S’il y a une image à retenir de la séance du dialogue national de mercredi au Parlement, ce sont bien les mesures de sécurité exceptionnelles qui ont transformé le périmètre autour de la place de l’Etoile en forteresse. Le pouvoir voulait peut-être montrer sa force aux manifestants de la société civile, il a surtout prouvé combien les cris de la rue lui font peur.
Dès les premières heures de la journée, les militants civils et les forces de l’ordre se faisaient déjà face, chaque partie voulant tester l’autre, en attendant la manifestation prévue en fin de journée. La rue ne semblait donc pas prêter une grande attention au dialogue qui se déroulait au troisième étage du siège du Parlement, dans une salle spécialement aménagée pour la circonstance, avec une table ronde, un double vitrage, qui empêche l’arrivée des bruits de la rue, et une climatisation assez forte pour que les participants au dialogue puissent oublier la tempête de sable et la chaleur écrasante au dehors. Les manifestants semblaient au contraire croire avoir commencé à remporter des victoires puisque d’une part, ils ont fait peur à la classe politique et ébranlé l’édifice et, d’autre part, c’est à cause de leur action que la conférence du dialogue s’est réunie, la classe politique ayant choisi de reprendre l’initiative à la rue, en dépit de ses profondes divergences. Les manifestants avaient donc apporté des œufs pour les jeter sur les convois des personnalités sans même savoir sur qui ils envoyaient leurs projectiles. Le tout était exécuté dans une atmosphère «bon enfant» tout à fait différente du climat tendu qui régnait dans la salle où se déroulait le dialogue. Les protagonistes ne s’étaient pas réunis depuis longtemps, probablement depuis la dernière réunion parlementaire où il avait été décidé de proroger le mandat de l’actuelle Chambre et encore, puisque les députés du Bloc du Changement et de la Réforme n’y avaient pas participé. Entre-temps, beaucoup d’eau avait coulé sous les ponts et les divergences s’étaient encore approfondies. Selon les fuites, les salutations entre les différents participants n’ont donc pas été particulièrement chaleureuses, tout comme les discussions qui ont même été marquées par des échanges inamicaux entre le général Michel Aoun et le ministre Boutros Harb.
Pas de miracles
Mais en réalité, nul ne s’attendait à un miracle, ni à une solution immédiate. Le président de la Chambre, Nabih Berry, à l’origine de la convocation de cette rencontre du dialogue a d’ailleurs donné le ton depuis le début, en rappelant aux participants que l’heure est grave et que les Libanais attendent des décisions concrètes. Le chef du Parlement avait d’ailleurs entrepris des contacts discrets, avant de lancer sa convocation, pour sonder les différentes parties et voir dans quelle mesure elles seraient prêtes à s’impliquer dans un nouveau dialogue. Faute d’autre possibilité de solution et, parce que la rue en colère menaçait de déborder, toutes les parties, sauf les Forces libanaises, ont accueilli avec soulagement la proposition de Berry, convaincues que si le dialogue ne peut pas aboutir à des solutions, il peut au moins permettre une entente minimale sur la relance de l’activité gouvernementale et parlementaire.
