Malgré les violences policières et l’infiltration dans les manifestations de casseurs aux motivations suspectes, des centaines de jeunes Libanais continuent d’affluer, tous les jours, au centre-ville, pour exprimer leur colère vis-à-vis d’un système bloqué et d’une classe politique corrompue et incompétente.
En dépit des tentatives de récupération et de politisation, de l’usage démesuré de la violence par la police et de l’apparition de bandes de voyous et de casseurs, le mouvement lancé par le collectif «Vous puez» continue de mobiliser les jeunes d’appartenances communautaires diverses et de différentes régions.
La protestation avait culminé, mais aussi dérapé, dimanche 23 août. Ce jour-là, les forces de l’ordre ont fait usage de tout leur arsenal pour tenter de rétablir le calme, surtout que des bandes de voyous ont commencé à vandaliser les commerces et les boutiques du centre-ville. Il s’agissait, néanmoins, d’une minorité au milieu d’une foule de milliers de Libanais, qui s’étaient rassemblés, samedi puis dimanche, pour exprimer leur dégoût de la situation actuelle et des responsables politiques. La foule brandissait des sacs de poubelles, des pancartes et des drapeaux libanais, et scandait des slogans hostiles à la classe dirigeante.
Des éléments subversifs
Très vite, la situation a dégénéré en violentes confrontations entre des émeutiers infiltrés parmi les manifestants et les forces de l’ordre. Bilan: des dizaines de personnes blessées et hospitalisées. Pacifique à l’origine, le mouvement s’est transformé en mêlée générale: jets de pierres et de bouteilles d’eau, tirs de grenades lacrymogènes, de balles en caoutchouc et parfois de balles réelles, magasins vandalisés, incendies de bennes à ordures et des tentes des familles des militaires otages. Les Libanais ont pu assister, en direct sur leurs écrans de télévision, à ce déchaînement de violence inouï.
Dimanche 23 août, une bande d’éléments subversifs, apparemment venue de quartiers pauvres de Beyrouth et de ses banlieues, a commencé à lancer des bouteilles d’eau sur les forces de l’ordre, qui se tenaient derrière les fils barbelés et les barrières métalliques, érigés pour empêcher les protestataires de s’approcher du Grand sérail et du Parlement. Malgré les demandes incessantes des organisateurs du collectif «Vous puez», appelant les manifestants à demeurer pacifiques, ces fauteurs de troubles ont continué à lancer des bouteilles et des projectiles sur les forces de sécurité. Ce n’est que lorsque les agitateurs ont essayé de retirer les barricades que les forces de l’ordre ont fait usage de grenades lacrymogènes et de canons à eau pour disperser les émeutiers.
Les rumeurs les plus folles se sont répandues comme une traînée de poudre. Les casseurs sont des militants du mouvement Amal, affirmaient certains. Non, il s’agit de membres des «brigades de la Résistance», assuraient les autres. Le mouvement Amal et le Hezbollah ont évidemment démenti l’existence de tout lien entre eux et ces voyous.
Au lendemain des affrontements, Magazine s’est rendu au centre-ville pour constater l’ampleur des dégâts. Les traces des incendies sont toujours visibles. Des bouteilles en plastique et d’autres objets recouvrent le sol, des slogans hostiles à la classe politique sont inscrits sur les murs et des fils barbelés rappellent la limite géographique entre le peuple et les dirigeants. Un homme brandit un drapeau libanais et une pancarte sur laquelle on peut lire: «La classe politique est une insulte à la dignité du peuple libanais». Irréductible, Salah Noureddine a décidé de rester sur place et de ne pas reculer, malgré les violences de la veille. Ce Libanais, qui vit en Angleterre, affirme que «ces actes de vandalisme peuvent arriver à n’importe quel moment dans une quelconque manifestation et dans n’importe quel pays. Nous ne devons pas baisser les bras. Les responsables politiques doivent se résigner et laisser le peuple s’exprimer». De son côté, l’avocat Hani Mourad confie à Magazine que les casseurs sont «des jeunes dont l’ignorance et l’élan confessionnel ont pris le dessus, les poussant à agir de la sorte».
Mardi, le même scénario s’est reproduit, mais dans une moindre ampleur. Le mur en béton, érigé par les forces de l’ordre pour servir de «ligne de démarcation» entre le Grand sérail et la population, n’a pas tardé à être retiré, à la demande du Premier ministre Tammam Salam. Les affrontements ont repris au moment où les activistes du collectif «Nous réclamons des comptes» manifestaient contre la corruption du gouvernement, notamment dans l’affaire des déchets. Membre du collectif «Vous puez», Joey Ayoub déclare que «les violences ont été déclenchées par des groupes de jeunes présents dans les cortèges de manifestants». Les avis étaient partagés au sujet de l’identité de ces fauteurs de troubles. Certains insistaient sur le fait que ces derniers venaient de Khandak el-Ghamik, un quartier pauvre de Beyrouth, où se sont installées des familles chiites libanaises il y a trente ans, fuyant l’occupation israélienne du Liban-Sud. D’autres réaffirmaient qu’il s’agissait de membres du mouvement Amal. Pour beaucoup d’autres, c’étaient en réalité de jeunes citoyens libanais, issus de quartiers pauvres, remontés contre la police et l’Etat.
Natasha Metni