levée des sanctions était l’un des sujets de désaccord profond entre les deux parties. Le texte conclu mardi prévoit donc une levée progressive des sanctions contre Téhéran, qui pourrait intervenir dès 2016. Cette position était défendue par le camp occidental, alors que l’Iran plaidait pour une levée immédiate dès la signature du texte. Les premières sanctions ne pourront cependant être levées qu’après une réunion de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) prévue à la mi-décembre, afin de faire le point sur le respect de ses engagements par l’Iran.
En cas de violation des termes de l’accord par Téhéran, le texte prévoit le rétablissement des sanctions dans un délai de 65 jours. Reste maintenant au Conseil de sécurité des Nations unies d’adopter rapidement une nouvelle résolution pour annuler toutes celles votées précédemment contre l’Iran.
C’était l’un des points les plus sensibles des négociations. L’embargo sur les ventes d’armes, adopté en 2010 par le Conseil de sécurité de l’Onu (résolution 1737), avait pour conséquence l’interdiction des exportations et l’achat d’armes/matériel de l’Iran, ainsi qu’une interdiction concernant la fourniture à la République islamique des sept catégories d’armes conventionnelles et de matériel connexe (hélicoptères d’attaque, missiles et lanceurs de missiles, chars de combat, système d’artillerie de gros calibre, avions de combat). Cette même résolution mentionnait également «un embargo sur les activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération et sur ses programmes de missiles balistiques». Moscou, principal soutien de Téhéran, s’était récemment dit favorable à la levée de l’embargo dès que possible. Le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, avait déclaré que «l’Iran est impliqué dans la lutte contre l’Etat islamique, et la levée de l’embargo sur les armes l’aidera à améliorer sa capacité à lutter contre le terrorisme». Les Occidentaux, quant à eux, estimaient cette question délicate en raison de l’implication de l’Iran dans plusieurs conflits au Moyen-Orient, notamment en Syrie, en Irak et au Yémen.
Mardi, il a donc été décidé que l’embargo sur les armes sera maintenu pour une durée d’au moins cinq ans, et celui qui vise les missiles sera prolongé d’au moins huit ans. Selon l’agence de presse officielle iranienne Irna, l’Iran pourra néanmoins importer et exporter des armes «au cas par cas», et «l’interdiction de l’importation par l’Iran de certains matériels à double usage (civil et militaire) va cesser».

 

Inspections de l’AIEA
Un autre volet du texte prévoit la mise en place d’inspections des sites militaires iraniens et d’entretiens avec les scientifiques. Selon les termes de l’accord, les inspecteurs de l’AIEA pourront avoir un accès «limité» à plusieurs sites dans les prochains vingt-quatre jours. Cela dans le cadre du Protocole additionnel du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), que l’Iran s’engage à appliquer et à ratifier. Il y a quelques semaines, le Guide suprême, Ali Khamenei, s’y était fermement opposé, déclarant que cela constituait une «ligne rouge» à ne pas dépasser, et que cette requête ne rentrait pas dans le cadre des négociations. Afin de surmonter ce blocage, les diplomates ont donc négocié les termes d’un «accès réglementé» aux sites iraniens. Plus précisément, il s’agit, selon un proche du dossier, de définir le périmètre d’action de l’AIEA et la durée du préavis à fournir aux autorités iraniennes avant se rendre sur un site. Selon cette même source, il est important de définir le cadre d’intervention de l’AIEA, «pour éviter que l’agence ne soit obligée, à l’avenir, de négocier, pied à pied, avec l’Iran chacune de ses missions».
Le directeur général de l’agence, Yukiya Amano, a également annoncé qu’un accord séparé a été conclu avec l’Iran concernant le site militaire de Parchin, à trente kilomètres au sud-est de la capitale iranienne. Les Nations unies suspectent l’Iran d’y avoir mené des tests relatifs au nucléaire militaire. Selon le chef de l’Organisation de l’Energie atomique iranienne, Ali Akbar Salehi, «les lignes rouges de l’Iran ont été respectées concernant l’accès international au site de Parchin».
Amano a également déclaré qu’une feuille de route avait été signée entre l’AIEA et l’Iran, sur la mise en place de contrôles concernant la Possible dimension militaire (PDM) du programme nucléaire de Téhéran, d’ici à fin 2015. Il a ajouté que l’Iran et les représentants de l’AIEA tiendront prochainement des réunions sur des détails techniques. Enfin, l’Iran a accepté la mise en place d’une enquête sur son programme nucléaire passé, qui aurait été mené avant 2003.

 

La question de l’uranium
Concernant les installations d’enrichissement d’uranium, elles continueront de fonctionner, mais l’Iran a accepté de ne pas en construire de nouvelles pendant quinze ans. Selon l’Irna, «toutes les installations nucléaires iraniennes continueront de fonctionner. Aucune ne sera stoppée ou détruite (…). L’Iran continuera l’enrichissement. La recherche et le développement sur les principales centrifugeuses (IR6, IR-5, IR-4, IR-8) se poursuivront». Le nombre de centrifugeuses iraniennes (de première génération exclusivement) passera de 19 000 à 6 104 en dix ans, dont seulement 5 060 d’entre elles seront autorisées à enrichir de l’uranium, à 3,67%, pendant quinze ans. Téhéran va également réduire à 300 kg son stock d’uranium faiblement enrichi (actuellement de 10 000 kg) pour une période de quinze ans. A Fordo, près de Qom, le site construit sous la montagne restera ouvert, mais n’enrichira plus d’uranium. Les deux tiers de ses centrifugeuses seront également retirées. A Natanz, principal site d’enrichissement iranien, Téhéran a accepté qu’il devienne l’unique installation d’enrichissement du pays. Seules 5 060 centrifugeuses y seront conservées (les IR-1), tandis que les IR-2M (plus rapides) seront retirées et placées sous contrôle de l’AIEA.

Marguerite Silve

Le rôle de la Chine
Le réacteur à eau lourde d’Arak (IR-40) devra, sous la direction d’une commission dirigée par Pékin, qui inclut les E3/EU+3 (Chine, France, Allemagne, Grande-Bretagne, Etats-Unis, Russie et la Haute représentante de l’UE aux Affaires étrangères et à la politique de sécurité), être reconçu pour ne plus produire de plutonium 239, utilisé dans la fabrication de la bombe atomique. Le réacteur ne devra pas excéder les 20 mégawatts. Téhéran s’est également engagé à ne pas construire de nouveaux réacteurs à eau lourde pendant 15 ans.

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