Les coupures du courant électrique par intermittence ont débuté en 1993. Au début, les Libanais ont cru qu’il s’agissait d’une crise passagère. Mais au fil du temps, ils ont compris que cette crise s’est transformée en souffrance nationale endémique.
La LBCI a rafraîchi la mémoire des Libanais en diffusant un reportage montrant les ministres successifs de l’Energie (depuis 1993) rassurant, chacun à son tour, les citoyens de la régularisation imminente de l’alimentation en courant électrique de toutes les régions, allant même jusqu’à avancer des dates butoirs, qui n’ont évidemment jamais été respectées. Il s’agissait, tour à tour, des ministres Elie Hobeika, Mohammad Abdel-Hamid Beydoun, Ayoub Hmayed, Maurice Sehnaoui, Bassam Yammine, Mohammad Fneich, Alain Tabourian et Gebran Bassil. Dans un passé tout récent, le ministre des Affaires sociales, Rachid Derbas, s’est interrogé sur les raisons qui bloquent la privatisation de la production de l’énergie. Une question que les citoyens auraient dû lui poser et non pas l’inverse. «La décision politique fait défaut pour la réforme du secteur», a bien souligné dernièrement tant le ministre de l’Energie et de l’Eau, Arthur Nazarian, que le P.D.G. de l’Electricité du Liban (EDL), Kamal Hayek. Il s’agit d’une vérité de La Palice si l’on examine les circonstances de fonctionnement de ce secteur.
La privatisation de la production et de la distribution de l’énergie est, de fait, en veilleuse depuis 13 ans, soit depuis le vote de la loi 2002/462, qui a mis au point une feuille de route, prévoyant notamment la création d’une autorité de régulation. Une loi dont aucun des alinéas n’a été, jusqu’à ce jour, mis en application. Les ministres successifs n’avaient jamais exprimé d’empressement pour la création d’une telle entité, préférant maintenir sous leur contrôle les opérations du secteur énergétique. Rebelote en 2011, lorsque cette loi a été amendée pour, soi-disant, donner un nouveau souffle à la participation du secteur privé. Une nouvelle législation a été approuvée portant le numéro 181, datée du 13 octobre 2011. Elle a autorisé le ministre de l’Energie de confier à des compagnies privées la production d’électricité sous plusieurs conditions dont l’obtention d’un financement auprès des organisations régionales et internationales pour la production de 700 MW. Le ministre avait réclamé un milliard deux cent millions de dollars. Cette tentative n’a pas été entièrement concluante puisque la création d’une nouvelle centrale électrique Deir Ammar II (450 MW) s’est arrêtée, un conflit opposant la compagnie privée grecque chargée des travaux d’installation à l’Etat libanais sur la base du coût du contrat. Le grief s’articule autour de l’intégration ou non du montant de la TVA à celui de l’adjudication qui s’élève à 57 millions de dollars. En fonction de la même loi, des bateaux générateurs ont été chargés de produire de l’électricité. Ces navires ont relevé, depuis une quinzaine de jours, leur production à 380 MW afin d’alléger quelque peu le rationnement électrique. Une troisième loi portant le numéro 488 a été approuvée en mai 2014, en vertu de laquelle les ministres de l’Energie et des Finances ont bénéficié, pour une durée de deux ans, des prérogatives de l’autorité de régulation du secteur de l’énergie. Ces prérogatives leur permettent de confier aux agents du secteur privé des adjudications pour la production d’électricité. Un an et quatre mois se sont écoulés sans que rien de concret ne pointe à l’horizon.
Le secteur privé a présenté sur l’ensemble du territoire libanais un seul projet pour la production de l’énergie. La société L’électricité de Jbeil, présidée par Elie Bassil, a présenté au ministère de l’Energie et de l’Eau son projet de construire une usine de production d’énergie d’une capacité de 200 MW en mesure d’alimenter toutes les régions et villages du caza de Jbeil. Dans une première étape, 65 MW seraient suffisants pour assurer le courant électrique au littoral de Byblos. Cette capacité pourrait être relevée à plus de 100 MW dans une étape ultérieure, permettant à cette société de vendre de l’énergie à l’Etat s’il en exprime le souhait. Le ministère de l’Energie a demandé à la compagnie de lui présenter une étude de faisabilité à caractère environnemental. Interrogé par Magazine, Elie Bassil a affirmé que l’étude, dont le coût serait de quelque 10 millions de dollars, est en cours et qu’elle est effectuée par une compagnie finlandaise spécialisée dans l’énergie écologique BWSC. Quant à l’exécution, elle serait confiée à la société scandinave Seghair. Le capital de la compagnie L’électricité de Jbeil serait ouvert au public, sachant que 25% des actions resteraient aux mains des fondateurs, notamment Byblos Investment et le P.D.G. du groupe Byblos Bank à titre individuel, François Bassil. D’après Elie Bassil, l’étude de faisabilité du projet prévoit un rendement variant de 10% à 15%. Ce qui n’est pas négligeable. Ceci dit, le projet et l’étude de faisabilité devraient être transmis par le ministère de l’Energie et de l’Eau au Conseil des ministres pour approbation. Cette opération devrait être finalisée d’ici huit mois maximum. Le cas échéant, le projet tomberait à l’eau, la loi de 2014 serait frappée de prescription une fois cette date dépassée.
Liliane Mokbel
Déficit colossal
L’infrastructure développée du Liban était l’une des caractéristiques qui le différenciaient des autres pays de la région. Le pays du Cèdre vendait de l’énergie à la Syrie avant 1978, date à laquelle la situation du secteur, notamment au niveau de la production et de la distribution, commence à se détériorer. Jusqu’en 1998, l’EDL transférait ses profits au Trésor. A partir de 1993 et à ce jour, l’EDL n’a pas cessé d’accuser des pertes et de coûter à l’Etat plus de 23 milliards de dollars, qui comprennent les intérêts et les déficits cumulés.