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Nº 3018 du vendredi 11 septembre 2015

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Charif Majdalani signe Villa des femmes. Figures féminines au milieu du chaos

A l’occasion de la sortie de son 5e roman, Villa des femmes, paru aux éditions du Seuil, Magazine a été à la rencontre de Charif Majdalani, de l’Histoire, des femmes, des figures littéraires, du temps présent…

La «comédie humaine» beyrouthine; sans entrer dans les couloirs étroits d’une quelconque comparaison littéraire, surtout pas au niveau esthétique, stylistique ou autre, Charif Majdalani est bel et bien en train de tisser, fil par fil, roman après roman, le reflet littéraire d’une société, de l’histoire d’un pays, jusqu’aux plus petits détails d’attitude, de comportement, de vie. Une comparaison qui ne le dérange nullement, une filiation qu’il assume puisque, dans son projet, il est question d’histoires de famille, d’une relecture de l’Histoire, de personnages qui reviennent en arrière-plan… Il s’agirait donc d’une comédie humaine beyrouthine, d’un «quatuor beyrouthin» constitué des romans que sont: Histoire de la grande maison, Nos si brèves années de gloire, Le dernier seigneur de Marsad et Villa des femmes, son deuxième roman Caravansérail, constituant «le fantasme des personnages du quatuor qui rêvent tous de partir».

Histoire de famille, celle de Skandar Hayek, à la tête d’un négoce de tissu, qui règne, parfait chef de clan, sur son empire, sa maison où il vit avec sa femme Marie, sa sœur acariâtre Mado, sa fille Karine, son fils aîné Noula et le cadet Hareth. «La pierre de l’affûteur tournait toujours, ainsi que le monde autour de la maison, de ses jardins, de ses orangeraies… Tout autour le monde tournait aussi bien que cette pierre grise de l’affûteur». Comme un leitmotiv, comme un métronome, cette pierre de l’affûteur, cette image venue à la fois d’un monde passé, ancrée dans les souvenirs de l’auteur, qui dégage un bruit épouvantable tout en créant des étincelles de visu, pétrie à la fois de violence, marque si bien le cycle des années, des jours, rythme les jours qui s’écoulent dans cette maison. Jusqu’au jour où l’ordre maintenu par le patriarche s’effondre, où le pays entre, inconsciemment, en guerre, où les femmes se voient obligées de prendre les rênes du domaine. Marie, Mado, Karine, mais aussi Jamilé, la gouvernante. L’histoire des femmes d’une famille.

 

 

 

La force de la tragédie
Pour répondre d’une certaine manière à ceux qui lui reprochaient l’absence de femmes dans ses romans, même si elles y sont présentes; pour prendre un peu la relève de Lamia, personnage féminin fort du Dernier seigneur de Marsad; pour réaliser son envie de raconter cette fascination qui remonte à tant d’années, à la suite des reportages qu’il a vus à propos des familles qui ont décidé de rester sur les lignes de front malgré toute la violence, les plus déterminés étant des femmes… Villa des femmes est là pour porter cette «idée des femmes au milieu de la violence, leur force de caractère, leur capacité à tenir». Pourtant, au début du roman, elles sont loin d’être des femmes fortes, et c’est là que réside toute l’ambiguïté, toute la beauté, la complexité de ces caractères féminins esquissés par Charif Majdalani. Elles sont à la fois opprimées par les valeurs de cet Orient, de ce système patriarcal, clanique, qui sévit encore de nos jours et que, pourtant, elles sont les premières à défendre, alors qu’il les opprime. Et qu’elles vont également transmettre, faisant hériter leur misère. Mais Charif Majdalani a également voulu montrer qu’à un moment donné, il y a une prise de conscience, une révolte, une explosion.
Au fil de la lecture, des chapitres, des images, les situations, les dialogues, les prises de position se font de plus en plus intenses, de plus en plus tendus, de plus en plus explosifs, nimbés de violence et de détermination, de jalousie et de vérités contondantes. A la fois cathartiques et touillant la plaie. Des déchirements raciniens, la force de la tragédie. Des figures littéraires.
Au milieu de ces femmes qui défendent leur territoire les unes contre les autres, contre les caprices catastrophiques du fils aîné Noula, contre les miliciens qui s’installent dans le domaine, Hareth, le cadet, lui, s’est glissé dans la peau d’Ulysse. Et ses aventures l’emmènent aussi loin que l’imaginaire du lecteur, dans des rêveries merveilleusement tissées par l’auteur, au détour des mots et des détails qui enclenchent une kyrielle de saveurs, d’odeurs et de couleurs, glissant çà et là, toujours, des clins d’œil, à saisir au fil de la lecture.

 

Une œuvre romanesque
Villa des femmesse dévoile au regard du lecteur par le narrateur qui, cette fois, est un personnage que l’auteur a voulu neutre. Le narrateur n’est autre que le chauffeur de Skandar Hayek, son homme de confiance, qui porte aussi le nom de Noula. Si, au départ, Charif Majdalani a voulu instaurer deux voix narratrices, celles de Noula et de Jamilé, il a laissé tomber cette option pour ne pas compliquer la trame, d’autant plus qu’elle est constituée de voyages temporels et géographiques. «Je voulais une voix qui soit extérieure à la famille, mais concernée par la famille, une personne qui n’a pas droit à la parole. Mais qui a l’occasion de regarder, juger, interpréter et reconstruire l’histoire. A travers leur regard structurant, leur pouvoir à la parole, donc le pouvoir de la mémoire, ils donnent du sens à ce chaos».
Se situant en dehors des tendances littéraires, des transformations génériques, Charif Majdalani est en retrait de la littérature française même s’il y est fortement impliqué de par ses références, de par son écriture, considéré davantage comme un romancier du Moyen-Orient qui revisite l’histoire. Une situation à cheval qui lui plaît bien, et qui, si besoin est, renforce encore davantage la force romanesque de son œuvre. En revisitant l’histoire, en travaillant sur le temps, en situant ses romans à des périodes charnières, Charif Majdalani s’ancre, paradoxalement ou logiquement, dans la contemporanéité, dans le temps présent, face à cette inéluctable réalité que rien n’a changé, alors que tout a changé.

Nayla Rached

 

 

Extrait
«Aussitôt arrivé, au lieu d’appeler le gardien ou le curé, Mado marcha le long des allées, puis elle se posta un instant devant le caveau des Hayek, et c’est moi qui avisai les herbes folles, les vieilles fleurs sèches que je me voyais déjà devoir arracher sur ses ordres. Je n’en avais pas la moindre envie et je m’apprêtais à faire la tête quand je remarquai l’expression de Mado, fermée, indifférente, comme si elle était devant un caveau étranger».

 

 

 

 

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