Contrairement à la période précédente, le général Michel Aoun se garde bien de formuler des critiques à l’encontre des positions du patriarche Béchara Raï.
Dans ses cercles privés, le leader du Courant patriotique libre (CPL) n’hésite pas à confier que s’il comprend parfaitement l’attitude de «sayidna» le patriarche, cela ne l’empêche pas d’avoir des remarques à faire sur la façon dont le chef de l’Eglise maronite aborde les sujets politiques. Mais cela n’exclut pas la ferme volonté de Michel Aoun d’avoir de bonnes relations avec le prélat, surtout que les deux hommes partagent une même approche en termes d’objectifs stratégiques. Tous les deux veulent l’instauration d’un vrai partenariat national, l’adoption d’une loi électorale représentative et la préservation de la place des chrétiens au sein des administrations.
Le général Aoun, affirment ses proches, ne veut pas d’une querelle avec le patriarche parce qu’il considère que le rôle de l’Eglise maronite dans la sauvegarde des constantes chrétiennes et nationales est semblable et complémentaire au sien. Les pressions exercées par certains politiques et diplomates sur le prélat maronite inquiètent le général de Rabié. «Ils sont devenus les spécialistes des alertes». Parmi eux, ceux-là qui transmettent à Mgr Raï des données imprécises qui le poussent parfois à afficher des prises de position qui peuvent paraître dirigées contre Aoun. Mais ce dernier, conscient des réalités, veille à ne pas se laisser entraîner dans une confrontation avec le patriarche…
Craintes pour l’avenir
Par ailleurs, des milieux politiques ont essayé de savoir si la dernière visite du général à Bkerké a pu réduire les distances qui les séparent et atténuer les différends. Le député du Kesrouan a transmis à Mgr Raï ses craintes quant à l’avenir du partenariat au Liban si les droits des chrétiens, en général, et des maronites, en particulier, continuent à être ignorés. Un partenariat qui, rappelle-t-il, n’a jamais été respecté auparavant au sein du gouvernement actuel, d’où l’escalade politique et l’appel aux mouvements de rues lancés par le CPL.
Mgr Raï, pour sa part, a réitéré les appréhensions liées au blocage et à la vacance à la présidence, première fonction dans le système libanais attribuée aux maronites. Il a cependant évité d’adresser des critiques directes au général Aoun, tout en l’interrogeant sur les raisons qui le poussent à mobiliser la rue en ce moment et dans quel but. S’il s’agit d’aboutir à la modification de certaines équations, le cardinal maronite estime que l’heure n’est pas favorable à un tel changement. Qui profite du verrouillage du palais de Baabda à un moment où le partenariat islamo-chrétien est sujet à des turbulences? s’est demandé le patriarche, tout en réaffirmant qu’il n’approuve pas la manière dont le général de Rabié aborde l’échéance présidentielle. Mais le chef du CPL continue d’ignorer les appels lancés par Bkerké sur la nécessité d’assurer le quorum au Parlement pour élire un nouveau chef d’Etat. Tout ceci ne signifie pas que le patriarche ne partage pas les aspirations aounistes relatives à la participation réelle au pouvoir, la présence chrétienne effective au sein du régime, la ratification de la loi sur la récupération de la nationalité libanaise, l’adoption d’une loi électorale équitable et d’autres revendications qui redonnent aux chrétiens un rôle réel. Toutes ces requêtes constituent le dénominateur commun entre Bkerké et Rabié. Le CPL cherche à catalyser ses relations avec le patriarche, surtout depuis que le député Ibrahim Kanaan est en charge de ce dossier.
Chaouki Achkouti
Berry fait marche arrière
Le président Nabih Berry savait très bien, avant son appel au dialogue à l’occasion de la commémoration de la disparition de l’imam Moussa Sadr, que son allié, le Hezbollah, n’était pas disposé à laisser le général Michel Aoun mener seul sa bataille sous n’importe quel prétexte. Le chef de l’Assemblée croyait cependant que ce soutien n’était pas sans limites pour deux raisons:
♦ Le renversement du gouvernement qui plongerait le pays dans le vide institutionnel n’est pas dans l’intérêt du Hezbollah. C’est pourquoi Berry pensait que le parti chiite n’ira pas avec Aoun jusqu’à bloquer l’Exécutif.
♦ Vu l’expérience accumulée, Berry croit détenir une marge de manœuvre qui lui est propre dans le jeu politique interne. Une spécificité que le Hezbollah a su respecter. Mais le retrait des deux ministres du parti chiite du gouvernement en solidarité avec leurs homologues du Bloc du Changement et de la Réforme est venu modifier les équations. A un certain moment, le chef du Parlement a donné l’impression de vouloir quitter le 8 mars en se rapprochant des thèses adverses, du Moustaqbal en particulier, et en défendant le cabinet, «dernière institution active», lorsque les aounistes ont décidé de se rebeller.
C’est alors que le Hezbollah est intervenu pour tracer deux lignes rouges parallèles: pas de démission du gouvernement et pas d’isolement de Michel Aoun.