A l’affût de chaque rencontre internationale et régionale et nombriliste comme toujours, les Libanais ont misé sur la visite du ministre français des Affaires étrangères à Téhéran pour débloquer leur dossier présidentiel. Mais ils ont été déçus une fois de plus…
La visite de Laurent Fabius à Téhéran était un événement à l’échelle régionale et internationale. Mais elle l’était aussi pour les Libanais, notamment pour les médias proches du 14 mars, qui ont commencé à affirmer que le dossier présidentiel libanais serait à l’ordre du jour des entretiens entre Fabius et les dirigeants iraniens. Ce n’était d’ailleurs pas insensé puisque les informations venues de France disaient aussi que le ministre Fabius comptait évoquer le dossier libanais avec ses interlocuteurs iraniens. Mais tout comme avant lui le directeur du Quai d’Orsay Jean-François Girault, qui avait effectué deux visites à Téhéran et à Riyad, Fabius n’a pas pu arracher une nouvelle position iranienne à l’égard du dossier libanais. Pourtant, cette fois, les circonstances avaient totalement changé et l’accord sur le dossier nucléaire iranien avait été signé entre l’Iran et la communauté internationale. Ce qui permettait au ministre français, qui avait tout au long des négociations joué le rôle du faucon, de se rendre en Iran sans avoir le sentiment de faire des concessions ou de modifier la politique étrangère de son pays. En effet, la conclusion de l’accord sur le dossier nucléaire a eu pour premier résultat de ramener l’Iran dans le concert des nations et d’en faire désormais «un Etat fréquentable» avec lequel on peut discuter ouvertement de tous les dossiers en suspens. C’est d’ailleurs ce que s’est empressé de déclarer Laurent Fabius lui-même au cours de sa conférence de presse conjointe avec son homologue iranien, Mohammad Javad Zarif. Pris à partie par les journalistes iraniens, le chef de la diplomatie française a affirmé qu’il n’y avait aucun changement de politique, juste un souci de la France de réduire les risques de confrontation dans la région avec la limitation des capacités nucléaires iraniennes. Fabius a insisté sur l’ancienneté des relations entre la France et l’Iran et sur leur solidité dans le passé, voulant se montrer positif et ouvert.
Fins diplomates, les dirigeants iraniens ont eu beau jeu de ne pas mentionner les négociations rendues plus compliquées et ardues à cause de la position française et ils ont reçu le ministre français avec beaucoup d’égards, allant même jusqu’à accepter l’invitation adressée par le président français François Hollande à son homologue iranien, le cheikh Hassan Rohani, à se rendre en France en septembre. Mais sur tous les autres dossiers, aucune indication concrète n’a été donnée. Pour la simple raison que pour les Iraniens, l’heure des concessions n’est pas encore arrivée.
Le ministre français des Affaires étrangères a sans doute évoqué avec les dirigeants iraniens l’importance d’élire au plus vite un président de la République au Liban et il leur a peut-être demandé de faire pression sur le Hezbollah pour qu’il pousse le général Michel Aoun à accepter l’idée d’un président consensuel. Mais la position iranienne n’a pas changé. Comme ils l’avaient fait avec les visiteurs qui ont précédé Laurent Fabius à Téhéran, les responsables iraniens ont répondu que pour eux, le dossier libanais est confié aux Libanais et c’est avec eux qu’il faut parler. «Nous autres, nous considérons que les Libanais connaissent mieux leurs intérêts que nous. C’est pourquoi nous les laissons faire leurs choix et nous nous contentons de les appuyer». C’est en gros la réponse donnée par les Iraniens à tous ceux qui sollicitent leur aide pour un déblocage présidentiel au Liban.