Selon des sources politiques informées, toutes les parties sont conscientes du fait que l’élection présidentielle n’est plus entre les mains des Libanais, et qu’elle est devenue un dossier régional et international. Mais les autres dossiers en suspens peuvent être réglés. Ils doivent en tout cas l’être pour calmer la rue et apaiser la colère populaire. Dans ce contexte, Berry, qui a des antennes pour flairer les opportunités, a compris que, pour le Courant du futur, le plus important à l’heure actuelle est de relancer l’action du gouvernement de Tammam Salam qu’il considère comme le sien. La paralysie de ce gouvernement et le gel de ses réunions sont nocifs pour lui et érodent encore plus sa popularité dans la rue sunnite. La reprise des séances du Conseil des ministres est impérative pour lui. En contrepartie, Berry tient particulièrement à la relance de l’action parlementaire, d’abord pour sa propre crédibilité et, ensuite, pour faire passer des projets de loi nécessaires pour les Libanais. De même, le général Aoun est aussi dans une impasse et pourrait trouver son compte dans la dynamisation de l’action gouvernementale ou parlementaire concernant, notamment, le dossier de l’armée et celui de la promotion de certains officiers. Chaque partie a donc ses soucis, mais toutes se
rejoignent dans un même besoin de relancer les institutions, sans trop savoir comment le faire. Il a fallu donc tout le savoir-faire de Nabih Berry pour imaginer le montage sous couvert de conférence du dialogue. Berry a, certes, mis le dossier présidentiel en tête de l’ordre du jour de la réunion, mais il a bien pris soin d’affirmer que s’il n’y a pas un accord sur un point, il faudra passer au suivant. Ainsi, au bout de deux ou trois séances, les participants au dialogue devront passer aux points cruciaux que sont la relance de l’activité gouvernementale et celle du Parlement. Déjà, le Premier ministre Tammam Salam a annoncé une réunion du gouvernement mercredi, consacrée au dossier des déchets. Il est clair qu’il s’agit là du début du compromis imaginé par Berry. La réunion du dialogue ne pouvant pas évoquer le dossier des ordures qui relève des prérogatives du gouvernement, il a donc été convenu de trouver un début de solution entre les ministres pour apaiser la rue et pouvoir ensuite passer à d’autres sujets. En même temps, le Bloc du Changement et de la Réforme fait preuve de bonne volonté en envoyant le ministre de l’Education Elias Bou Saab à la réunion, alors que le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, s’abstenait. Même chose chez le Hezbollah où Mohammad Fneich n’assiste pas à la réunion, alors que Hussein Hajj Hassan est présent.
Aoun vs Siniora et Harb
Ce compromis en gestation n’empêche pas les participants à la séance de dialogue de se disputer et d’étaler leurs divergences. C’est surtout le cas entre le général Michel Aoun et l’ancien Premier ministre Fouad Siniora, appuyé par le ministre des Télécommunications Boutros Harb. La réunion, qui a duré près de quatre heures, a donc été marquée par des échanges violents et par des exposés lassants. Mais le président de la Chambre a réussi à maintenir un minimum de cohésion et, à aucun moment, il n’a pris parti en faveur d’un camp contre l’autre. Même lorsque Michel Aoun a qualifié le Parlement d’illégitime sur le plan constitutionnel et légal, il n’a pas fait de commentaires.
Son souci principal est de permettre à ce dialogue de survivre et d’assurer un filet de sécurité au pays et au système, face à la colère de la rue. Il a donc réussi son pari, puisque tous les participants à la séance de mercredi ont confirmé leur présence pour la prochaine réunion prévue le 16 septembre. Même si chacun a son propre agenda et ses priorités, tous peuvent parvenir à de petites ententes sur des dossiers précis. Ainsi, de petit accord en règlement secondaire, le terrain sera préparé pour des solutions plus importantes le moment venu. La situation a d’ailleurs été parfaitement résumée par Berry qui a dit aux participants à la réunion: «L’accord est devant nous et la rue derrière nous!». Autrement dit, l’alternative au dialogue, c’est la rue avec ses débordements…
Joëlle Seif
Pendant ce temps…
Et pendant ce temps, le mouvement de protestation populaire se poursuit. Face à la volonté de la classe politique et du pouvoir de reprendre l’initiative, la société civile ne désarme pas et le collectif du 29 août compte poursuivre son action par des initiatives ponctuelles, en maintenant la pression sur le gouvernement. Même si la crise des déchets est mise sur la voie de la solution, selon les suggestions de la commission présidée par le ministre Akram Chéhayeb, le collectif poursuivra ses protestations jusqu’à l’organisation d’élections législatives destinées à renouveler la classe politique. Selon les figures de proue de ce mouvement, le pouvoir en place ne peut plus tromper le peuple par des demi-mesures qui lui permettent de survivre. Le peuple s’est réveillé et la peur a désormais changé de camp…