Il n’y a pas lieu de parler réellement d’investissement avec rendement à moyen ou plus long termes lorsqu’il s’agit d’évaluer une transaction d’achat par un Libanais d’un bien-fonds immobilier dans l’île de Chypre. Le marché chypriote n’est pas celui où peuvent se permettre de jouer des spéculateurs de l’immobilier. Il n’est pas liquide vu son étroitesse et sa non-profondeur. D’où l’absence de perspectives d’une plus-value évidente. D’autant que l’île a connu dans un passé tout récent, en 2012 et 2013, une crise économique sans précédent, contraignant le gouvernement à poser des restrictions sur les banques opérant dans le pays, traduites par une limite sur les transferts d’argent et les paiements scripturaux.
Chypre accueille neuf filiales de banques libanaises et deux banques chypriotes appartenant à des institutions bancaires libanaises. L’approche d’un quelconque intérêt des Libanais pour le secteur immobilier à Chypre pourrait se faire, à la rigueur, en termes de «pied-à-terre» au cas où la situation sécuritaire venait à se dégrader au pays du Cèdre. Cette conjoncture s’était présentée dans les années 80, lorsque les Libanais avaient fui la guerre qui battait son plein dans leur pays, constituant un pilier de la croissance économique de l’île. Une fois la violence terminée, ils avaient eu du mal à liquider leurs avoirs fonciers, surtout les hommes d’affaires, qui avaient investi dans des hôtels de luxe à Limassol. Contacté par Magazine, Joe Kanaan, consultant en immobilier, refuse de parler de «ruée ou d’engouement» des Libanais pour le secteur chypriote de l’immobilier. «Depuis la crise chypriote, nous recevons régulièrement de nombreuses demandes de la part d’agents immobiliers chypriotes pour la promotion d’appartements résidentiels dans différentes régions de l’île. Elles dorment dans nos tiroirs», dit-il, ajoutant qu’il ne croit pas aux rumeurs des scénarios fatalistes qui courent dans le pays. A son tour, Farès Massaad, également consultant en immobilier, considère que l’intérêt que portent les Libanais au marché foncier chypriote ne fait pas ombrage au secteur domestique. Catégorique, il affirme que l’investissement dans le secteur immobilier local n’a jamais cessé d’être concluant. «Personne n’a jamais perdu de l’argent en investissant dans l’immobilier au Liban», insiste-t-il.
C’est un autre son de cloche qu’a fait entendre Georges Chehwan, président de Properties Plus. Il déclare avoir vendu une cinquantaine de logements à Chypre l’an dernier à des Libanais et des Syriens. Début 2015, il s’est lancé dans le développement de ses propres projets notamment à Limassol. Les budgets des clients fluctuent dans une fourchette de 120 000 à 140 000 euros, soit des montants qui ne leur permettent pas toutefois d’obtenir un permis de séjour dans l’île. «Pour ce prix, on ne peut rien acheter au Liban. Alors qu’à Chypre, on s’approprie un pied-à-terre qui ferait lieu d’une deuxième résidence pour passer des vacances en famille et d’un point de chute en cas d’instabilité dans le pays», dit-il, mettant l’accent sur le fait que «l’île est plus facilement accessible aux Beyrouthins − 13 minutes de vol − que Jounié». Apparemment, les clients libanais de Chypre font usage de leurs petites économies. Les autres plus nantis ont déjà des résidences secondaires dans les grandes capitales européennes, en l’occurrence Paris et Londres.
Liliane Mokbel