La perception iranienne
C’est qu’en réalité, la perception du dossier libanais est différente en Iran de celle des autres capitales arabes et internationales. Ces dernières ont pris l’habitude, sans doute à cause d’une certaine classe politique, de prendre les décisions ou de les inspirer. Mais pour les Iraniens, le Hezbollah est un allié important, qui leur a permis de s’imposer dans le conflit arabo-israélien et d’avoir donc de l’importance dans le monde arabe. Il n’est donc pas question de conclure des compromis à ses dépens ou sans le consulter. Selon des sources proches du 8 mars, le dossier présidentiel libanais a d’ailleurs fait l’objet de longues discussions au sein du Hezbollah ou entre le parti et ses interlocuteurs iraniens. Le Hezbollah a ainsi convaincu Téhéran de l’importance d’appuyer la candidature du général Michel Aoun à cette période particulière: d’abord parce que la communauté chrétienne a le droit de choisir ses représentants à l’instar des autres communautés du pays et, ensuite, parce qu’un président dépourvu d’une assise populaire devient une marionnette entre les mains des parties politiques et devient un moyen de resserrer l’étau autour de la Résistance. L’expérience du mandat du président Michel Sleiman a été éclairante dans ce domaine, puisque l’ancien commandant en chef de l’armée a été choisi dans le cadre de la conférence de Doha, en mai 2008, en principe grâce à un accord régional entre le Qatar, l’Egypte et la Syrie, avec l’aval des Américains et des Saoudiens, mais il s’est rapidement transformé en une force de pression sur le Hezbollah et sur le général Michel Aoun.
A la recherche d’un package
Il faudrait donc éviter de rééditer cette expérience et il n’est pas question d’accepter l’élection d’un président qui prendrait rapidement le parti des adversaires du Hezbollah et de ses alliés, d’autant que le rapport de force interne et l’équation régionale ne reflètent pas une défaite du Hezbollah, du 8 mars et de ses alliés et, encore moins, de l’Iran pour favoriser un tel scénario. Ce n’est donc pas parce que le ministre français des Affaires étrangères ou même demain le président français lui-même en feront la demande que l’Iran et ses alliés libanais seront prêts à faire une concession aussi importante. C’est tout un package qui devrait être mis en place. En réalité, nul ne se fait d’illusion sur le fait que le problème du blocage libanais se limite à la présidence de la République. C’est tout le système qui est en panne et la présidence est la clé de la solution. Mais lorsqu’il s’agira de la débloquer, il faudra aussi s’entendre sur la formation du gouvernement et, peut-être même, sur les grandes lignes d’une nouvelle loi électorale. La paralysie a atteint un tel stade qu’il n’est plus possible de régler la question de la présidence seule. Il faudra donc évoquer toutes les questions en suspens, le moment venu.
Reste à savoir quand viendra ce moment. Certains, comme le président de la Chambre Nabih Berry, affirment que le dossier libanais sera le plus facile à régler lorsque viendra le moment des déballages et des négociations sur les dossiers régionaux. D’autres, au contraire, estiment que le dossier libanais ne peut plus être résolu indépendamment de la crise syrienne et il devra attendre que celle-ci soit réglée pour connaître enfin un déblocage. A ce sujet, le ballet diplomatique de Doha et les tentatives russes et iraniennes de proposer des solutions à la crise syrienne retiennent l’attention des analystes, même si tout le monde pense qu’il est encore tôt pour parler de solution. Ce qui est sûr, c’est que l’automne devrait être porteur de changements qui permettraient d’y voir plus clair dans le paysage régional post-accord nucléaire. D’ici là, le Liban devra continuer de survivre sans président et sans institutions qui fonctionnent normalement. Mais au moins, le ministre français des Affaires étrangères a eu le mérite de rappeler aux acteurs internationaux l’existence d’un dossier non réglé qui s’appelle la présidence libanaise…
Joëlle Seif
Aucune concession en vue
En dépit des tentatives françaises, le blocage reste total au Liban. Ni présidence, bien sûr, mais aussi ni nominations militaires ni décisions de fond. Même le courant électrique se fait rare et les rues de la ville ressemblent de plus en plus à ce qu’elles étaient pendant la période de la guerre. Seule la situation sécuritaire reste acceptable et ce n’est pas grâce aux décisions politiques mais en raison du fameux parapluie international qui continue de protéger le Liban et de faire de la sécurité une ligne rouge. Pour l’instant, les Libanais devraient se contenter de ce point positif…